La Santé fait son entrée dans la culture populaire.

Source : Maurice Leblanc, Arsène Lupin gentleman-cambrioleur, P. Laffitte & Cie, 1907.

La désaffectation de Mazas, Sainte-Pélagie et la Grande Roquette, et plus encore leur disparition physique du paysage parisien, n’a pas seulement entraîné un transfert de compétence, mais également un report des imaginaires sociaux attachés aux édifices détruits. La Santé entre dans la culture populaire. Chaque fois qu’un journaliste (parisien) entreprend de décrire la vie quotidienne des prisonniers, les dernières heures d’un condamné à mort ou bien encore les suites judiciaires d’un scandale financier, il ne manque pas d’évoquer la Santé. Chaque fois qu’un romancier (parisien) entraîne ses personnages du côté de l’illégalité, ceux-ci se retrouvent pensionnaire de la Santé.

Dès la deuxième aventure de son célèbre héros, Arsène Lupin en prison (1905), l’écrivain Maurice Leblanc investit le terrain de la Santé. Il récidive immédiatement avec L’évasion d’Arsène Lupin (1906), troisième volet du feuilleton qui voit le gentleman cambrioleur se faire la belle en prenant – croit-on – la place d’un autre.

La Santé fait son entrée dans la culture populaire.

Source : Maurice Leblanc, 813, P. Laffitte et Cie, 1910.

Il consacre encore un passage du chapitre « Santé-Palace » de son roman 813 (1910), à la description du quartier bas de la prison, visiblement fasciné par son organisation panoptique.

La Santé fait son entrée dans la culture populaire. Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas, Paris, A. Fayard, 1911.

La Santé reçoit également un peu plus tard la visite imaginaire d'une autre grande figure de la littérature populaire de l'époque, Fantômas, dans Le policier apache.

La Santé fait son entrée dans la culture populaire. Recueil, portraits de Guillaume Apollinaire (XIXe-XXe s.).

Source : Gallica.

Quand il ne s’agit pas de faire évoluer à la Santé des êtres de papier, ce sont les poètes ou les écrivains qui viennent, malgré eux, puiser sur place leur inspiration. On songe évidemment à Guillaume Apollinaire. Soupçonné de complicité de vol de statuettes au Louvre, il est incarcéré du 7 au 12 septembre 1911 à la 11e division, cellule 15 et compose à cette occasion une série de courts poèmes regroupés sous le titre « À la Santé ». La prison du 14e arrondissement a enfin son poète !

La Santé fait son entrée dans la culture populaire. Nos aïeux ont pris la Bastille... Et nous, en buvent notre Byrrh, nous prenons la Santé !, publicité Byrrh.

Source : L’Illustration, 13 juillet 1935, p. XVI].

Dans un registre plus populaire, la Santé, dont le nom se prête si bien aux jeux de mots, entre en 1935 au répertoire des faiseurs de réclame, comme en témoigne l’une des nombreuses publicités illustrées par Georges Léonnec pour Byrhh, le célèbre apéritif au quinquina, publiées chaque semaine en dernière page de L’Illustration.

La Santé fait son entrée dans la culture populaire. Henri Danjou, « Un Jour de l'An chez les condamnés à mort ».

Source : Détective, 3e année – n° 62, 2 janvier 1930.

La prison de la rue de la Santé est de plus en plus souvent évoquée dans les chroniques judiciaires de la presse quotidienne parisienne. Dans les années 1930 surtout, elle apparaît régulièrement dans les pages des magazines illustrés spécialisés dans les faits divers, au premier rang desquels Police Magazine ou Détective. Au delà de la simple actualité des scandales, des arrestations ou des exécutions, elle fait alors l’objet de véritables reportages, parfois publiés en feuilleton et toujours accompagnés de nombreuses photographies inédites dues au studio d’Henri Manuel.

La Santé fait son entrée dans la culture populaire. Maurice Coriem, « Je sors de la Santé ».

