1. De la colonie pénitentiaire à la prison d’État

Plan du chapitre

San Juan de Salvamento : le phare de la fin du monde et la première prison

L’expédition conduite par Lasserre acheve sa course dans l’île des États et à Cap Juan (situé à l’extrême nord-est de l’île). Elle pénétre dans un fjord que Lasserre baptise San Juan de Salvamento. La Marine y construit une première sous-préfecture ainsi qu’un phare appelé à devenir « le dernier feu marquant la fin du monde » comme le désigne Jules Verne dans son roman Le Phare du bout du monde. La mission du personnel de la sous-préfecture consiste à secourir les navires dépanneurs et le lieu doit également servir de port de repli en cas d’urgence. C’est la raison pour laquelle Lasserre nomme ce port « Salvamento » (sauvetage). La cérémonie d’inauguration du phare a lieu le 25 mai 1884. Mais cet édifice est remplacé en 1902 par un autre phare installé sur l’île de l’Observatoire (Isla Observatorio), située au nord de l’île des États, dans l’archipel des îles du Nouvel An (Islas de Año Nuevo), plusieurs pilotes et capitaines s’étant plaints que l’emplacement choisi pour installer le phare de San Juan de Salvamento les induisait en erreur. Leur confusion provenait notamment du fait de la présence d’îles et de rochers situés au nord du phare ou du fait que sa lumière était réverbérée par les parois du fjord : les pilotes s’égaraient alors en croyant voir deux lumières. Néanmoins, la construction du « phare au bout du monde » est saluée par l’hebdomadaire français consacré aux sports nautiques, Cols Bleus : « La République argentine a eu la brillante idée de construire le phare de la fin du monde et toutes les nations devraient lui être reconnaissantes. »

 

À la suite du 7e Congrès international de géographie de Berlin qui eut lieu en 1899, la Société royale de géographie de Londres demande au gouvernement argentin de collaborer avec le Comité international chargé de l’organisation d’une expédition en Antarctique. Suite à cela, la Marine argentine bâtit un phare ainsi que plusieurs bâtiments afin de mettre en place un observatoire météorologique et magnétique sur l’île de l’Observatoire. C’est ainsi que le e 1er octobre 1902, le phare de San Juan de Salvamento s’éteint et celui de l’île de l’Observatoire s’allume. De nombreuses expéditions en Antarctique, comme celles conduites par Jean-Baptiste Charcot ou Otto Nordenskjold, ont utilisé cet endroit comme base d’observation et de dernier point de contact avec le monde avant de rejoindre le continent blanc. Les installations y ont toutes été démantelées en 1917 et seul le phare est resté en place.

Les prisons militaires de l’île des États puis d’Ushuaia

La prison militaire de San Juan de Salvamento fonctionne de 1884 à 1899, date à laquelle elle est transférée à Puerto Cook pour des raisons humanitaires. En 1898, cette prison héberge moins de cinquante « habitants forcés » (comme l’indique le journaliste Roberto Payró dans le journal The Argentine Australia). Il s’agit de militaires - un officier et des soldats - et près de la moitié d’entre eux ont été reconnus coupables d’homicide. Lorsque la prison militaire de Santa Cruz (Cañadón de los Misioneros) ferme ses portes en 1896, certains de ses condamnés et de ses constructions furent expédiés sur l’île des États. Roberto Payró indique également que six de ces condamnés vivent avec leurs femmes, « comme s’ils essayaient de s’installer dans une sorte de colonie pénitentiaire là-bas ». La prison de Puerto Cook fonctionne jusqu’en 1902, date à laquelle il est décidé de la déplacer - encore une fois pour des raisons humanitaires - dans la baie d’Ushuaia. Lorsque la population pénale atteint 120 hommes, il est décidé de transférer les prisonniers dans une prison militaire située dans la baie de Golondrina, située à l’ouest de la ville d’Ushuaia. C’est alors qu’un groupe de 51 condamnés se mutine et parvint à prendre l’ascendant sur le personnel militaire d’encadrement. Une petite partie d’entre eux réussit à traverser le détroit de Le Maire jusqu’à la Grande île de la Terre de Feu (Isla Grande de Tierra del Fuego), attirant l’attention médiatique de tout le pays jusqu’à leur arrestation.

