Plaque commémorative à l’angle de la rue de la Santé et du boulevard Arago.
Source : Internet.
Avec l’entrée en guerre de la France, le 3 septembre 1939, s’ouvre une page sombre de l’histoire de la Santé. Dans un Paris déclaré ville ouverte, la prison de la Santé subit elle aussi l’occupation allemande. Si le quartier haut reste géré par l’administration française, les autorités militaires nazies prennent le contrôle de la « Six » et des quatre divisions du quartier bas, installant sur place une garnison de soldats allemands et transformant le rond point central de surveillance en véritable « bunker » après le remplacement de l’autel par une mitrailleuse. Pour la première fois de son histoire, la Santé accueille des femmes (au premier rang desquelles Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova, Germaine Tillion…), le quartier bas devenant mixte jusqu’au départ des Allemands fin 1942. Les 1re et 2e divisions sont affectées aux seuls « terroristes » – c’est-à-dire aux résistants –, tandis que les 3e et 4e divisions accueillent également les droit commun. La séparation des sexes se fait par étage.
Que ce soit du côté français ou du côté allemand, les effectifs montent en flèche. La Santé abrite bientôt 4 000 à 5 000 détenus : communistes (toujours poursuivis par la police française) et opposants au régime nazi certes, mais surtout la population habituelle des droit commun augmentée des auteurs de délits liés à l’état de guerre (fraude, marché noir…) ou au contexte de rigueur morale du régime de Vichy (alcoolisme, adultère…).
La prison de la Santé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Plaque commémorative à l’angle de la rue de la Santé et de la rue Jean Dolent.
Source : Internet.
Si l’heure n’est pas encore à la répression sauvage en cette fin 1940, les choses changent radicalement avec la rupture du pacte germano-soviétique et l’entrée des troupes allemandes en URSS le 22 juin 1941. À Paris, un soldat allemand est abattu par un jeune communiste (le célèbre colonel Fabien). L’occupant impose aux autorités françaises de mener la répression de ce type d’attentats, faute de quoi, il s’en chargera lui-même : on parle d’exécuter 150 otages. Pour éviter le pire, une juridiction exceptionnelle, dite « Section spéciale », est créée. Mais les véritables auteurs des assassinats étant introuvables, on fait comparaître le 27 août onze condamnés communistes purgeant déjà une peine dans les cellules des 13e et 14e divisions de la Santé. Pour donner satisfaction aux Allemands, des peines de travaux forcés et trois condamnations à mort sont prononcées à l’encontre de petits délinquants ou détenus pour délit d’opinion. Les exécutions ont lieu dès le lendemain dans la cour d’honneur de la prison du 14e arrondissement. En effet, l’occupant réclame davantage de têtes. Une nouvelle juridiction, le Tribunal d’État, condamne trois autres prisonniers à la peine capitale et la guillotine s’élève donc à nouveau le 24 septembre 1941 au 42 rue de la Santé. Le 23 juillet 1942, ce sont trois militants communistes, meurtriers de trois policiers français lors de la répression d’une manifestation organisée par le parti, qui sont cette fois exécutés.
La prison de la Santé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Roger Payen, 30 avril.
Source : « Témoignage de Roger Payen sur les fusillés du 30 avril 1944 à la prison de la Santé ».
Tournant de la guerre, la fin de l’année 1942 vient également bouleverser la gestion de la prison de la Santé. Depuis le mois de septembre, les Allemands ont progressivement déserté l’établissement parisien pour s’installer définitivement à Fresnes, entièrement soumise à leur autorité à compter du printemps 1943. La Santé est rendue à l’administration pénitentiaire française qui en profite pour réorganiser la détention. Les conditions de vie des détenus sont de plus en plus précaires : droit commun comme politiques sont entassés à huit par cellule ; les promenades sont très réduites tant la surpopulation rend problématique les déplacements ; la pénurie alimentaire est telle que les prisonniers sont à nouveau autorisés à recevoir des colis de leurs familles (et de la Croix Rouge pour les politiques). Parallèlement, la politique sécuritaire et répressive du régime de Vichy se renforce avec la multiplication des actes de résistance. Signe de ce durcissement progressif, le retour de l’administration pénitentiaire dans le giron du ministère de l’Intérieur en septembre 1943, avant son transfert au début de 1944 au secrétariat d’État au Maintien de l’Ordre, à la tête duquel vient d’être nommé Joseph Darnand. L’administration centrale sinon les établissements eux-mêmes sont désormais aux mains des collaborationnistes et des miliciens. Des cours martiales sont par ailleurs instituées pour juger les « terroristes ». Parmi eux, 37 jeunes résistants (FFI) de l’Aube, transférés à la Santé le 19 avril 1944 et condamnés dans la nuit du 29 au 30. Neuf sont destinés à la mort : ils sont fusillés dès l’aube venue contre le mur du chemin de ronde, du côté de la rue Jean Dolent, tandis que les détenus de droit commun et les politiques se mettent à chanter La Marseillaise à l’unisson.