Source : Police Magazine, 1931.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Prison de la Santé. La descente du fourgon cellulaire, s. d. [entre 1928 et 1931].

Source : BNF_ei5-55 boîte 3 Prisons Paris.

Grâce aux informations données par le journaliste Maurice Corriem dans son grand reportage « Je sors de la Santé », complétées et recoupées avec d’autres sources de l’époque, nous pouvons restituer la vie des détenus de la prison de la Santé vers 1930-1931.

Il s’agit, en premier lieu, de décrire les premiers pas des arrivants. Transportés du Dépôt près la préfecture de police à la cour d’entrée de la maison d’arrêt en fourgon cellulaire, ceux-ci sont d’abord placés en cellules d’attente. Vient ensuite le passage à l’anthropométrie.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Le carrefour des quartiers. On remarque, couchés sur les grilles, les petits fox se chauffant.

Source : Maurice Coriem, « Je sors de la Santé », in Police Magazine, 2e année – n° 26, 24 mai 1931, p. 4.

Les prisonniers sont ensuite conduits jusqu’au rond-point central de surveillance du quartier bas. Là, un gardien demande à chaque prévenu s’il veut ou non travailler puisque ne sont obligatoirement astreints au travail que les condamnés (sauf condamnation à mort). Chacun reçoit une plaque portant le numéro de sa cellule avant d’être orienté vers l’aile de détention qui correspond à son statut.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Prison de la Santé. La fouille, s. d. [entre 1928 et 1931].

Source : BNF_ei5-55 boîte 3 Prisons Paris.

Avant d’intégrer sa cellule, le prisonnier doit se dévêtir complètement et subir une fouille totale, dite « à corps ».

La journée d'un détenu. Henri Manuel, C’est dans cette pièce que sont conservés les objets appartenant aux prisonniers et qu’on leur enlève au moment de la fouille .

Source : Maurice Coriem, « Je sors de la Santé », in Police Magazine, 2e année – n° 20, 12 avril 1931, p. 10.

Leurs vêtements sont rendus aux prévenus, exceptés les cravates et lacets de chaussures qui pourraient leur servir à mettre fin à leurs jours. Les condamnés, quant à eux, ne récupéreront qu’à leur sortie leurs habits de ville et reçoivent en échange les différentes pièces de leur costume pénal : « une vareuse, un pantalon et des chaussons, le tout de forme approximative et de couleur vague qui tient du gris et du marron ». Les effets personnels des uns et des autres sont entreposés dans un vestiaire dédié.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, La salle de douche.

Source : Maurice Coriem, « Je sors de la Santé », in Police Magazine, 2e année – n° 20, 12 avril 1931, p. 9.

Mais avant de se rhabiller, il faut encore prendre la douche obligatoire.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Un inculpé travaillant dans sa cellule à la confection d’accessoires de cotillon. L’atelier de forge à la prison de la Santé.

Source : « Je sors de la Santé », in Police Magazine, n° 21, 19 avril 1931, p. 6.

Après cette dernière formalité, les détenus gagnent leur division et se présentent au bureau du chef de division. Une fois la plaque numérotée et l’étiquette marquée T ou R remises au surveillant, le détenu rejoint et intègre enfin sa cellule.

À 5h15, une sonnerie signale au détenu l’heure du réveil. Celui-ci est d’abord tenu de maintenir sa cellule en état de propreté. Il reçoit ensuite sa collation du matin : un morceau de pain, la « boule », et du café, le « jus ». Le travail est l’occupation essentielle (environ 10 h par jour en 1937) du condamné et du prévenu qui le désire.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, La bibliothèque de la Santé. Vu de dos, sur l’échelle, le détenu Ramon, bibliothécaire.

Source : « Je sors de la Santé », in Police Magazine, n° 22, 26 avril 1931, p. 6.

