5. L'exécution

Plan du chapitre

Montcharmont

Le scandale de l’exécution de Montcharmont (1851)

Claude Montcharmont, un taillandier et braconnier de Saint-Prix, dans le Morvan, avait tué un garde-chasse et un gendarme en novembre 1850. Bénéficiant de la complicité des gens de son village – un habitant aurait dit à propos de l’un des crimes : « ce n’est qu’un bourreau qui en a tué un autre » –, il n’est arrêté qu’un mois plus tard, et la cour d’assises de Saône-et-Loire le condamne à la peine de mortle 29 mars 1851. La révolte de Montcharmont sur l’échafaud est telle que l’exécution doit être remise au lendemain. Le journal cité du département, considérant la peine comme entièrement justifiée pour cet assassin qui a « terrorisé » tout un arrondissement, ne peut taire son sentiment d’horreur devant un tel spectacle. Le scandale causé par cette exécution trouve un écho dans la presse nationale et Charles Hugo fustige dans L'Événement le comportement d'une justice coupable de tels excès. Traduit devant les assises de la Seine pour ce délit de presse le 11 juin 1851, il est défendu par son père qui plaide en faveur de l'abolition.

Suppliciés

Au carré des suppliciés

Sébastien-Joseph Billoir a été condamné à mort par la cour d’assises de la Seine le 15 mars 1876 pour avoir tué et dépecé une femme à Saint-Ouen. Le jour même de l’exécution, le commissaire de Gentilly qui a en charge la surveillance du « carré des suppliciés » du cimetière de Gentilly, rédige ce rapport dans lequel il fustige la pratique « indécente » des exécuteurs parisiens qui ne prennent aucun soin du cadavre lors de l’inhumation, et jetant les restes du supplicié dans une fosse comme ils viennent, et plaçant la tête entre les cuisses… Le rapport se veut plus rassurant sur la pratique provinciale de l’inhumation des condamnés à mort. Il suffit pourtant de lire le premier chapitre de Tu ne tueras pas d’Albert Naud pour constater qu’en la matière, la décence n’est pas encore au rendez-vous en 1951 à Arras. À noter que le rapport n’évoque pas la pratique courante des médecins de demander l'autorisation de recueillir le cadavre à des fins d'expériences diverses.

Pour en savoir plus : Anne Carol, Au pied de l'échafaud, Paris, Belin, 2017.

De la place de Grève à la Roquette

Dans la capitale, sous l’Ancien Régime, les exécutions publiques avaient lieu sur plusieurs places, la place de Grève étant la plus prisée, car située au cœur de la cité, à proximité de l’Hôtel de ville. Elle l’est encore après la Révolution dans les premières années du XIXe siècle. Mais au lendemain de la révolution de 1830, le « sang versé » par les combattants des journées de Juillet qui ont renversé le régime de Charles X sert d’argument pour éloigner du « centre de Paris » le lieu des exécutions qui se déroulent, à partir de 1832, à la périphérie, place de la barrière Saint-Jacques. Mais le trajet de la prison au supplice en devient beaucoup plus long, surtout quand, à partir de 1836, il faut parcourir cinq kilomètres de la Grande Roquette à la barrière Saint-Jacques. Dans un souci d’humanité, mais également en accord avec la sensibilité des élites auxquelles le spectacle de la mise à mort répugne, un décret du 29 novembre 1851 fixe le lieu d’exécution à l’entrée de la Grande Roquette : 69 condamnés à mort y seront guillotinés jusqu’en 1899, année où la prison est désaffectée. L’exécution se déroule ensuite à la porte de la prison de la Santé où se trouve dorénavant le dépôt des condamnés à mort : la première, celle du parricide Duchemin a lieu en 1909. Le transfert de la place de Grève à la périphérie de la ville – les « barrières », en l'occurrence la barrière Saint-Jacques – a une valeur symbolique, rapidement signalée par les adversaires de la peine capitale qui interprètent ce transfert comme une façon de cacher la guillotine... Victor Hugo, dans la préface (1832) du Dernier jour d'un condamné tire argument du rejet de la guillotine aux confins des murs de la ville :

« Le 23 du mois de janvier [1832] – le surlendemain de l'anniversaire de la mort du roi Louis XVI – le lieu habituel des exécutions fut changé, et, de la place de Grève, transporté à la barrière Saint-Jacques...

C'était un pas que faisait la civilisation : constatons-le, en enregistrant ici l'arrêté de M. de Bondy.

« Nous, pair de France, préfet de la Seine, etc. ;

Vu la lettre qui nous a été adressée par M. le procureur général près la cour royale de Paris ;

Considérant que la place de Grève ne peut plus servir de lieu d'exécution, depuis que de généreux citoyens y ont si glorieusement versé leur sang pour la cause nationale ;

Considérant qu'il importe de désigner de préférence les lieux éloignés du centre de Paris, et qui aient des abords faciles ;

Considérant que, sous différents rapports, la place située à l'extrémité de la rue Saint-Jacques paraît réunir les conditions nécessaires ;

Avons arrêté :

Les condamnations emportant peine capitale seront à l'avenir exécutées sur l'emplacement qui se trouve à l'extrémité du Faubourg-Saint-Jacques.

Comte de Bondy ».

Voici ce que nous écrivions à ce propos, le 26 novembre 1849, comme épilogue du Comte Hermann – un de nos meilleurs drames – épilogue fait, non pas pour être joué, mais pour être lu, et à la manière des études théâtrales allemandes :

« La peine de mort, telle qu'elle est appliquée aujourd'hui, a déjà subi une grande modification, non pas dans son résultat, mais dans les détails qui précèdent les derniers moments du condamné.

Il y a vingt ans, la peine de mort s'appliquait encore au centre de Paris, à l'heure la plus vivante de la journée, devant le plus grand nombre de spectateurs possible.

Ainsi on donnait au condamné des forces contre sa propre faiblesse. On ne faisait pas du patient un coupable repentant : on en faisait une espèce de triomphateur cynique qui au lieu de confesser Dieu sur l'échafaud, attestait l'insuffisance de la justice humaine, laquelle pouvait bien tuer le criminel, mais était impuissante à tuer le crime.