La prison de la Santé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Pierrette Nivet, Plaque commémorative de l’exécution des patriotes de l’Aube (à l’intérieur du chemin de ronde, côté rue Jean Dolent), 2005.
Source : Christian Carlier, « 14 juillet 1944. Bal tragique à la Santé », Histoire pénitentiaire, 2006.
Une révolte éclate le 14 juillet 1944. En effet, depuis 1940 le régime de Vichy a interdit la célébration de la fête nationale. Or, répondant à l’appel général du Conseil national de la Résistance et du Comité parisien de libération, les prisonniers politiques entendent bien fêter l’événement alors que la libération du pays est en marche. De leur côté, les détenus de droit commun évoquent également ce jour symbolique pour mettre à exécution leurs projets de mutinerie. La direction intercepte des messages dès le 11 juillet (trois meneurs sont identifiés et envoyés au mitard) et s’inquiète de la tournure des événements. Elle exhorte ainsi et parvient à convaincre les résistants de s’en tenir à une manifestation pacifique et à ne pas s’associer au mouvement général : « Le geste est suicidaire, faute d’armement. Il ne peut que créer prétexte à une extermination pure et simple par l’occupant et ses séides ». Le 14 juillet, à l’heure convenue, la célébration des politiques se déroule donc dans la joie.
La prison de la Santé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Roger Payen, La Santé décorée par les détenus politiques le 14 juillet 1944.
Source : « Témoignage de Roger Payen sur les événements du 14 juillet 1944 à la prison de la Santé ».
La fête, organisée grâce à la complicité des surveillants acquis à la cause qui ont introduit clandestinement le matériel nécessaire, a eu lieu sans incident. Mais les détenus de droit commun – en particulier les plus jeunes – s’en sont sentis exclus. Ils veulent eux aussi leur 14 juillet. La révolte éclate peu après 22h aux 1er et 2e étages de la 9e : se servant de leurs châlits comme bélier, les prisonniers sont parvenus à défoncer les portes de leurs cellules. Le même scénario est bientôt à l’œuvre aux 10e et 12e divisions. Sentant le feu couver, la direction a augmenté légèrement l’équipe des surveillants de nuit et demandé en début de soirée le renfort d’un peloton de 25 gardes républicains armés. Mais ces précautions sont dérisoires face à la détermination des prisonniers qui bombardent les gardiens de projectiles divers. Le repli général vers le rond-point du quartier haut est décidé. Mais déjà le quartier bas s’est soulevé et les galeries des premières divisions sont elles aussi rapidement envahies. Le personnel échappe de peu aux mutins.
Devant l’ampleur de l’émeute, le directeur de l’administration pénitentiaire, André Baillet, décide de « faire appel au concours des autorités allemandes en raison de l’insuffisance de l’armement dont disposent les forces de police ». Vers minuit, une centaine de Feldengendarmes puis 200 miliciens, tous armés de fusils, de grenades et d’armes automatiques, pénètrent dans la prison. Les détenus politiques craignent à la fois l’exécution sommaire par les nazis, qui voient là le prétexte idéal pour se débarrasser d’eux, et la violence des révoltés, qui défoncent les portes de leurs cellules pour les forcer à participer à la mutinerie. Et puis, la Santé est soudain le théâtre d’une extraordinaire scène de bal populaire.
Le 15 juillet à 6h30, l’assaut est donné par le préfet de police et les forces de l’ordre entrent dans les décombrent de la détention, totalement saccagée.
Les autorités allemandes ne pensent qu’à exterminer les détenus politiques mais la direction de la prison prend leur défense et parvient à prouver que les portes de leurs cellules ont été défoncées depuis l’extérieur. Sous la pression du commandant nazi qui exige encore que 100 mutins soient fusillés sur le champ, les miliciens procèdent à un tri des prisonniers afin de débusquer les meneurs. Après une fouille minutieuse de plus de deux heures, 100 puis 50 otages sont choisis. Les chefs de la Milice parviennent à convaincre les Allemands d’abandonner l’idée d’une exécution sommaire immédiate au profit de la tenue d’une cour martiale. L’audience a lieu dès l’après-midi même, concluant à la condamnation à mort de 28 détenus (dont 20 ont moins de 20 ans) qui seront bientôt fusillés par les gardes républicains dans le chemin de ronde, encore une fois du côté de la rue Jean Dolent.
Les 34 victimes de ce 14 juillet tragique sont enterrées au cimetière d’Ivry, lieu d’inhumation des condamnés à la peine capitale.