 

Même si elle ne constitue pas une véritable colonie pénitentiaire, la prison de Puerto Cook accueille quelques familles de condamnés. Le journal El País indique ainsi dans son édition du 13 août 1901 que devant la cour et le chenil, « [...] à quelque distance de la prison se trouvent quatre modestes cabanes hébergeant un certain nombre de familles de condamnés. » En 1902, la prison militaire st transférée à la Grande île de la Terre de Feu, dans la baie de Golondrina. Et le 27 février 1903, un décret du ministère de la Marine la nomme officiellement « Presidio Militar de Ushuaia » (prison militaire d’Ushuaia). Elle se situet à l’ouest de la ville, à 5 kilomètres environ, sur la route menant à Lapataia. La prison fonctionne jusqu’en 1911, année où en raison d’un décret présidentiel elle fusionne avec une prison pour délinquants (Second Offenders Prison). Ainsi, outre la colonie pénitentiaire fondée initialement par le président Roca, Ushuaia se voit flanquée d’une prison militaire et d’une prison pour délinquants avant que ces deux établissements ne fusionnent pour n’en former plus qu’un seul.

De la colonie pénitentiaire à la prison pour délinquants et à la prison d’État

En 1890, le gouverneur Cornero - successeur du gouverneur Paz - insiste pour que soit créée une colonie pénitentiaire (instituée selon le projet du président Roca) à laquelle serait adjointe une école d’art et d’artisanat destinée à des orphelins placés sous tutelle judiciaire. Ce projet prend forme à partir de 1895, lorsque la loi n° 3335 du 26 décembre 1895 sur les condamnés à des peines de réclusion ou des délinquants condamnés à une nouvelle peine de prison est adoptée. Les quatorze premiers condamnés qui embarquent à bord du navire 1º de Mayo le 5 janvier 1896 sont tous volontaires. Le 16 janvier suivant, à bord du navire Ushuaia, un deuxième convoi - comprenant dix femmes volontaires – est organisé. La présence de ces femmes s’explique par la volonté d’implanter une colonie pénitentiaire sur place.

 

Le gouverneur local se bat pour que soit créée cette colonie pénitentiaire destinée selon ses vues à accroître la population locale et à utiliser la main-d’œuvre des condamnés à des travaux publics. Néanmoins, après une série de désaccords avec le ministre de la Justice, le gouvernement ordonne au gouverneur de construire une prison pour délinquants (Prison of Second Offenders). Certaines suggestions du gouverneur sont néanmoins accueillies favorablement comme l’augmentation à sept du nombre de surveillants, l’envoi de vêtements d’hiver pour les condamnés ainsi que d’un garde militaire et d’autres suggestions de nature administrative. Mais la vision du ministre de la Justice (le Dr. Bermejo) est très différente de celle du gouverneur. Il est ainsi créé un poste de directeur de la prison pour délinquants, limitant ainsi de fait la souveraineté du gouverneur sur cet établissement. Pedro Della Valle en est nommé directeur par décision du gouvernement le 1er mai 1897. Peu de temps après, Valle suggère au ministre de la Justice, le Dr. Osvaldo Magnasco, de créer une colonie pénitentiaire où les prisonniers qui s’y conduiraient bien pourraient se voir attribuer une terre où s’installer. Alors que l’idée de la colonisation pénitentiaire se développe, le pénitencier national argentin (National Penitentiary) connaît une situation de surpopulation carcérale et il s’avère nécessaire de le débarrasser d’un certain nombre de ses prisonniers. Ainsi, les premiers condamnés à des peines de prison (convicts sentenced to prison) (c’est alors la peine la plus sévère en vigueur à cette époque) arrivent sur le territoire. Par conséquent, la prison pour délinquants est requalifiée en prison d’État. En 1898, Pedro Della Valle en est toujours le directeur. Le président argentin Roca la visite en 1899 et reçoit une bonne impression de la part de son directeur. La même année, les dix premiers prisonniers condamnés à une peine de prison y sont incarcérés. Mais peu de temps après, la scierie de la prison brûle. Un ingénieur italien, Catello Muratgia, est alors envoyé sur place pour envisager son remplacement. De retour à Buenos Aires, il élabore un projet destiné à être mis en œuvre à Ushuaia et est nommé directeur de la prison en remplacement de Pedro Della Valle en 1900. Muratgia insiste pour que la prison soit déplacée à Lapataia. Car il y avait beaucoup de bois et le travail des condamnés y était favorisé par leur isolement. Un grand terrain de 2500 hectares est donc alloué pour ce projet. La petite ville d’Ushuaia génére du commerce et constituet une escale pour les navires qui se livrent à la chasse aux lions de mer, pour les chercheurs d’or et les marchands de bétail. La colonie pénitentiaire y constitue également une autre source d’activité. Mais lorsque les colons prennent connaissance du projet de l’ingénieur Muratgia d’y déplacer la prison, ils protestent contre le fait que cela entraînerait la disparition de leur village. Après un court séjour à Buenos Aires, Muratgia reçoit la confirmation que les fonds qui lui seraient attribués pour la construction de la prison dépendraient principalement de la bonne volonté du ministre de la Justice – tout au moins au début. Vraisemblablement sensible à la protestation des habitants, il décide de construire la prison sur l’emplacement même de la colonie pénitentiaire, à l’est du village, à l’endroit où elle se trouve toujours aujourd’hui.

