La loi du 5 juin 1875 : le choix du "tout cellulaire". Bonnet, Maison d'arrêt et de correction, construite à Paris. Rue de la Santé (14e arrondissement), s. d. [avril 1876].
Source : AP_D7N4 34
La grande enquête parlementaire de 1873-1875 aboutit à l’élaboration et au vote de la loi du 5 juin 1875 « sur le régime des prisons départementales », complétée par l’instruction ministérielle du 10 août de la même année qui en précise les modalités d’application. Un peu plus de vingt ans après la circulaire Persigny, on assiste à un nouveau revirement de la doctrine pénitentiaire : l’isolement individuel complet de jour et de nuit redevient la norme pour les inculpés, prévenus et accusés, ainsi que pour les condamnés à des peines d’un an et un jour et au-dessous. Les autres condamnés ne sont pas soumis à cette obligation mais sont tout de même fortement encouragés à subir leur peine sous le même régime contre réduction d’un quart de la durée d’emprisonnement.
La loi prévoit que « le nouveau régime pénitentiaire sera appliqué au fur et à mesure de la transformation des prisons », sous le contrôle d’un Conseil supérieur des prisons, institué dans ce but. En attendant, l’Etat fait le compte des établissements pratiquant déjà ce mode d’enfermement, validant leur conformité aux nouvelles normes pénitentiaires par des arrêtés de classement. L’arrêté relatif au département de la Seine, daté du 14 septembre 1875, confirme la prison de Mazas dans son statut de « maison d’arrêt et de correction cellulaire » et déclare « maison de correction cellulaire » le seul quartier de la prison de la Santé « disposé pour l’isolement continu ». Le conseil général de la Seine, qui ne peut évidemment que se féliciter du retour au cellulaire absolu, est bien décidé à aller plus loin et demande immédiatement à son service d’architecture de réfléchir – entre autre projets – aux modalités d’une conversion pennsylvanienne du quartier auburnien de la prison de la Santé.
Paul-Émile Bonnet (1828-1881) est amené à composer ce projet, en tant qu’architecte de la 10e section.
La loi du 5 juin 1875 : le choix du "tout cellulaire". Bonnet, Maison d'arrêt et de correction, construite à Paris. Rue de la Santé (14e arrondissement), s. d. [avril 1876].
Source : AP_D7N4 34
Le 7 décembre 1876, le projet de Bonnet est soumis à l’examen du conseil général. Ne suscitant aucune observation particulière, il est ensuite transmis au ministre de l’Intérieur, accompagné d’une demande d’aide financière correspondant à la moitié du devis. Il faut attendre le 18 avril 1879 pour que le ministre de l’Intérieur finisse par rejeter les propositions de Bonnet, sans se prononcer d’ailleurs sur la possibilité d’une participation financière de l’Etat. C’est que la République a, en réalité, des projets bien plus ambitieux pour la capitale. La conversion cellulaire du parc pénitentiaire parisien doit être pensée, non à l’échelle de chaque établissement mais au niveau départemental et l’opération doit être enfin l’occasion de procéder à la destruction des édifices les plus anciens et à la construction de « deux ou trois prisons cellulaires pour hommes, en dehors de Paris ». Le devenir de la prison de la Santé est donc lié à partir de 1880 à un vaste programme dit de « réorganisation cellulaire des prisons de la Seine », confié au service d’architecture, sous le contrôle d’une Commission spéciale du conseil général nommée en 1882.
Une occasion de repenser le parc pénitentiaire de la Seine. La prison Saint Lazare, extérieur.
Source : Agence Meurisse, Gallica.
Toute désaffectation ou remaniement lourd d’un ou plusieurs établissements implique forcément de repenser la répartition de la population pénale entre toutes les prisons du département, une redistribution des catégories de détenus qui peut nécessiter des travaux d’aménagement dans des édifices qui ne sont pourtant pas directement visés par le projet.
Si, au début de 1880, la réorganisation ne semble pas devoir affecter la maison de correction de la Santé, le programme définitif du ministre de l’Intérieur, établi à l’automne, finit par l’inclure dans l’opération.
Une occasion de repenser le parc pénitentiaire de la Seine. La prison de Sainte Pélagie, 1898.
Source : Gallica.
Sept année passent et c’est finalement la décision, prise par le conseil général de désaffecter non seulement Sainte-Pélagie mais également la Grande Roquette et Mazas pour les reconstruire sur un terrain situé sur la commune de Fresnes-lès-Rungis, qui amène à reconsidérer le rôle de la prison du 14e arrondissement au sein du parc pénitentiaire parisien, en 1892-1893.