En attendant la Libération de Paris le 25 août 1944, les prisonniers s’entassent à 12 ou 13 dans les cellules encore en état. Dès le 17, le consul de Suède a obtenu la libération des détenus politiques des prisons de la Roquette, des Tourelles et de la Santé.
Préfecture de police, Prison de la Santé. Vue arienne, rue de la Santé et rue Jean Dolent, cliché n° 12, 29 juillet 1974.
Source : Archives de la Préfecture de Police de Paris_Photothèque (tous droits réservés).
Le plan national de rénovation des bâtiments pénitentiaires (1950-1960). Préfecture de Police, Prison de la Santé. Une cellule du quartier bas, 2 mai 1944.
Source : Archives de la Préfecture de Police de Paris_Photothèque 172 T Cellule (tous droits réservés).
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le magistrat Paul Amor (1901-1984) est nommé directeur de l’administration pénitentiaire (1944-1947). L’homme a connu la détention pendant la guerre, ce qui l’a rendu sensible à la question pénitentiaire. Dès son entrée en fonction, il entreprend de réformer le système en profondeur et s’entoure pour cela de magistrats qui partagent ses convictions, notamment Pierre Cannat, nommé contrôleur général des services pénitentiaires. La réforme, dont les quatorze grands principes sont dévoilés en mai 1945, est marquée par les valeurs chrétiennes traditionnelles et s’inspire des idées du mouvement humaniste de la défense sociale nouvelle du criminologue Marc Ancel. Il s’agit, d’une façon générale, d’instituer une politique d’amendement et de reclassement social du condamné, basée sur l’humanisation de la détention (conditions de vie décentes, accompagnement social et médical, accès à des activités de type socio-éducatif), l’individualisation du traitement pénal (institution du régime progressif, de l’encellulement à la semi-liberté, sous le contrôle du juge de l’application des peines) et la possibilité pour le détenu d’accéder à l’instruction et à la formation professionnelle (des cours sont proposés et le travail devient aussi un droit).
Le chantier qui s’ouvre à la Santé est immense : il s’agit de « restaurer de fond en comble des bâtiments cellulaires que leur état de délabrement [rend] presque inhabitables ». Les efforts portent logiquement sur les quatre divisions du quartier bas (504 cellules) qui attendent encore une opération de modernisation de même ampleur que celle réalisée au quartier haut à la fin du XIXe siècle. Un cliché saisissant dû, en 1944, aux services de la préfecture de police montre une cellule de l’ancien quartier pennsylvanien dans une configuration très proche de celle imaginée par Vaudremer. Si cette cellule ne semble pas trop vétuste, d’autres trahissent nettement leur grand âge.
Le plan national de rénovation des bâtiments pénitentiaires (1950-1960). La prison de la Santé (extérieur), 1927.
Source : Agence Meurisse, Gallica.
Rappelons que le quartier bas ne possède toujours ni l’eau courante, ni l’électricité.
La remise à neuf se fait par étapes, une aile de détention après l’autre : d’abord la 2e en 1952, puis la 1re en 1953, la 3e en 1954-1955 et enfin la 4e entre 1956 et 1958. À l’occasion de ces travaux généraux de modernisation du quartier bas, les cellules du tout nouveau quartier disciplinaire de la 3e division sont elles aussi équipées du chauffage central et de W.C. neufs. Des lavabos complètent l’aménagement. Désormais, et pour longtemps, les conditions de vie les plus difficiles ne se trouvent plus au quartier bas mais au quartier haut.
Le plan national de rénovation des bâtiments pénitentiaires (1950-1960). Aurore – Service photographique, Maison d’arrêt de la Santé. Porte d’entrée, 1er octobre 1957.
Source : BNF_ P693 Qe 1123 chemise 6 mutinerie à la prison de la santé, juillet 1957.
Entre 1949 et 1951, c’est la porte d’entrée de l’établissement qui subit une importante transformation : il s’agit de l’élargir de manière à faciliter l’accès des fourgons cellulaires modernes. L’opération entraîne la destruction presque totale de l’arc en plein-cintre dessiné par Vaudremer et change radicalement la physionomie de l’entrée. Le nouveau portail prend la forme d’une double porte métallique blindée : composée de deux vantaux surmontés d’une imposte et encadrés par les pilastres latéraux d’origine du côté de la rue ; coulissante du côté de la cour.
11. Le plan national de rénovation des bâtiments pénitentiaires (1950-1960). Maison d'arrêt de la Santé, cour d'administration, entrée des véhicules (2014).
Source : Marc Renneville.
Malgré ce nouvel aménagement, la circulation reste difficile du fait des dimensions réduites de la cour d’honneur qui ne permet pas aux véhicules de transfèrement de faire demi-tour et les contraint aujourd’hui encore à entrer en marche arrière.