La construction des bâtiments

Le 15 septembre 1902, est une date clé pour Ushuai et sa prison l : la première pierre de la « prison nationale » est posée à l’entrée de ce qui allait devenir le pavillon n°1, l’actuel pavillon historique. Les travaux commencent par le terrassement du terrain, puis par la construction d’ateliers, d’une forge, d’une scierie, d’une menuiserie et par l’exploitation d’une carrière et d’une usine de traitement des pierres extraites. Il st impératif que ces ateliers soient tout d’abord édifiés afin de permettre dans un second temps la construction des autres bâtiments du village. Les matériaux sont transportés par de petits wagons sur des rails en bois (système Xylocarril) et, plus tard, par un système de rails en fer de type Decauville sur lequel circule le « train des condamnés ». Ce train relie la prison

 

En 1907, la prison compte un grand nombre de services : cordonnerie, tailleur, menuiserie, scierie, fabrique de pâtes alimentaires, blanchisserie, bureau anthropométrique, atelier de photographie, caserne de pompiers, imprimerie, bâtiment pour le personnel, ébénisterie, bibliothèque disposant de plus de 1 200 exemplaires, école, pharmacie et un service médical. Outre cela, la prison dispose du téléphone et d’une alimentation électrique. Le village d’Ushuaia bénéficie également de toutes les commodités ainsi que de certains services, comme une boulangerie ou une menuiserie. Ainsi, un habitant qui a besoin de mobilier du fait d’un mariage ou de l’arrivée d’un nouveau membre dans sa famille peut directement le commander à la menuiserie de la prison. Les ateliers sont dirigés par un personnel chargé d’enseigner des tâches précises aux condamnés. L’objectif étant que ceux-ci soient tout à la fois occupés à faire quelque chose d’utile et qu’ils préparent leur libération, c’est-à-dire qu’ils apprennent un métier.

 

Le travail étant rémunéré, les condamnés sont en mesure d’économiser de l’argent qu’ils peuvent ensuite dépenser en tabac ou envoyer à leurs familles. Une fois libres, cet argent doit leur permettre de faire face à leurs dépenses pendant les premiers jours de leur libération jusqu’à ce qu’ils parviennent à être embauchés. La rémunération journalière - selon le travail et le comportement du condamné - varie de 20 ou 40 cents à 1 peso. Le petit village d’Ushuaia tire parti du travail des condamnés qui y édifie ses rues, ses bâtiments et ses ponts. Ainsi, la présence des condamnés devient habituelle pour les habitants de la ville. Elle n’attire en définitive que l’attention des quelques rares personnes qui visitent Ushuaia à cette époque.