Aujourd'hui, il n'en est déjà plus ainsi : on a fait un pas vers l'abolition de la peine de mort en transportant l'instrument du supplice presque hors de l'enceinte de la ville, en choisissant l'heure qui, pour la majorité des habitants de Paris, est encore l'heure du sommeil, et en donnant aux derniers moments du coupable les rares témoins que le hasard ou une excessive curiosité attirent autour de l'échafaud.

Maintenant, ce serait aux prêtres qui se vouent au salut des condamnés de nous dire s'ils trouvent autant de cœurs endurcis, dans le trajet qui conduit de Bicêtre à la barrière Saint-Jacques, qu'ils en ont trouvé dans celui qui menait de la Conciergerie à la place de Grève, et s'il y a plus de larmes répandues aujourd'hui, à quatre heures du matin, sur les pieds du crucifix, qu'il n'y en avait autrefois, à quatre heures du soir.

Nous le croyons fermement.

Oui, il y aura plus de repentirs, dans le silence et le recueillement, qu'il n'y en a jamais eu dans le tumulte et dans la foule.

Et, maintenant, supposons que l'exécution, soustraite aux regards avides du peuple, qu'elle ne corrige pas, qu'elle n'instruit pas, qu'elle endurcit à la mort, voilà tout ; supposons que l'exécution ait lieu dans la prison, ayant pour seuls témoins le prêtre et le bourreau ; qu'elle ait pour tout agent – au lieu de la guillotine, qui, suivant le docteur Guillotin, n'occasionne qu'une légère fraîcheur sur le cou, mais qui, au dire du docteur Sue, cause une douleur terrible – supposons que l'exécution ait pour tout agent l'électricité, qui tue comme la foudre, ou bien un de ces poisons stupéfiants qui agissent comme le sommeil ; croit-on que le cœur des condamnés ne s'amollira pas encore plus, dans cette nuit, dans ce silence, dans cette solitude, qu'en plein air, fût-ce même à quatre heures du matin, fût-ce en présence des rares témoins qui assisteront au supplice, mais qui, si rares qu'ils soient, n'en iront pas moins dire aux compagnons du criminel, à ses amis des bagnes : Un tel est bien mort ! c'est-à-dire, un tel est mort sans se repentir, et en repoussant le crucifix ?... »

Depuis ce temps, la guillotine s'est encore rapprochée du condamné : on exécute, maintenant, devant la porte de la prison de la Roquette.

De là à exécuter dans la prison, il n'y a que quelques pas. »

Source : Extrait d’Alexandre Dumas, Mes Mémoires, chap. 222

Pour en savoir plus : Voir la notice sur la prison de la Santé. Lire les textes complets de Victor Hugo sur le site Victor Hugo contre la peine de mort de Danielle Girard –vacadémie de Rouen.

Vacher

Le réveil de Vacher (1899)

Joseph Vacher (1869-1898), inculpé d’une douzaine de meurtres, est jugé et condamné par la cour d’assises de l’Ain le 28 octobre 1898 et exécuté le 31 décembre suivant. Il avait violenté, mutilé et tué de jeunes adolescents, bergers ou bergères pour la plupart. Ce tueur en série – le « tueur de bergers » – avait échappé à la justice pendant plusieurs années en se déplaçant après chacun de ses crimes commis. La marche au supplice a été l'objet de nombreuses descriptions ou représentations. À l’égal des comptes-rendus stéréotypés de la presse provinciale – cf. la page d'une exécution à Chartres ci-après –, les journaux illustrés veulent faire vivre à leur public les derniers instants du condamné à mort : le réveil, la concertation avec l'aumônier, la toilette, le parcours conduisant à la guillotine. Pour le condamné et le lecteur, le moment du réveil est l'un des plus dramatiques : l’heure exceptionnelle, la présence des représentants de l’autorité font prendre immédiatement conscience que la grâce a été rejetée et qu’il s’agit maintenant de se préparer pour aller au supplice. M. Claude, chef de la police de sûreté de Paris, fait une description économe de ces derniers instants, que l'on pourra comparer avec le récit sur l'exécution de Troppmann.

Pour en savoir plus : Marc Renneville, Vacher l'éventreur. Archives d'un tueur en série, Grenoble, Millon, 2019

Castaing

Le dernier voyage de Castaing (1823)

Edme-Samuel Castaing (1797-1823), médecin, est condamné par la cour d’assises de la Seine le 17 novembre 1823 pour avoir empoisonné les frères Hippolyte et Auguste Ballet. Il est exécuté le 6 décembre 1823. Les victimes et l’accusé appartiennent à la bonne société parisienne. Leur origine sociale, comme le mode opératoire – l’usage de substances vénéneuses – donnent une grande audience au procès. Tant que l'exécution se déroule place de la Grève ou aux barrières Saint-Jacques, le condamné quitte sa prison – la Conciergerie ou Bicêtre – pour un long parcours à travers la ville, comme cela se faisait dans les siècles passés dans un souci d'édification : l'exposition au public veut montrer que le criminel va être retranché du corps social par le châtiment suprême. Le remplacement de la charrette par « le panier à salade » et surtout l’exécution près de la prison à partir du milieu du XIXe siècle supprime ce parcours humiliant pour le condamné.

L’exécution de Berland et Doré (27 juillet 1891)

La sortie de la Roquette

Depuis le milieu du XIXe siècle, l'exécution à Paris se fait place de la Roquette, jouxtant le dépôt des condamnés de la Grande Roquette. Dès l’ouverture de la porte de la prison, le condamné, suivi des autorités en charge du bon déroulement de l’exécution, soutenu par les aides de l’exécuteur et l’aumônier de la prison, découvre l’instrument du supplice dressé à quelques mètres.

Le procès-verbal de police

Gustave-Georges Doré (1872-1891), garçon boucher à Courbevoie et Adolphe-Eugène Berland (1871-1891), matelassier à Asnières, sont condamnés à mort par la cour d’assises de la Seine le 13 juin 1891 pour l’assassinat d’une vieille femme à Courbevoie. Le procès-verbal d’exécution a un contenu très formalisé, comportant toujours les mêmes informations dans un ordre respecté à l’identique pour chaque cas. Il débute par la mention de la date et de l’heure, puis après le rappel de la réquisition du parquet et de l’arrêt d’assises, annonce le transport du policier au greffe de la prison où le rédacteur prend note sur le registre d’écrou de l’identité du ou des condamnés. Il décrit ensuite le transport à la cellule du condamné, l’annonce à ce dernier de son exécution, cette dernière étant décrite avec économie, sauf s’il y a des incidents. Les vœux et dernières paroles du condamné sont relevés. L’exécution terminée, on constate le transport du corps au cimetière de Gentilly.