Si les journaux et revues restent interdits, les prisonniers ont accès à la bibliothèque.

Ceux qui le désirent peuvent recevoir la visite des aumôniers des divers cultes (catholique, protestant mais aussi israélite et même musulman) qui passent régulièrement de cellule en cellule, munis d’une clé unique permettant d’ouvrir toutes les portes de la détention.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Le parloir. Le détenu vu de dos.

Source : « Je sors de la Santé », Police Magazine, 2e année – n° 23, 3 mai 1931, p. 6.

Les prisonniers peuvent également voir leur famille et leurs proches à travers le double grillage des parloirs, restés inchangés depuis la fin du XIXe siècle.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Prison de la Santé. Parloirs, s.d. [1928 ou 1929 ?].

Source : BNF_ei5-55 boîte 3 Prisons Paris.

Au début des années 1930, ces visites ont lieu entre 13h30 et 16h, les lundi et vendredi pour les prévenus, le samedi pour les condamnés.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Le parloir des avocats à la prison de la Santé.

Source : Maurice Coriem, « Je sors de la Santé », in Police Magazine, 2e année – n° 26, 24 mai 1931, p. 4.

Des parloirs spéciaux, sans séparation, sont prévus pour les entretiens avec les avocats.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Prison de la Santé. Les fourgons cellulaires dans la cour d’entrée, s.d. [1928 ou 1929 ?].

Source : BNF_ei5-55 boîte 3 Prisons Paris.

Le matin ont lieu les « extractions » : les prévenus sont conduits en voiture cellulaire jusqu’aux petites cellules de la Souricière, le dépôt judiciaire situé au rez-de-chaussée du Palais de Justice, en attendant d’être appelés à comparaître devant le juge pour les besoins de l’instruction.

La journée d'un détenu. Maison d'arrêt de la Santé, Quartier disciplinaire (2014).

Source : Marc Montméat.

En cas d’infraction au règlement intérieur de l’établissement, un rapport est établi par le surveillant et le détenu contrevenant doit se présenter devant le tribunal interne à la prison, le « prétoire ». Tous les jours, les prisonniers des différentes divisions appelés au prétoire sont rassemblés au niveau du rond-point du quartier bas, avant d’être conduits à la bibliothèque où se tient l’audience présidée entre 9h et 10h par le directeur et le sous-directeur. Parmi les punitions qui peuvent être prononcées, le « mitard » (pour une durée de quatre à quinze jours).

La journée d'un détenu. Maison d'arrêt de la Santé, grille d'entrée d'une cellule disciplinaire (2014).

Source : Jean-Claude Vimont.

La journée d'un détenu. Maison d'arrêt de la Santé, intérieur d'une cellule disciplinaire (2014).

Source : Jean-Claude Vimont.

La journée d'un détenu. Maison d'arrêt de la Santé, le quartier des « particuliers » (2014).

Source : Marc Montméat.

Il existe encore au XXe siècle à la Santé une distinction des prisonniers en fonction de leur origine sociale et de leur fortune, héritée du système ancien de séparation des « pailleux » et des « pistoliers ». S’il n’est plus alors question de payer pension, les détenus bien mis peuvent obtenir la faveur d’être regroupés dans la même division. Au début des années 1930, à l’époque des scandales financiers et des banqueroutes dues à la crise économique, ce « quartier chic » est aussi appelé « quartier des banquiers ». Le « quartier chic », plusieurs fois déplacé dans la première moitié du XXe siècle, est alors installé à la 14e division, après avoir connu la 2e, la 10e ou encore la 5e.

La journée d'un détenu. Maison d'arrêt de la Santé, intérieur d'une cellule du quartier des « particuliers » (2014).

Source : Marc Montméat.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Le réfectoire des condamnés politiques.

Source : Maurice Coriem, « Je sors de la Santé », in Police Magazine, 2e année – n° 25, 17 mai 1931, p. 7.