Les locaux de la prison

Le plan initial de la prison s’articulae autour de la construction d’une « colonie pénitentiaire » pour 580 prisonniers à Lapataia. Finalement, on opte pour la construction d’une prison constituée de cinq pavillons disposés radialement pour faciliter leur surveillance. Chacun d’entre eux est composé de 76 cellules individuelles, ce qui porte leur nombre total à 380. Ce type d’architecture pénitentiaire est connu sous le nom de « système de Lucca ». Chaque pavillon dispose d’une salle située à son extrémité, le bâtiment formant ainsi une sorte de « marteau ». Ces salles sont utilisées à des fins différentes selon les époques et du pavillon auquel elles appartiennent. Celle du pavillon n°1, où sont logés les prisonniers correctionnels (correctional prisoners), est utilisée comme salle de bain ; au pavillon n°4, elle fait office de bibliothèque et d’infirmerie ; et de douches au pavillon n°2. À certaines époques, la prison est surpeuplée et peut contenir plus de 600 prisonniers. La cuisine se situe entre les pavillons n°1 et n°2 et la boulangerie entre les pavillons n°1 et n°3. Tous les pavillons donnent sur un couloir central appelé rond-point, qui constitue le lieu de rassemblement de tous les condamnés. Ils le traversent obligatoirement pour se rendre aux ateliers ou ou pour aller travailler à l’extérieur de la prison. Lorsque les prisonniers sont enfermés dans leurs cellules, ils peuvent tous être surveillés depuis ce rond-point central.

 

Cette prison a la particularité de ne disposer d’aucun mur d’enceinte : seule une clôture de deux mètres de haut avec quatre rangées de fil de fer barbelé sépare la prison du village. De ce fait, les habitants peuvent voir les prisonniers à l’intérieur de la prison et vice-versa. Tout autour du bâtiment sont installées des réserves et des guérites occupées par le personnel de surveillance (il s’agit au début de militaires qui sont remplacés ensuite par des surveillants). Les militaires sont armés de fusils et de baïonnettes. Ils conservent toujours une distance prudente en formant un cercle autour des condamnés et n’entrent jamais en contact avec eux. Le travail des surveillants est très différent : ils ne sont pas armés et passent leur vie au contact des prisonniers.

 

Parmi les autres constructions réalisées par les condamnés figure la « jetée des condamnés » (convicts’ pier), qui leur permet d’embarquer et de débarquer, et le chantier naval où les navires de la prison sont réparés ou construits, comme la fameuse patrouille « Godoy ». Plus à l’est se situe la maison du gardien. À l’entrée principale de la prison sont installés les logements du directeur, de divers fonctionnaires comme le médecin et le cuisinier, ainsi que les bureaux administratifs qui se trouvant près de la rue principale du village, à la hauteur de la rue Saint Martin. Le poste de garde et la réserve principale sont situés en face du hall d’accueil.
Les quelques voyageurs qui débarquent à Ushuaia par bateau ont tous décrit la prison comme une énorme masse de pierre grise parsemée de nombreuses petites constructions situées de manière désordonnée. Il s’agit en fait d’ateliers construits en moellons ou bien en bois et en zinc.

Les employés de la prison et les habitants d’Ushuaia

Un quartier destiné aux employés a été prévu, mais il n’a jamais été construit. En règle générale, les gardiens habitent en ville. Au fur et à mesure que l’établissement se développe, de plus en plus de personnes issues de la colonie y sont employées. En outre, la fourniture de nourriture à la prison assure la prospérité de certaines familles locales, notamment des éleveurs de bétail et des propriétaires de petits voiliers qui fournissent des moutons et d’autres provisions dont la colonie a besoin. La population d’Ushuaia est composée de citoyens argentins et de nombreux immigrants. Outre des Chiliens, les deux principales communautés sont espagnole et dalmate. Plus tard, des Italiens formeront également une communauté. Les surveillants sont principalement des Espagnols de Galice qui - selon les générations - appartiennent déjà à la profession et qui arrivent à Ushuaia dès le début des activités de la prison. Un nombre important de familles s’installent sur place. En plus de travailler pour la prison, les surveillants se livrent à d’autres activités telles que la pêche, la coupe de bois de chauffage, la culture dans de petites exploitations et bien d’autres choses encore. Beaucoup de ces nouveaux arrivants travaillent en ne disposant que de leur uniforme et de leurs repas. Leur nomination - en raison de la lenteur des moyens de transport à cette époque – peut effectivement prendre une année entière, voire plus. Une fois nommés, leurs familles peuvent ensuite les rejoindre.