La presse

Généralement, les récits d’exécution sont économes de mots et se rapprochent du procès-verbal de police, surtout après le milieu du XIXe siècle, quand autorités et élites répugnent de plus en plus à mettre en avant le spectacle de la guillotine. Les journalistes de la « grande presse » s’arrêtent davantage sur deux aspects : d’une part, la quête d’informations sur l’attitude du condamné pendant son séjour à la Grande Roquette, dans l’attente de l’issue de son recours en grâce, et, d’autre part, la vigilance quant à l’imminence du moment de l’exécution. Au premier chef, il s’agit de publier les paroles supposées, les écrits et lettres des condamnés, en jouant sur le contraste du « monstre » qui a tué et de l’être humain qui a une famille et cherche à échapper à la mort. Au second, bien moins que le déroulement technique de l’exécution, on décrit longuement la foule en attente du spectacle qui va être donné. C’est cet aspect qui est présent dans les deux articles cités. Tout en alimentant l’avidité des spectateurs en supputant à l’avance la date de l’exécution, en publiant des articles sur le crime et le condamné, la presse se donne le beau rôle en critiquant la foule venue au spectacle. Pour la presse hostile à la peine capitale, comme Le Rappel, cette « fête de nuit » est un argument de plus en faveur de l’abolition.

Le spectacle

Habituée aux foules, parfois nombreuses, venant assister aux exécutions et craignant d’éventuels débordements, la préfecture de police de Paris prend à l’avance ses précautions, et organise un dispositif de surveillance des abords de la place de la Roquette lorsque la rumeur commence à faire venir les curieux désireux de « réserver leur place ». Le rapport rend compte d’une rafle qui a été effectuée, à la grande satisfaction des commerçants du quartier, parmi les prostituées et souteneurs qui n’ont d’ailleurs que peu de chemin à faire pour venir, puisqu’ils résident dans les « bouges » des rues voisines. Dans tous les rapports de police comme dans les articles des observateurs hostiles à la publicité des exécutions capitales, on trouve cette allusion à la « tourbe » malfaisante des « filles » et de leurs souteneurs venant faire la fête tout en souhaitant dire un dernier adieu à l’un des leurs, en espérant que ce dernier fera bonne figure sur la « bascule à Charlot ».

La Pommerais

L’exécution de La Pommerais (9 juin 1864) par Villiers de l’Isle-Adam

Auguste de Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889), écrivain proche du symbolisme, avait la réputation de fréquenter les exécutions. Edmond Couty de La Pommerais (1830-1864), médecin parisien, est condamné le 16 mai 1864 par la cour d’assises de la Seine, pour avoir empoisonné à la digitaline sa maîtresse et sa belle-mère afin de s’approprier un héritage. La description des derniers instants du condamné, du réveil à l’exécution, correspond parfaitement à la réalité. Villiers de L'Isle-Adam mentionne la présence du docteur Velpeau qui aurait demandé à son confrère supplicié d'ouvrir les yeux quand il l'appellerait une fois sa tête coupée : la question du temps de survie après la chute du couperet préoccupe pendant longtemps les milieux médicaux.

« Quatre jours après, vers cinq heures et demie du matin, M. Beauquesne, l’abbé Crozes, M. Claude et M. Potier, greffier de la Cour impériale, entrèrent dans la cellule. Réveillé, M. de La Pommerais, à la nouvelle de l’heure fatale, se dressa sur son séant fort pâle, et s’habilla vite. Puis, il causa dix minutes avec l’abbé Crozes, dont il avait déjà bien accueilli les visites : on sait que le saint prêtre était doué de cette onction d’inspiré qui rend vaillante la dernière heure...

Ensuite, voyant survenir le docteur Velpeau :

— J’ai travaillé, dit-il. Voyez !

Et, pendant la lecture de l’arrêt, il tint close sa paupière droite en regardant le chirurgien fixement de son œil gauche tout grand ouvert.

Velpeau s’inclina profondément, puis, se tournant vers M. Hendreich, qui entrait avec ses aides, il échangea, très vite, avec l’exécuteur, un signe d’intelligence.

La toilette fut rapide : l’on remarqua que le phénomène des cheveux blanchissant à vue d’œil sous les ciseaux ne se produisit pas. Une lettre d’adieu de sa femme, lue à voix basse par l’aumônier, mouilla ses yeux de pleurs que le prêtre essuya pieusement avec le morceau ramassé de l’échancrure de la chemise. Une fois debout et sa redingote jetée sur les épaules, on dut desserrer ses entraves aux poignets. Puis il refusa le verre d’eau-de-vie et l’escorte se mit en marche dans le couloir. À l’arrivée au portail, rencontrant, sur le seuil, son collègue :

— À tout à l’heure ! lui dit-il très bas, et adieu.

Soudain les vastes battants de fer s’entrouvrirent et roulèrent devant lui.

Le vent du matin entra dans la prison ; il faisait petit jour : la grande place, au loin s’étendait, cernée d’un double cordon de cavalerie ; en face, à dix pas, en un demi-cercle de gendarmes à cheval, dont les sabres, tirés à son apparition, bruirent, surgissait l’échafaud. À quelque distance parmi des envoyés de la presse, on se découvrait.

Là-bas, derrière les arbres, on entendait les houleuses rumeurs de la foule, énervée par la nuit. Sur les toits des guinguettes, aux fenêtres, quelques filles fripées, livides, en soieries voyantes, d’aucunes tenant encore une bouteille de champagne se penchaient en compagnie de tristes habits noirs. Dans l’air matinal, sur la place, des hirondelles volaient, de-ci de-là.

Seule, emplissant l’espace et bornant la ciel, la guillotine semblait prolonger sur l’horizon l’ombre de ses deux bras levés, entre lesquels bien loin là-haut, dans le bleuissement de l’aube, on voyait scintiller la dernière étoile.

À ce funéraire aspect, le condamné frémit, puis marcha résolument, vers l'échappée… Il monta les degrés d’abord. Maintenant le couteau triangulaire brillait sur le noir châssis, voilant l’étoile. Devant la planche fatale, après le crucifix, il baisa cette messagère boucle de ses propres cheveux ramassée pendant la toilette, par l'abbé Crozes, qui lui en toucha les lèvres : — "Pour elle !…" dit-il.