Les détenus politiques bénéficient, eux, réellement d’un régime d’exception. Accueillis à la 6e division, surnommée la « Six », les « politiques » ont la possibilité de recevoir leurs visiteurs directement et sans limites dans leurs cellules ; l’autorisation de conserver leurs vêtements personnels, de porter barbe et cheveux longs, de ne pas travailler, de se visiter entre eux, de déjeuner ensemble dans un réfectoire spécial en commandant leurs repas au dehors et d’aller et venir dans leur quartier durant la journée ; la jouissance toujours, depuis la fin du XIXe siècle, « d’un petit jardin, où une demi-douzaine d’arbres s’étiolent entre les grands murs », etc.

Nombreuses sont les personnalités politiques à être passées par la Santé en cette première moitié du XXe siècle : dans les années 1900-1910, ce sont les membres de l’extrême droite, royalistes, nationalistes, antisémites (ex. Paul Déroulède, François Coppée, Edouard Drumont ou Maxime Real del Sarte), les anarchistes ou les antimilitaristes (ex. Miguel Almereyda) ; dans les années 1920-1930, ce sont principalement les communistes (ex. Boris Souvarine, Fernand Loriot, Marcel Cachin, Gabriel Péri, Paul Vaillant-Couturier ou Jacques Doriot), à nouveau les militants d’extrême droite (ex. Léon Daudet, Charles Maurras ou le « cagoulard » Eugène Deloncle), ou encore le père du nationalisme algérien Messali Hadj.

La journée d'un détenu. La cellule d’un condamné à mort, à la Santé, est, par elle-même, d’un tragique saisissant. Imaginez-vous là, torturé de la même pensée toujours, celui qui doit mourir...

Source : « Ce que voit un condamné à mort », in Police Magazine, 2e année – n° 57, 27 décembre 1931, p. 10.

Le quartier des condamnés à la peine capitale est installé à cette époque à la 7e division. Les prisonniers condamnés à mort ne peuvent garder avec eux aucun objet personnel, pas même du tabac ou de quoi faire leur toilette matinale. Ils dorment également entravés (fers aux pieds et menottes aux poings) afin d’éviter toute tentative de suicide. Les condamnés à la peine capitale ont, comme les autres détenus, droit à la promenade et au parloir, mais dans des conditions spéciales de surveillance et des locaux qui leurs sont uniquement réservés.

La journée d'un détenu. L’autel de la dernière messe est dressé dans une cellule. C’est là qu’avant d’être libré au bourreau, le condamné puise dans les encouragements du prêtre son suprême courage.

Source : « Ce que voit un condamné à mort », in Police Magazine, 2e année – n° 57, 27 décembre 1931, p. 10.

Le matin de l’exécution, celui qui est promis à la guillotine peut assister à une dernière messe, non loin de sa cellule, avant de se soumettre au rituel de la « toilette du condamné » (cheveux et col de sa chemise coupés) qui s’effectue dans une pièce du rez-de-chaussée de l’un des bâtiments de l’entrée, tandis que l’attend dans la cour le fourgon cellulaire qui doit lui faire parcourir les derniers mètres qui le séparent du bourreau.

La journée d'un détenu. Henri Manuel, Lavabos des gardiens.

Source : « Je sors de la "Santé" », Police Magazine, 2e année – n° 23, 3 mai 1931, p. 6.

Mais, pour la majorité des pensionnaires de la Santé, l’issue est moins funeste et vient, tôt ou tard, le moment de la libération :

« C’est toujours la même cérémonie. Le libéré est appelé à la "table". Devant le fichier, il décline son identité. Signature au registre d’écrou. Restitutions des valeurs et objets déposés. Fouille.

Même quand il y a non lieu ou acquittement, l’administration ne change pas ses errements, qu’elle appelle "les formalités de la levée d’écrou".