 

La plupart des commerçants gagne leur vie grâce à la prison et ses employés. Ils vendent de la nourriture pour les condamnés et quelques modestes objets de luxe tels que des morceaux de tissu, des boissons alcoolisées, du tabac et autres bagatelles aux employés et à leurs familles. Quand le jour de paie arrive, la plupart payent leurs dettes. Mais comme ce jour a souvent du retard, certains proposent de racheter ces petites dettes en réalisant de substantiels profits car ils sont sûrs d’être remboursés avec intérêt plus tard. Le directeur de la prison se plaint de cette situation. Dans une lettre adressée par l’ingénieur Catello Muratgia au ministre de la Justice, il dénonce par exemple le prix abusif du bétail fixé par une famille locale et de la possibilité offerte à des marchands de l’acheter à un tarif inférieur, mais à la condition de le régler en espèces.
Pour avoir une idée de la population civile et pénale présente sur place, nous disposons du témoignage du père Martin Gusinde qui, en 1919, écrit au Président du Chili en lui indiquant qu’Ushuaia comptait 500 colons et 550 condamnés. Bien que nous ne puissions pas juger de la véracité de ces chiffres, ils donnent une estimation de la population présente sur place. Selon le récit du Dr. Angel E. González Millán qui visite Ushuaia en 1936, l’effectif et la population pénale est à peu près équivalent, c’est-à-dire constitué d’environ 800 personnes pour une population totale de 3 800 habitants installés sur la Terre de Feu.
Margarita Wilder est née en 1931 à Ushuaia. Sa mère, native du Chili, tomba amoureuse d’un Anglais et s’installa dans la petite ville. Elle a brièvement résumé à quoi ressemblait sa vie sur place : « Mon père était gardien. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec la prison. Les enfants des employés de l’institution y recevaient du pain. Nous avions l’habitude d’y aller avec de petits sacs. À ce moment-là, nous voyions les prisonniers dans les environs, mais nous n’avons jamais eu de problèmes avec eux. Quand ils travaillaient dans la rue ou passaient dans le petit train, ils nous regardaient, mais personne ne nous a jamais dérangés. Quand ils s’évadaient, ils n’ennuyaient personne et personne ne les craignait : quand j’étais petite fille, une de mes amies et moi étions allées une fois dans les bois après l’école pour aller y cueillir des fraises. Nous avons alors vu un homme assis sur un rocher, mais il ne nous a rien dit. De retour chez moi, mon père m’apprit ce soir-là qu’un prisonnier s’était échappé. » Son père lui dit également que lorsqu’un condamné était puni, il se retrouvait fréquemment à l’hôpital ou au cimetière. Il était effectivement enfermé dans une petite cellule de deux mètres sur deux. Et même au plus fort de l’hiver, certains pouvaient être arrosés d’eau froide et passaient ainsi la nuit jusqu’au lendemain : « Les gardes, qui portaient un uniforme noir, étaient les plus méchants avec les prisonniers - de véritables diables en fait - ; ce qui n’était pas le cas des autres gardiens. » Margarita se souvient ainsi que beaucoup de condamnés une fois libérés rendaient visite à certains gardiens pour les saluer une dernière fois. Un prisonnier venu dîner chez elle indiqua à sa famille qu’il avait été emprisonné injustement pendant 25 ans et leur expliqua son cas : il avait quitté sa maison tard le soir pour aller quérir une sage-femme car sa fille était sur le point de naître. Il passa alors devant un restaurant bon marché où venait de se produire une bagarre et un meurtre. Il fut arrêté par la police par erreur et condamné et envoyé purger sa peine à Ushuaia.
Margarita acheva sa scolarité et commença à travailler à 15 ans comme infirmière dans le vieil hôpital. Lorsque le médecin pour lequel elle travaillait ouvrit un hôpital privé, elle y trouva un travail puis intégra à 18 ans l’hôpital naval.