Les cinq personnages se détachaient, en silhouettes, sur l’échafaud : le silence, en cet instant, se fit si profond que le bruit d’une branche cassée, au loin, sous le poids d’un curieux, parvint, avec le cri et quelques vagues et hideux rires, jusqu’au groupe tragique. Alors, comme l’heure sonnait dont il ne devait pas entendre le dernier coup, M. de La Pommerais aperçut, en face, de l’autre côté, son étrange expérimentateur, qui, une main sur la plate-forme, le considérait !… Il se recueillit une seconde et ferma les yeux.

Brusquement, la bascule joua, le carcan s’abattit, le bouton céda, la lueur du couteau passa. Un choc terrible secoua la plate-forme ; les chevaux se cabrèrent à l’odeur magnétique du sang et l’écho du bruit vibrait encore, que, déjà le chef sanglant de la victime palpitait entre les mains impassibles du chirurgien de la Pitié, lui rougissant à flots les doigts, les manchettes et les vêtements.

C’était une face sombre, horriblement blanche, aux yeux rouverts et comme distraits, aux sourcils tordue, au rictus crispé : les dents s’entrechoquaient ; le menton, à l’extrémité du maxillaire inférieur, avait été intéressé.

Velpeau se pencha vite sur cette tête et articula, dans l’oreille droite, la question convenue. Si affermi que fût cet homme, le résultat le fit tressaillir d’une sorte de frayeur froide : la paupière de l’œil droit s’abaissait, l’œil gauche, distendu, le regardait.

— Au nom de Dieu même et de notre être, encore deux fois ce signe ! cria-t-il un peu éperdu.

Les cils se disjoignirent, comme sous un effort interne ; mais la paupière ne se releva plus. Le visage, de seconde en seconde, devenait rigide, glacé, immobile. C’était fini.

Le docteur Velpeau rendit la tête morte à M. Hendreich qui, rouvrant le panier, la plaça, selon l’usage, entre les jambes du tronc déjà inerte.

Le grand chirurgien baigna ses mains dans l’un des seaux destinés au lavage, déjà commencé, de la machine. Autour de lui la foule s’écoulait, soucieuse, sans le reconnaître. Il s’essuya, toujours en silence.

Puis, à pas lents, le front pensif et grave ! — il rejoignit sa voiture demeurée à l’angle de la prison. Comme il y montait, il aperçut le fourgon de justice qui s’éloignait au grand trot vers Montparnasse. »

Source : « Secret de l'échafaud », Le Figaro, 23 octobre 1883

Troppmann

L’exécution de Troppmann (19 janvier 1870)

Jean-Baptiste Troppmann (1849-1870) est condamné à mort par la cour d’assises de la Seine le 31 décembre 1869 pour l’assassinat de Mme Kinck et ses six enfants à Pantin. Le crime, le procès et l’exécution de Troppmann sont généralement considérés comme le premier exemple d’exploitation par la grande presse d’un fait divers criminel : le Petit journal, créé en 1863, atteint alors des tirages considérables. On rapporte qu’un de ses journalistes aurait pris la place d’un aide du bourreau pour être au plus près de l’événement ! L’Illustration évoque une « exécution triomphale ».
Le récit de M. Claude, chef de la sûreté témoigne bien de cet aspect en insistant sur l’importante présence de la « populace », dans le contexte du déclin du régime impérial et du scandale de l’assassinat du journaliste républicain Victor Noir. Mais la « fête » est aussi du côté officiel puisque le directeur de la prison donne réception à cette occasion…

Voici un autre récit de l'exécution par Monsieur Claude, chef de la police de sûreté :

« Le 19 janvier [1870] était pour Troppmann son dernier jour.
Depuis deux jours et deux nuits la populace, très surexcitée à cette époque par la politique, ne cessait d’envahir la place de la Roquette. Elle riait, elle chantait La Marseillaise, pendant que Troppmann, dans sa cellule, méditait sur sa dernière heure en lisant Le Dernier jour d’un condamné !
Alors il entrait dans la période la plus atroce qui précède l’heure suprême, période où le condamné à mort a la frayeur de son supplice…
Troppmann, qui avait à peine vingt ans, sortit de la Roquette et parut à l’échafaud avec un visage de cinquante.
Il était déjà vieux sur la place de la guillotine. Il était pâle abattu, les traits bouleversés, les yeux rougis par la fièvre, non par les larmes car il ne pleurait pas.
On avança pour Troppmann l’heure des exécutions ordinaires, tant on redoutait les représailles de la populace qui voulait son cadavre !
Le cabaret, les arbres étaient remplis de monde ; la foule buvait et chantait La Marseillaise pendant que l’on montait les bois de justice.
Il n’y avait pas que la place et la rue de la Roquette qui fussent bondées d’un monde jaloux de voir l’exécution de ce criminel ; la prison de la Roquette était aussi occupée par un grand nombre d’auteurs, de journalises français et étrangers. Ils avaient été convoqués par faveur spéciale à l’acte final du plus grand drame des cours d’assises dont Troppmann était l’épouvantable héros.
On ne soupait pas que dans les cabarets de la Roquette, on soupait chez le pharmacien d’en face, jusque dans les salons du directeur de la prison.
Les lunchs au buffet de la cour d’assises, qui avaient eu lieu avec tant de scandale au moment où le président prononçait la sentence de Troppmann, se continuaient dans la prison, à deux pas de l’échafaud ; c’était cynique, effrayant et écœurant !
Lorsque je rejoignais l’abbé Crozes, il était près de six heures et demie. J’étais accompagné de mon secrétaire, du directeur de la prison, du greffier de la cour et du commissaire de police…
On lui enleva sa camisole de force, on lui passa les courroies, et le prêtre, tremblant d’émotion lui dit ses dernières prières.
La toilette terminée, on jeta un vêtement sur ses épaules presque nues…
Alors l’exécuteur le tint à sa droite, je me tenais à sa gauche, à une distance respectueuse, de façon à ne pas trahir le secret de la confession.
Il embrassa le prêtre à deux reprises ; arrivé à la guillotine, j’entendis distinctement les dernières paroles adressées à l’abbé :
- Ah ! dites bien à M. Claude que je persiste…
Il s’arrête, regarde l’échafaud.
Par un effort désespéré, plein de rage, il brise les entraves qui le gênent.
Pour la première fois en public, Troppmann donne des signes manifestes de terreur et de révolte.
On parvint non sans peine à l’étendre sur la bascule ; il porte brusquement la tête et le corps du côté droit.
Ramené vers la demi-lune, il s’élance violemment en avant, cherche à y introduire l’épaule droite.
Par son agilité, par sa force extraordinaire, que seconde l’élasticité de son corps, il se cramponne, il s’acharne à la vie.
C’est une lutte ignoble, épouvantable, entre l’exécuteur et le supplicié.
L’exécuteur le maintient de la main droite tandis que, de la gauche, il presse un ressort et fait tomber le couteau.
Avant l’expiation, Troppmann reparaît tel qu’il a été sur le champ Langlois : il mort la main du bourreau !
Quand la tête tombe, deux individus sortis on ne sait d’où se précipitent sous l’échafaud.
Ils ramassent avec leur mouchoir le sang qui coule à travers les planches des bois de justice pour se répandre sur le pavé… »

