« S’agissant de la peine capitale, il faut de même, quelles que soient les interpellations de notre conscience, nous en tenir aux faits.
Et les faits, précisément, sont parlants. La peine de mort peut et doit être supprimée car non seulement elle ne sert à rien, mais, qui plus est, elle paraît désormais un alibi qui justifie toutes les réticences devant les perspectives de révision des conditions d’exécution des peines.
[…]
En vérité, le seul débat est bien de savoir si, oui ou non, il faut une peine de remplacement. J’utilise l’expression pour plus de clarté. Je sais, monsieur le garde des Sceaux, que je risque d’être engagé dans une querelle sémantique. Je ne l’éluderai pas.
Car les objections techniques que vous pourrez formuler ne sont certes pas l’essentiel.
J’ai moi-même rédigé, signé ou simplement lu certains de ces amendements. Je vous concède qu’ils sont souvent imparfaits. Au demeurant, quand les auteurs de certains d’entre eux cherchent à prolonger la période de détention sans exclure une libération à son terme, ils ne répondent pas forcément au problème posé : si un individu est dangereux, je ne suis pas persuadé qu’il le sera forcément moins, ou plus, selon qu’il sortira de prison après quinze, vingt, vingt-cinq, vingt-huit ou trente ans.
En vérité, et ce sera toute la difficulté de l’exercice, pour répondre à l’objectif recherché, s’agissant d’ailleurs d’une partie seulement des crimes justiciables actuellement de la peine de mort - ce qui pose aussi le problème de l’échelle des peines - vous devrez régler, me semble-t-il, une contradiction et apporter une innovation.
La contradiction, elle est entre la possibilité, qui doit être réaffirmée, pour un condamné de demeurer incarcéré à vie - s’il est dangereux - et l’éventualité d’une libération qui ne peut être exclue systématiquement dans un souci évident d’humanité et dans le but de garantir la sécurité des prisons.
L’innovation - qui permettrait de lever la contradiction - consisterait sans doute et justement à donner au jury populaire, au terme d’une période à fixer, le droit d’apprécier de l’éventuelle réadaptabilité du condamné.
Mais, monsieur le garde des Sceaux, pour rejeter la notion de peine de remplacement, vous allez surtout faire valoir deux objections, au demeurant apparemment contradictoires.
Vous allez nous dire d’abord que nous n’avons qu’à nous reporter à l’article 2 du texte qui, précisément, remplace la peine de mort par la réclusion criminelle à perpétuité, pour tous les cas passibles, actuellement, du châtiment suprême.
La peine de remplacement, nous direz-vous : la voilà ! (M. le garde des Sceaux fait un signe de dénégation.)
Vous me direz aussi, sans doute, que prévoir une peine spécifique nouvelle qui viendrait se substituer à la peine de mort, ce serait reconnaître implicitement que la peine de mort a encore une utilité, ce que vous niez.
Vous avez probablement raison, sur le fond. Et sans doute vaut-il mieux parler d’exécution des peines ...
M. le garde des Sceaux. Voilà !
M. Philippe Séguin… et, en particulier, des conditions d’exécution de la réclusion ou de la détention criminelle à perpétuité.
Mais puisque, vous-même, vous reconnaissez qu’il faudra procéder à une révision du système, ne pensez-vous pas qu’il serait plus logique, plus efficace d’y procéder concomitamment à l’abolition ?
Et pourquoi renvoyer à plus tard - deux ou trois ans, avez-vous dit - sans autre précision, un problème dont vous ne niez pas l’existence et dont nul ne peut soutenir qu’il est sans lien avec notre débat ?
Vous conviendrez que l’argument que j’ai lu et qui tient - je vous cite - « aux commodités législatives », pèse peu dans un pareil débat.
Plusieurs amendements seront donc déposés, et en particulier par notre collègue Emmanuel Aubert, qui iront dans ce sens. J’ai cru comprendre que vous ne les accepteriez peut-être pas. J’imagine que cela tient à votre volonté de conserver au projet qui nous est soumis son caractère symbolique.
Et puis, vous nous direz que le problème n’a pas de caractère d’urgence, en tant qu’on le lie à celui de l’abolition puisque, aussi bien, le problème de la sortie éventuelle des hommes que ce texte aura sauvés ne se posera pas avant plusieurs années.
J’entends bien, monsieur le garde des Sceaux, et j’admets cette façon de voir. Et, je l’ai dit, je voterai l’abolition en tout état de cause, comme, dans quelques instants, je repousserai la question préalable.
Pourtant, j’ai la conviction qu’en s’en tenant au texte actuel on risque de commettre une erreur qui peut avoir pour conséquence, un jour, un bien regrettable retour en arrière.
Et nous vous proposerons, du moins, d’inscrire d’ores et déjà dans la loi le principe de l’intervention rapide d’une loi portant révision des conditions d’exécution des peines.
Car, si j’ai moi-même, avec beaucoup moins de talent que vous, plaidé déjà pour qu’on ne se soumette pas en la matière aux oukases de l’opinion, je n’en suis que mieux placé pour vous dire - mais vous le savez - que cette opinion existe. Et qu’elle ne pourra se satisfaire de quelques paroles ... »
Source : Extrait du discours de Philippe Séguin, 17 septembre 1981
Pour en savoir plus : Lire le texte complet du discours sur Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1981.