Des gens reconnus innocents par le juge d’instruction, par le tribunal, sont fouillés avant de sortir. Et ils sortent quand l’administration le veut bien.

Les heures de libérations sont réglées :

De 6 heures trois quarts à 7 heures et quart.

À 19 heures, au moment des derniers "retours" du Palais. » (Maurice Coriem, « Je sors de la Santé », in Police Magazine, 2e année – n° 26, 24 mai 1931, p. 4).

La journée d'un détenu. Au mess des gardiens, flotte toujours un relent de graillon, de suri, d’humanité vêtue de gros drap et chaussée de gros cuir.

Source : Pierre La Mazière, « Confession d'un geôlier », in Détective, n° 257, 28 septembre 1933, p. 13.

Ceux qui restent et qui arpentent inlassablement les couloirs pour des rondes de 7,5 km au total, ce sont les surveillants dont l’effectif de 80 hommes en 1902 est largement dépassé dans les années 1930. Outre les lavabos et les quelques logements de gradés déjà prévus par Vaudremer, ils bénéficient, au moins depuis la fin du XIXe siècle, de vestiaires ainsi que d’un mess dont le service est assuré par les détenus auxiliaires.

Exécutions capitales : la Veuve boulevard Arago (1898-1939). L'exécution de Gorguloff : la foule sur l'emplacement de la guillotine (prison de la Santé).

Source : Agence Mondial, Gallica.

Suite à la destruction de la Grande Roquette, c’est la prison de la Santé qui est rapidement choisie pour accueillir les condamnés à mort.

Exécutions capitales : la Veuve boulevard Arago (1898-1939). L’endroit où a été guillotiné Ben Driss.

Source : Police Magazine, n° 48, 25 octobre 1931.

La première exécution publique a lieu le 5 août 1909 « à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé, au pied du cinquième marronnier en remontant le boulevard ». Il s'agit du parricide Henri Duchemin.

Exécutions capitales : la Veuve boulevard Arago (1898-1939). Boulevard Arago, à l’aube.

Source : Georges Martin, « Les seconds rôles de la "veuve" », in Détective, n° 110, 3 août 1948, p. 14-15.

Exécutions capitales : la Veuve boulevard Arago (1898-1939). Les hangars où sont remisés les bois de justice.

Source : « Un jour de l'an chez les condamnés à mort », Détective, n° 62, 2 janvier 1930, p. 13.

Premières évasions. L’évasion en une leçon.

Source : Police Magazine, n° 362, 31 octobre 1937.

Depuis sa mise en service, la Santé jouit d’une solide réputation de prison d’où l’on ne s’évade pas, ou fort peu.

C’est à l’occasion du bombardement de l’établissement par les Prussiens lors de la guerre de 1870, que quelques détenus parviennent à se faire la belle en profitant de l’affolement général. Mais la première évasion réussie en période d’activité normale a lieu deux ans plus tard, dans la nuit du 14 au 15 avril 1872. Condamné à dix ans de travaux forcés pour vol qualifié, un dénommé Delliaux, mécanicien de son état, parvient à scier l’un des barreaux de sa cellule et à prélever plusieurs pièces métalliques sur les éléments du mobilier réglementaire. Équipé d’une tige de fer extraite du lit pliant, du levier de soutien de la tablette rabattable et d’une corde de fortune confectionnée avec sa chemise découpée en lanières, il réussit à se glisser jusqu’au sol du préau, à soulever une bouche d’égout et à franchir la grille séparant les collecteurs de la prison de ceux de la ville. À la suite de cette évasion, des mesures sont prises pour isoler davantage le réseau d’égout de la prison.

Au début de 1913, c’est une véritable épidémie d’évasions qui frappe la prison du 14e arrondissement. Le procédé employé, utilisé au moins à trois reprises en à peine quelques semaines, exploite non pas les éventuels points faibles du bâtiment mais plutôt ceux de la procédure administrative. Profitant de la surpopulation de l’établissement qui oblige à placer deux voire trois détenus par cellule et provoque « un perpétuel va-et-vient de sujets internés ou libérés», les candidats à l’évasion parviennent à sortir par la grande porte en se substituant à leur codétenu libérable.