Source : Extrait des Mémoires de Monsieur Claude, chef de la police de sûreté sous le Second Empire, présentés par Sylvain Goudemare, Paris, Arléa, 1999, chap. XXXI. La dernière heure de Troppmann, p. 311-313

Pour en savoir plus : consulter la bibliographie sur le site Criminocorpus.

L’exécution de Barré et Lebiez (1878)

L’avidité du public

Aimé Barré et Paul Lebiez sont condamnés à mort par la cour d’assises de la Seine le 31 juillet 1878. Le premier avait tué une femme rue Poliveau à Paris pour la voler, et le second l’a aidé à dépecer le corps pour l’expédier ensuite dans une malle au Mans. Ils sont exécutés le 7 septembre de la même année. C’est donc quelques jours après que le chef de la police municipale fait un rapport sur les foules de plus en plus nombreuses assistant aux exécutions, sur l’avidité et le caractère malsain qui incite à être le plus près possible de la guillotine et sur les moyens de remédier à ce qu’il considère comme un scandale. Prenant en compte son expérience, il commence par noter l’ampleur grandissante des foules : 25 000-30 000 personnes en ce début septembre 1878, affluence qu’il n’a jamais jusqu’alors rencontrée. On vient près d’une semaine à l’avance, ne quittant la place de la Roquette qu’après minuit quand on est certain que les préparatifs ne commenceront pas le jour même. Le rapport fait une analyse très intéressante sur la composition des spectateurs : à la masse du peuple tenu à distance éloignée de la place par les barrages de soldats, qui certes est « grossier » et prêt aux « désordres » mais dont on a aisément raison, le policier est outré par les privilégiés, qui arguent de recommandations pour se trouver aux premières loges. Tels les journalistes et le « tout-Paris » des désœuvrés et soupeurs, bref « tous les degrés de l’échelle sociale » sont aux aguets. Le chef de la police municipale ne peut que douter de l’effet « moralisateur » de la guillotine et proposer de faire l’exécution sans publicité, à l’intérieur de la prison.

Une proposition d’interdire toute publicité (1909)

De nombreuses propositions de loi ont été faites pour interdire la publicité des exécutions capitales, en particulier par les parlementaires partisans du maintien de la peine de mort, conscients de l’absence d’intimidation d’un tel spectacle. Ce faisant, ils ruinent un de leurs principaux arguments et les abolitionnistes ont beau jeu d’insister sur une guillotine dont on est si peu sûr de son efficacité pour lutter contre le crime, qu’on finit par vouloir la cacher comme si on en avait honte. Toutefois, aucune de ces propositions n’aboutira avant 1939. L’originalité de la proposition citée est de s’en prendre à la presse accusée de faire la publicité, non de la guillotine, mais des criminels à travers l’évocation des derniers jours des condamnés, et d’offrir leurs « têtes coupées » en pâture aux lecteurs jusqu’au fin fond des campagnes. Pour les auteurs de ce projet de loi, renfermer l’échafaud dans la cour de la prison n’est pas suffisant, il faut aussi interdire toute représentation figurée de la scène de l’exécution et des condamnés. Il faudra attendre 1951 pour que ce vœu soit en partie exaucé avec la loi du 11 février 1951 qui interdit la publication de toute information sur le condamné « tant que le procès-verbal de l'exécution n'a pas été affiché, ou le décret de grâce notifié au condamné ou mentionné à la minute de l'arrêt ».

Lacenaire

L’exécution de Lacenaire et la manipulation de la presse

Les crimes et le procès de Lacenaire ont créé un profond trouble dans l’opinion bourgeoise, scandalisée par la révolte permanente de l’intéressé, par sa guerre envers la société jusqu’à l’exécution, puisque aussi bien un de ses derniers poèmes écrits à la Conciergerie est une déclaration d’amour à la guillotine… Lacenaire apparaît comme le monstre absolu, sapant par son attitude insolente les fondements de l’ordre social. Aussi les autorités ont-elles à cœur de trouver une faille dans le personnage, pour prouver à l’opinion – via la presse – que Lacenaire est finalement un homme comme les autres avec ses faiblesses et ses lâchetés. La scène de l’exécution devient un enjeu : on espère qu’il fera preuve de faiblesse, témoignant ainsi qu’il est un homme comme les autres, manifestant sa peur au pied de l’échafaud. Le compte rendu donné par La Gazette des tribunaux va dans ce sens. Pour le chef de la police de sûreté qui a assisté à l’exécution la version est différente.

 

« Le lendemain, la voiture qui les conduisait n’arriva au lieu de l’exécution qu’à huit heures trois quarts, par suite du mauvais état des chemins. Voici en quels termes la Gazette des Tribunaux rendit compte de cette double expiation :

« À neuf heures moins un quart, le funèbre cortège est arrivé au pied de l’échafaud qui avait été dressé à une heure après minuit à la lueur des torches...

