:« Un gardien même paya de sa vie l’amour qu’il avait voué à un mignon. Le môme, jeune arabe réclusionnaire, était uni à un de ses compatriotes, contremaître au quartier cellulaire. Le surveillant, attaché à cette époque à la réclusion, se prit d’amour pour l’éphèbe musulman et le combla de prévenance et de cadeaux. Soupçonneux et terriblement jaloux, le contremaître s’aperçut vite des assiduités de son rival. Il le surveilla. Deux jours se passèrent sans qu’il put rien découvrir. Le soir du troisième, il surprit le couple en flagrante delicto (sic). Armé du couteau qui lui servait à découper les vivres des prisonniers, il bondit sur le garde-chiourme et le frappa à coups redoublés jusqu’à ce qu’il rendit le dernier soupir. Puis s’étant mis à la poursuite de l’infidèle, qui avait pris la fuite, il le rejoignit derrière la boulangerie et lui trancha la tête. Il se livra, fut condamné à mort et exécuté à l’île Royale. Quant aux victimes, le corps du jeune homme fut immergé et celui du gardien pieusement enterré à l’île Saint Joseph où l’on peut lire sur sa tombe cette ironique épitaphe : X… mort lâchement assassiné dans l’exercice de ses fonctions. »
Une fois de plus, les mots du Docteur Rousseau, témoin majeur, sont édifiants: « Les travaux forcés sont une peine, la faim en est une autre. Il faut choisir entre ces deux peines qui sont incompatibles, car il est impossible à un homme, fut-il le plus grand criminel, de travailler sans manger. L’administration pénitentiaire a cependant opté pour le cumul ». La plupart des contempteurs du bagne attribuent les pratiques sexuelles entre hommes au sein de cette « armée du crime » à la bestialité et au vice de ces êtres incapables de maîtriser leurs pulsions. Mais c’est bien plus à la faim et la misère qu’il faut les attribuer, comme l’analyse avec lucidité le docteur Rousseau : « … or c’est la misère, la plus pénible des misères, qui est la source de toutes les chutes. C’est la faim qui amène les plus faibles à subir le caprice des plus forts. » Et pour se garder de tout jugement, il ajoute :« Que deviendraient des individus à casier judiciaire vierge, pris au hasard et traités comme le sont des condamnés dans un bagne d’où serait pourtant exclu tout criminel ? Si l’on cherche en toute impartialité les responsabilités, on s’aperçoit que les mœurs pénales sont imputables au régime du bagne bien plus qu’aux condamnés eux-mêmes. »