Premières évasions. L’assassin Lacombe, suicidé à la prison de la Santé, le 5 avril 1913, photographie anthropométrique, 1911.

Source : Archives de la Préfecture de Police de Paris_coll DELGAY_ACQ 2000_3022 (tous droits réservés).

Au moment même où l’on s’émeut de ces substitutions de prisonniers, une autre tentative d’évasion se solde cette fois par la mort du détenu. Le 5 avril 1913 au matin, l’assassin anarchiste Léon Lacombe parvient, alors qu’il se trouve en promenade au quartier haut, à monter sur le toit des galeries de surveillance. Le gardien s’en étant aperçu, lui intime l’ordre de descendre mais le prisonnier refuse et lui jette des tuiles. Le directeur de la prison tente en vain de le raisonner. Lacombe demande qu’on lui amène son avocat et le juge d’instruction. Les négociations s’ouvrent, régulièrement ponctuées des cris d’encouragement des autres détenus qui suivent la scène depuis leurs fenêtres. Les riverains accourent à l’entrée de l’établissement. Ayant parlé de se tuer à 11h30, l’anarchiste met sa menace à exécution : à l’heure dite, il se précipite dans le vide la tête la première et se fracasse le crâne sur le bitume d’un des promenoirs.

Premières évasions. G. de Champs, La prison d’où l’on sort.

Source : L’Humanité, n° 10423, 26 juin 1927, p. 2.

Il faut ensuite attendre 1927 pour qu’à nouveau les failles du système soient utilisées pour une rocambolesque évasion, celle de l’écrivain, journaliste et homme politique Léon Daudet (1867-1942). Ancien député de Paris (1919-1924), leader de la ligue d’extrême droite Action française et directeur du journal du même nom, il entre à la Santé le 13 juin 1927 pour purger une peine de cinq mois d’emprisonnement pour diffamation, après avoir tenté d’instrumentaliser à des fins politiques le suicide de son fils. Jugeant cette incarcération abusive, les Camelots du Roi, organisation royaliste et branche militante de l’Action française, mettent au point une mystification téléphonique destinée à le faire libérer.

Premières évasions. L’évasion de la Santé.

Source : Police Magazine, n° 279, 29 mars 1936.

Après ce détour chez les politiques, retour du côté des droits communs en 1936, avec le cambrioleur Armand Spilers. « Roi de l’évasion » – il s’est déjà enfui de la prison de Loos en 1926 et des bagnes de Guyane en 1930 et 1932 – et personnage légendaire –, Spilers fait une nouvelle fois la démonstration de ses talents le 26 mars 1936, en s’éclipsant de la Santé, pourtant « prison réputée pour la plus sûre de France ».

La Santé et la naissance du syndicalisme pénitentiaire.

Source : L’Étoile, n° 2, 15 novembre 1906, p. 1.

C’est au personnel des prisons de la Seine, et essentiellement à celui de la Santé, qu’appartiennent les militants de la première heure parmi les membres de L’Association Amicale des Gardiens de Prisons, fondée le 12 décembre 1905. De même, c’est à proximité immédiate de la prison du XIVe arrondissement, au 54 de la rue de la Santé, que la revue L’Étoile « organe du petit personnel de l’administration pénitentiaire » (1906-1907) décide d’installer sa rédaction, tandis que Le Réveil pénitentiaire (à partir de 1907) élit domicile à peine plus loin, au 19 de la rue de la Glacière. En 1914, le personnel des prisons de la Seine tient ses réunions au Café du Commerce, situé 49 avenue d’Orléans (actuelle avenue du Général Leclerc), encore une fois à quelques rues de la Santé.