Lacenaire descend brusquement de la voiture, la pâleur de son visage est effrayante, son regard est vague et incertain, il balbutie et semble chercher des paroles que sa langue se refuse à articuler ; Avril descend après lui d’un pas leste et décidé, et jette un regard tranquille sur le public ; toujours résigné, il s’approche de Lacenaire et l’embrasse. – Adieu mon vieux, lui dit-il, je vais ouvrir la marche ! Il monte d’un pas ferme les degrés de l’échafaud, on l’attache sur la planche fatale, il se retourne encore et dit : Lacenaire, mon vieux, allons, du courage ! imite-moi ! C’est sa dernière parole et le couteau fait rouler sa tête sur les planches de l’échafaud. Pendant cet horrible moment, Lacenaire est au pied de l’escalier, M. L’abbé Montès cherche à détourner son attention de l’effroyable spectacle qu’il a devant les yeux… Ah ! bah ! répond Lacenaire d’une vois atterrée… En vain cherche-t-il à faire croire à une assurance qu’il n’a pas. – Monsieur Allard est-il là ? demande-t-il d’une voix de plus en plus éteinte. – Oui, lui répond M. Canler, sous-chef au service de sûreté…- Ah ! j’en suis… bien aise… Il avait annoncé qu’il parlerait au peuple ; mais il n’en a plus la force ; ses genoux fléchissent, sa figure est décomposée, il monte les degrés, soutenu par les aides de l’exécuteur et le coup fatal a bientôt mis fin à ses angoisses et à sa vie. »

Dans le récit de la Gazette des Tribunaux, tout ce qui concerne Avril est de la plus grande exactitude, mais il n’en est pas de même pour ce qui se rapporte à Lacenaire. J’ai vu et entendu tout ce qui s’est fait, tout ce qui s’est dit au moment de l’exécution, car j’étais un des témoins les plus rapprochés de l’échafaud et des patients, auxquels j’ai parlé ; tout ce sinistre épisode est resté gravé dans ma mémoire d’une manière ineffaçable, et en voici la narration exacte et fidèle :

Lacenaire descendit lentement de la voiture, embrassa Avril, et, m’ayant aperçu à sa droite me salua gracieusement de la tête, puis me dit : Ah ! vous voilà ! bonjour, monsieur Canler, c’est bien à vous d’être venu ! M. Allard est-il là ? – Oui, lui répondis-je. Pendant ce colloque, sa physionomie était souriante et ne dénotait aucune préoccupation d’anxiété ; Avril monta hardiment les degrés de l’échafaud ; quand il fut attaché sur la planche fatale, il jeta la tête en arrière et cria d’une voix forte : Adieu, mon vieux Lacenaire ! du courage ! A quoi Lacenaire répondit d’une voix pleine et énergique : Adieu ! adieu ! Le sieur Desmarest, exécuteur des hautes œuvres à Beauvais, beau-frère de celui de Paris, qu’il était venu assister dans cette double exécution, s’approcha alors de Lacenaire, et le prenant par les épaules, le força à se retourner pour qu’il ne pût voir l’instrument du supplice ; Lacenaire céda à l’impulsion, mais, se retournant aussitôt, il leva de nouveau la tête pour regarder l’horrible spectacle qui se passait derrière lui, il contempla le couteau suspendu sur la tête de son complice, y jeta deux fois les regards en signe de défi, en disant : Je n’ai pas peur ! va ! je n’ai pas peur ! et ce ne fut que par la force qu’on le contraignit à se retourner de nouveau. Bientôt, il monta lui-même d’un pas assuré les marches de l’échafaud, et une seconde après il n’existait plus.

Je dois pour rendre hommage à la vérité, expliquer la contradiction qui existe entre l’article de la Gazette des Tribunaux et ma narration.

La façon excentrique dont Lacenaire s’était posé pendant l’instruction et les débats lui avait acquis une déplorable célébrité, par suite de la persistance que la presse apportait chaque jour à attirer sur ce grand criminel la curiosité de ses lecteurs. Les paroles rapportées, la publication des vers qu’il avait composé, l’annonce de l’impression prochaine de ses mémoires, tout cela pouvait être d’un exemple aussi fâcheux que contagieux pour certains caractères enclins à se croire méconnus dans la société, et poursuivis par la funeste idée d’arriver à se faire une célébrité de quelque nature que ce fût. Aussi cette considération détermina l’autorité à vouloir, avec raison, dans l’intérêt de la morale, que Lacenaire, le grand criminel, le grand assassin, l’homme qui s’était fait un jeu de la vie de ses semblables et qui avait répandu le sang avec une froide cruauté, que Lacenaire, dis-je, parût avoir faibli dans ses derniers moments, et que le public crût qu’il était mort en lâche.

La Gazette des tribunaux avait chargé un homme de lettres, étranger à sa rédaction, de faire le compte rendu de l’exécution ; mais cette personne, n’ayant pu approcher de l’échafaud, avait prié un employé au journal de prendre à la préfecture des informations qui lui furent données de telle sorte que l’article fut rédigé dans le sens qu’on désirait. »

Source : Extrait des Mémoires de Canler, ancien chef de la police de sûreté, tome I, 4e éd., Paris, F. Roy, 1882, p. 369-373

Un compte rendu d’exécution (Chartres, 1874)

Extrait du Journal de Chartres, 1er octobre 1874

Louis Sylvain Poirier (1843-1874) est condamné par la cour d’assises d’Eure-et-Loir le 27 août 1874 pour cinq assassinats suivis de vols. Il est exécuté sur la place Morard à Chartres un mois après, le 29 septembre. Le récit du journal est représentatif des comptes-rendus relatifs à une exécution dans la presse provinciale. On retrouve un cadre narratif identique, avec toujours les mêmes séquences : arrivée des bois de justice, annonce au condamné du rejet de sa grâce, travail de l’aumônier – confession, messe, communion –, arrivée du bourreau et de ses aides pour la toilette, montage de la guillotine, départ et transport jusqu’à la place du supplice, récit rapide de l’exécution qui privilégie le côté professionnel du bourreau en faisant silence sur le sang versé. On présente le condamné sinon comme un modèle de courage, du moins résigné, légitimant la peine qui lui est infligée.