Conçue à l’origine pour recevoir le trop-plein de prévenus de Mazas, la prison de la Santé est en effet tout indiquée pour accueillir la nouvelle « maison de prévention » du département de la Seine. Le ministre de l’Intérieur décide en outre d’y placer le dépôt des condamnés à mort (pour prendre le relais de la Grande Roquette) et un dépôt de jeunes détenus. L’opération d’appropriation cellulaire, qui doit mettre l’établissement en conformité avec les dispositions de la loi de 1875, tout en le modernisant et en accroissant sa capacité (de 1 000 à 1 300 cellules selon le vœu de l’administration pénitentiaire), est confiée fin 1893 au nouvel architecte de la 4e division, Jean Dabernat (1834-1903).
Une occasion de poursuivre l'expérience cellulaire. Dabernat, Maison d'arrêt et de correction, rue de la Santé, construite en 1864 par Vaudremer, architecte. Quartier commun transformé, plan du troisième étage, 1er mai 1896.
Source : APIJ (tous droits réservés).
Le projet de Dabernat affecte essentiellement le quartier auburnien. Dans un second avant-projet, celui-ci décide de réunir deux à deux les cellules d'origine et de remplacer les cloisons par des murs plus épais afin d'éviter toute possibilité de communication entre les détenus. Pour compenser l'importante baisse du nombre de cellules, il décide de surélever les bâtiments de l'ancien quartier des condamnés.
Une occasion de repenser le parc pénitentiaire de la Seine. Affiche annonçant l’adjudication prochaine des travaux à exécuter pour la transformation en maison d’arrêt cellulaire de la maison de correction de la Santé (1896).
Source : AP_D7N4 34.
En mai 1898, l’administration pénitentiaire prend possession des nouveaux quartiers de la maison d’arrêt de la Santé, occupés dès le 1er juin par les prévenus transférés de Mazas et définitivement reconnus comme affectés au régime de l’emprisonnement individuel par le décret du 3 août 1898. La « nouvelle Santé », dont les travaux de transformation ne sont véritablement achevés qu’au cours de l’année 1899, compte désormais 1 080 cellules, contre 1 150 initialement prévues, suite à l’abandon de la surélévation de l’ancien bâtiment de l’infirmerie. Divisée en 14 sections, elle accueille désormais les prévenus, détenus politiques, condamnés à mort et condamnés de droit commun à des peines inférieures à six mois, tandis que les condamnés à des peines supérieures à six mois sont, quant à eux, envoyés à Fresnes.
Une opportunité de modernisation. Henri Manuel, Prison de la Santé. L’usine d’électricité, après août 1928.
Source : BNF_ei5-55 boîte 3 Prisons Paris.
En même temps qu’il s’attèle à la reconstruction des prisons les plus vétustes du parc pénitentiaire parisien, le conseil général entreprend à partir de 1886 une vaste campagne d’assainissement et de modernisation des établissements conservés, afin d’atténuer les disparités de traitement entre les prisonniers. Bien que dernière née des prisons de la Seine, la Santé profite également de ce programme.
Concernant les équipements techniques, c’est d’abord le système de chauffage qui subit en 1883 une révision complète dans le cadre du renouvellement du marché d’entretien. Concernant l'hygiène des détenus, l'architecte Pierre Antoine Achille Hermant (1823-1903) décide d'installer en 1889 10 cabines de douches au sous-sol du bâtiment d'administration, dans l'un des anciens parloirs des condamnés. Dus au constructeur d'appareils de chauffage et d'hydrothérapie Emile Grodet, des bains par aspersion de la prison de la Santé sont mis en service en 1890. Concernant l'étuve à désinfection qui vient remplacer le soufroir de Vaudremer, Hermant opte en 1889 pour un modèle à vapeur sous pression à chaudière Field.
L'éclairage électrique est introduit à la prison de la Santé grâce à la mise en place d'une salle des machines en 1897 accueillant deux générateurs à vapeur. Alimentant le quartier auburnien, chaque cellule est désormais équipée d'une lampe à incandescence, fixée au mur et commandée par un gardien depuis l'extérieur.
Une opportunité de modernisation. Prison de la Santé. Cellule de détenu politique.
Source : « Les nouvelles cellules de la Santé », in L'illustration, n° 2925, 18 mars 1899, p. 169.
Mais la majorité des améliorations n’a porté que sur le quartier auburnien transformé, laissant l’ancien quartier cellulaire, peu ou prou, dans son état originel, et créant ainsi un décalage dans l’équipement et l’état matériel des deux parties de la prison qui se maintiendra au siècle suivant en s’inversant à chaque campagne de rénovation, et qui se retrouve donc encore dans le bâtiment du XXIe siècle, où cette fois c’est le quartier bas qui se trouve dans de meilleures conditions que le quartier haut.