Une « centaine de jeunes gens prêts à en découdre », selon l’éditorial. La réalité est tout autre… Les plaintes adressées par lettres à Gaston Gallimard déplorent dès le début le manque de mains et de moyens pour faire tourner le journal.
Détective, n°271, 4 janvier 1934
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Source : Bilipo
Détective, n°172, 11 février 1932
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Source : Bilipo
Détective, n°587, 7 mars 1940
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Source : Bilipo
La rédaction permanente
Détective connaît deux directeurs : Georges Kessel, le frère de Joseph, lance le journal. Marius Larique reprend la direction en 1932 après que Kessel a été écarté par Gallimard : Georges avait un peu trop tendance à prendre la caisse du journal pour sa bourse personnelle. Larique fait de l’hebdomadaire un important journal d’enquête grâce à ses grands reporters expérimentés. Le socle de la rédaction pendant toutes ces années ce sont eux : Marius Larique, Paul Bringuier, Henri Danjou et Marcel Montarron. Ils se construisent au fil de leurs enquêtes et dans leurs mémoires une image de mauvais garçons : ils ont des amitiés dans le « milieu », fréquentent Montmartre la nuit et s’entraînent au tir dans leurs bureaux entre deux whiskys. Ils sont même prêts à engager d’anciens forçats : Eugène Dieudonné devenu menuisier au journal après y avoir publié ses souvenirs de bagnard, et Paul Gruault en comptable repenti parfont le mythe d’une équipe d’enfants terribles aux manettes du journal !
Pour donner du prestige à ses débuts, Détective publie des écrivains de la maison Gallimard comme Joseph Kessel, René Bizet ou Roger Allard, allant même jusqu’à annoncer Jean Cocteau qui finalement n’écrira rien. Mais au fil des mois, Détective est abandonné par ces illustres cautions qui lui préfèrent souvent pour leurs romans Voilà et Marianne. Pierre Mac Orlan et Francis Carco restent cependant fidèles au journal et lui livrent quelques grands reportages à sensations.
En marge de l’actualité, des collaborateurs réguliers écrivent des séries : Frédéric Boutet (« Crimes d’autrefois », « Les femmes et le crime ») ou Emmanuel Car (« Détective dans le passé ») tiennent les annales criminelles tandis que le monde judiciaire est croqué par Pierre Bénard (« Nos maîtres en pantoufles »). De grandes autorités sont également convoquées chacune dans leur spécialité : le Docteur Edmond Locard, célèbre directeur de la police technique de Lyon, tient la chronique « la science contre le crime ». L’aventurier Victor Forbin écrit la série « Crime et châtiment aux antipodes » inspirée de ses souvenirs de voyage. René-Joseph Piguet, inspecteur principal de la police judiciaire, réalise des enquêtes pour Détective. Enfin l’hebdomadaire compte à partir de 1937 Paul-Clément Jagot dans ses rangs, spécialiste de parapsychologie, d’hypnose, d’astrologie et d’occultisme. Responsable de la rubrique « un coup d’œil sur », il réalise le thème astral de Staline et lit dans les lignes de la main du tueur Weidmann !
Mais au fil des années, le journal collectionne aussi des dizaines et des dizaines de signatures ponctuelles. Il publie parfois des articles qu’on lui propose spontanément. Une double page était habituellement payée à son auteur entre 300 et 600 francs.
Pour être au courant de tout, partout dans le monde, Détective bénéficie d’un réseau de correspondants particuliers en province et à l’étranger. Beaucoup de signatures sont uniques, d’autres sont récurrentes, surtout pour la France. Pierre Rocher, journaliste à L’Éclaireur de Nice, rapporte les événements de la Côte d’Azur et Morvan Lebesque, ancien rédacteur d’un journal autonomiste breton est appelé pour les faits divers de Nantes. Quant à Marseille, « capitale du crime », elle a son chroniqueur attitré, Jean Castellano. Pourtant, nulle trace de ce dernier dans les archives, ce qui inciterait à croire qu’il s’agit d’un pseudonyme.
Combien sont-ils dans ce cas-là à composer une rédaction fantôme ? Aux côtés des « Passe Partout », « M. Lecoq », « Inspecteur X », clairement affichés comme tels, on compte Roy Pinker, le correspondant américain, dont le nom évoque le mythique détective privé Allan Pinkerton, mais aussi de nombreux indécelables comme le chroniqueur judiciaire Jean Morières qui n’existe que dans les pages de Détective. L’usage de pseudonymes, qui au départ n’était que bluff ludique d’une rédaction volontiers mystificatrice – mais qui parfois avait besoin d’une couverture pour traiter de sujets délicats – s’est transformé, au fil des licenciements et des difficultés économiques, en une nécessité pour maintenir l’apparence d’un journal à succès tenu par une pléthore de plumes.