Pour en savoir plus : Marine M'Sili, « Une mise en scène de la violence légitime : les exécutions capitales dans la presse (1870-1939) », in Régis Bertrand, Anne Carol (dir.). L'exécution capitale, une mort donnée en spectacle XVIe-XXe siècle, Aix-en-Provence, Publications de l'université de Provence, 2003, p. 167-178

Exécution de Poirier

« Condamné à mort le 27 août par la Cour d’assises d’Eure-et-Loir, Poirier, l’assassin des Coujartières, de Tourne Bride et du Tertre, a été exécuté, mardi matin, 29 septembre, sur la place Morard, à Chartres. Il est rare que l’intervalle soit aussi court entre le jour du jugement et celui du supplice : trente-trois jours seulement.…

Dimanche, il a reçu la visite de sa femme et d’un de ses frères. Il savait déjà que son pourvoi en révision avait été rejeté ; mais malgré cela l’espoir ne l’avait pas abandonné et il recommanda instamment à sa malheureuse femme, qui portait dans ses bras un enfant de trois semaines, d’aller demander sa grâce au préfet, même au maréchal de Mac Mahon.

Personne n’était informé à Chartres que l’exécution dût être si proche. Mais lundi à midi on vit la voiture qui contient la fatale machine arriver avec le train et la nouvelle ne tarda pas à se répandre dans la ville.…

Mardi, à quatre heures et demie du matin, M. Étienne, le gardien-chef de la prison entra dans la cellule de Poirier et, s’apercevant qu’il ne dormait pas, il lui dit ou à peu près : « J’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre, votre pourvoi et votre recours en grâce ont été rejetés. L’exécution est pour ce matin ». Le condamné ne parut pas très impressionné ; il se contenta de répondre : « Vous auriez bien pu me prévenir hier ! ». Le gardien-chef se retira et les aumôniers entrèrent apportant les suprêmes consolations de la religion. Poirier leur recommanda ses enfants à plusieurs reprises et il répétait : « Pour moi ce n’est rien, je n’ai pas peur de mourir, mais pour mes enfants ! ». Et il tirait de sa poche des papiers, probablement des lettres de sa femme, qu’il approchait de ses lèvres.

À cinq heures, M. Roch et ses aides arrivèrent pour procéder à la toilette. Le gardien-chef ôta les écrous qui emprisonnaient les mains de Poirier, la bricole passée autour du cou et de ses reins fut vivement enlevée. Quelques minutes suffirent pour couper le col de la chemise, attacher les mains derrière le dos, ficeler les bras et nouer au-dessous du menton les manches de la veste qui lui couvrait les épaules.

M. l’abbé Roussillon fit alors agenouiller Poirier en face d’une petite statue de la Vierge placée au-dessus de la porte du réfectoire, et le condamné, qui pleurait depuis quelque temps, récita d’une voix intelligible et claire les prières que lui indiqua l’aumônier.

Le moment du départ était venu. Poirier n’avait pas voulu manger ni boire du vin : il avait accepté seulement un petit verre de cognac. Il monta dans la voiture avec les deux prêtres, et le cortège se mit en marche, précédé et suivi par un piquet de gendarmes à cheval, escorté, à droite et à gauche, par des gendarmes à pied, sous le commandement du maréchal des logis chef M. Hanier. Le trajet de la prison à la place Morard est assez long : on suit la rue des Lisses, le Marché à la Filasse, la rue Muret, la place Drouaise et les boulevards du tour de ville.

La place Morard était occupée par une foule peu nombreuse, dans laquelle il y avait beaucoup de femmes. Autour de la machine, un cercle de dragons à cheval et à pied commandé par leurs officiers et de gendarmes à cheval sous les ordres du capitaine M. Dubat. Le commissaire de police et ses agents étaient présents.

À cinq heures trente-cinq minutes, la voiture s’arrêtait à côté à côté de la guillotine. M. l’abbé Roussillon descendit le premier, Poirier ensuite, M. l’abbé Durand le dernier. Les deux aumôniers lui donnèrent l’accolade, puis Poirier se mit à genoux au bas de l’escalier pour réciter sa dernière prière. Les dévoués prêtres l’embrassèrent encore une fois, avant que les exécuteurs l’emmenassent à la guillotine. Poirier dit : « Mes enfants ! mes enfants ! » et les recommanda à M. l’abbé Roussillon. Cela dura quelques secondes. Il tendit le cou, on entendit un bruit sec, la tête tomba.

L’assassin dont les forfaits avaient terrifié l’arrondissement de Nogent-le-Rotrou était mort. Puisse le châtiment qu’il a subi servir de leçons à d’autres ! ».

Source : Journal de Chartres, jeudi 1er octobre 1874, extraits

Un incident

Un incident lors d’une exécution à Privas (1850)

Dans cette exécution qui se déroule à Tournon en 1850, le mécanisme entraînant la chute du couperet s’est enrayé et l’opération a dû être suspendue dix minutes, le condamné ayant dû être retiré de sa position le temps de la réparation. Le rapport du procureur montre bien la hantise de ce genre d’incidents pour les autorités : en dehors du fait qu’on « prolonge l’agonie du malheureux patient », on craint surtout que l’assistance, jetée dans une « horrible anxiété » soit amenée à commettre des excès sur les exécuteurs. La crainte n’est pas vaine car il y eut de tels incidents graves pendant le premier XIXe siècle.

Exécution d'Hébrard à Alby (correspondance particulière) 

Souffrances inouies du condamné. Horribles détails.

Condamné à la peine de mort le 16 avril dernier – voir la Gazette des Tribunaux du 8 mai –, Pierre Hébrard avait quelque lueur d’espérance ; il comptait sur la demande qu’il avait formée en commutation de peine. Cinq mois s’étaient écoulés, et il croyait qu’on ne l’aurait pas laissé vivre si longtemps pour le faire mourir.
C’est dans une telle position, que le lundi 12 septembre, à dix heures du matin, il apprend qu’il doit être exécuté à quatre heures du soir. Sa résignation a été remarquable ; il a fait appeler un prêtre, lui a avoué son crime avec autorisation d’en instruire le public.
À quatre heures précises, on le tira de son cachot pour le mettre sur la fatale charrette ; mais à peine y est-il, qu’on lui annonce que l’exécution est retardée de deux heures : le malheureux croyait peut-être qu’un ordre de sursis venait d’arriver, il n’en était rien.
Depuis près de cinq ans il n’y avait pas eu d’exécution à mort dans ce département ; l’échafaud se trouvait dérangé. Un aide que l’exécuteur avait renvoyé, est accusé de l’avoir fait pour jouer un mauvais tour à son maître. Aussitôt le procureur du Roi ordonne à un charpentier de le réparer, l’ouvrier obéit, et il paraît qu’après cette réparation, l’exécuteur pourra trancher la tête d’Hébrard.
Cet infortuné arrive à six heures, une population immense entourait l’échafaud ; la gendarmerie le sabre à la main, avait fait laisser un grand espace vide ; le condamné monte d’un pas assuré ; il est lié à la planche qui fait bascule ; le bourreau et deux aides sont sur l’échafaud ; on introduit la tête dans la lunette, le couteau tombe, mais en vacillant ; le condamné n’est pas atteint. Aussitôt se fait entendre le frémissement de la populace, le couteau est levé de nouveau ; mais il tombe pour la seconde fois, et n’atteint pas encore le condamné ; il pousse alors des cris horribles ; une grêle de pierres est lancée sur les exécuteurs ; ils essayent une troisième fois d’exécuter le mandement de justice, mais en vain, le couteau ne fait qu’une blessure légère, et les cris du patient renouvelés avec plus de force, portent l’effroi dans tous les cœurs.
L’exécuteur et ses deux aides, consternés eux-mêmes, et atteints par une grêle d’énormes pierres, furent obligés de franchir l’échafaud et de chercher leur salut dans la fuite ; Hébrard demeura toujours la tête dans l’horrible lunette. Quelle horrible position ! Il n’était presque pas blessé. Cela dura trois minutes environ ; l’exécuteur en chef remonte seul et essaie de nouveau de lui trancher la tête ; il lève le couteau à deux reprises, mais le couteau descend en vacillant et n’atteint pas le condamné.
Il faut observer que la dernière fois, c’est-à-dire la cinquième, que le couteau fut levé, il entraîna dans son ascension la moitié de la lunette. Les pierres tombaient toujours sur l’échafaud, l’exécuteur descend et fuit, la lunette se trouvant levée, Hébrard eût la tête dégagée, et c’est alors qu’il se releva comme sortant du tombeau ; quelques hommes du peuple crièrent bravo, tant on était stupéfait de voir debout un homme que l’instrument de mort avait épargné cinq fois, c’est alors qu’il demanda du secours. Un ouvrier s’approcha de l’échafaud, mais il n’osa y monter.
Deux minutes après, le plus jeune des aides de l’exécuteur, bravant les pierres et le cri de la populace, remonte seul, et a un très court entretien avec Hébrard. Il paraît que ce dernier lui disait : détachez-moi, car il était toujours attaché à la bascule. L’aide lui dit : tournez la tête, et à l’instant il le saisit debout, et frappe de plusieurs coups avec une dague dont se servent les sabotiers. La tête d’Hébrard à demi coupée, se penche sur l’épaule gauche, et l’aide est obligé de fuir et de chercher refuge auprès de la gendarmerie.
Il était 6 heures 10 minutes. Hébrard, qui peut-être respirait encore, demeura deux heures dans cette position exposé aux regards du peuple. Quelques personnes affirment que pendant une demi-heure, il fit quelques mouvements ; la bouche de temps en temps s’ouvrait. Comme le cadavre ne put être retiré qu’à l’aide d’une forte escorte, la maison de l’exécuteur fut entourée par la populace et les vitres cassées à coups de pierres. On doit dire à la vérité de dire que l’exécuteur n’a pas de reproches à se faire ; il résulte d’un rapport des gens de l’art nommés par le procureur du Roi que l’échafaud avait été dérangé exprès, et les plus grands soupçons se portent sur un aide qui avait été renvoyé auparavant.
Voici les termes textuels du rapport : « Je soussigné, Jean-Pierre Sulvi-Frezouls, entrepreneur des bâtiments et maître charpentier, habitant à Albi, déclare m’être transporté, par ordre de M. le procureur du Roi, chez l’exécuteur de la haute justice, pour procéder à la vérification de l’instrument de mort... J’ai reconnu que les languettes du tranchant avaient été retouchées, ce qui l’empêche de tomber dans son aplomb ; que les reinures de la lunette l’avaient été aussi, mais dans le sens contraire de ce qu’elles devaient être, de manière que ledit tranchant ne pouvait descendre à sa destination sans rencontrer – la lunette.
Je pense que l’on ne peut attribuer ce fait qu’à quelque individu qui eut quelque expérience dans cet état, et qu’il l’a fait par méchanceté. »
L’exécuteur en chef s’arracha les cheveux de désespoir en voyant qu’il avait manqué son coup, et ce, la première fois que le couteau descendit.
On peut maintenant demander si l’aide avait le droit de changer le supplice ordonné. La tête d’un condamné doit être tranchée, d’après l’article 12 du Code pénal.
Une loi de 91 définit le mode d’exécution. Il est fait mention dans cette loi de l’horrible supplice que subit M. Lally-Tolendal.
Tout Paris, toute la France, furent indignés lorsqu’on apprit que cette célèbre victime avait reçu plusieurs coups sans avoir la tête tranchée.
Cet événement n’a pas peu contribué à l’invention de la guillotine, renouvelée d’une machine hollandaise. Hébrard n’a pas été guillotiné ; il a été poignardé, debout, avec un outil de sabotier. Veuillez, dans l’intérêt de l’humanité, discuter cette question. Que serait-il arrivé, s’il y avait eu deux condamnés à exécuter ? Un homme, quel qu’il fût, aurait-il eu le droit de les traîner sur l’échafaud et de les poignarder l’un après l’autre ? On ne saurait dépeindre l’horreur d’un pareil spectacle ; on entendait le tumulte à une lieue de la ville.
Jamais, non jamais rien d’aussi déchirant n’avait porté à consternation dans une cité. Que les partisans de la peine de mort viennent puiser des enseignemens dans la scène du 12 septembre ! Un horrible assassin avait ouvert tous les cœurs à la pitié, et si Roussille, qui avait été la victime de l’assassinat, n’eût été un homme tant aimé dans le pays, le peuple aurait arraché son meurtrier au glaive de la loi.
Tel est le récit exact de ce qui s’est passé. Notre correspondant s’excuse du désordre qui a pu s’y introduire lorsqu’il avait l’âme encore révoltée par de pareilles atrocités. »

Source : Exécution d'Hébrard à Alby – correspondance particulière –, Gazette des tribunaux, lundi 19 et mardi 20 septembre 1831