2. La vie quotidienne dans la prison d’Ushuaia

Plan du chapitre

Transferts

Quel type de condamnés étaient envoyés à Ushuaia ? Mis à part tous ceux qui devaient y purger les peines les plus sévères et ceux qui devaient également y purger une « peine cumulative de détention à durée indéterminée » (cumulative penalty of indefinite time confinement), tous les prisonniers incarcérés dans ce pénitencier national qu’ils surnommaient La Tierra (la terre) partageaient certaines caractéristiques communes. Ainsi, périodiquement, l’administration dressait de nouvelles listes de détenus qui étaient sélectionnés pour le départ. Leurs antécédents criminels, leur comportement, leurs apprentissages dans les ateliers, les visites qu’ils recevaient, leur type d’infraction et le trouble qu’ils avaient provoqué à la suite de leur infraction étaient soigneusement analysés. Les condamnés devaient ensuite subir un examen médical. Le jour du départ, les gardiens étaient chargés de les avertir après le souper. L’ensemble du pénitencier plonge alors dans un silence empreint de peur, d’angoisse et de suspense. Les transferts dépendent du nombre de condamnés sélectionnés pouvant être incarcérés dans la prison d’Ushuaia. L’étape suivante consiste à leur demander de préparer un baluchon contenant leurs vêtements et leurs ustensiles. Ils sont ensuite conduits dans une cour où ils sont inspectés afin de vérifier qu’ils ne sont pas porteurs d’objets prohibés tels que des armes ou des outils. Cette vérification effectuée, ils sont enchaînés. Leurs chaînes sont reliées entre elles par une autre chaîne ou un barreau de fer. Elles sont disposées autour de leurs chevilles afin qu’elles ne puissent pas mesurer plus de 15 à 20 centimètres. Ces chaînes sont rivées par des coups de marteau. Trois coups sont assenés sur chaque clou en fer et représentent trois coups particulièrement durs portés au cœur de chaque condamné en attente de ferrement et de tous ceux qui attendent leur transfert dans leur cellule. Certains affirment que les forçats les plus durs et les plus insensibles toisent les forgerons avec arrogance pendant qu’ils font leur travail. Mais après quelques mètres de marche, leur moral tombe au plus bas lorsqu’ils commencent à ressentir la morsure du fer sur leur peau et les limites que la chaîne impose à leurs mouvements.

 

Les prisonniers sont conduits sur le navire chargé de les acheminer jusqu’à Ushuaia à l’aide de camions policiers. Ils embarquent ensuite à bord de navires de la Marine tels que les Chaco, Ushuaia, Pampa, Patagonia, 1º de Mayo et voyagent dans les cales au milieu desquelles trône un grand baquet d’aisance. Ils y demeurent environ un mois, soit le temps d’arriver à destination. La fine poussière du charbon pénètre dans les cales. Ainsi, lorsque les prisonniers arrivent à destination ils en sont recouverts et crachent de la suie lorsqu’ils toussent. Selon plusieurs témoignages, les commandants de bord se montrent parfois miséricordieux et permettent aux condamnés de sortir de leurs cales pour prendre l’air. Certains capitaines les font même déférer. Ces voyages de Buenos Aires jusqu’au sud du pays permettent l’embarquement tout au long de leur cours de prisonniers évadés, mais également de marchandises à destination de Bahía Blanca, de Puerto Madryn, de Comodoro Rivadavia, de Santa Cruz et de Rio Gallegos ; et - bien sûr – de tout ce qui était nécessaire à la vie quotidienne à Ushuaia : provisions de nourriture, médicament, journaux, etc.

 

Lors de ces premiers transferts, le choix des condamnés est quelque peu arbitraire. À partir de 1884, lorsque le lieutenant Augusto Lasserre prend possession des premiers convois de condamnés, ceux-ci sont choisis en fonction de leur habileté manuelle, notamment pour la construction du phare de l’île des États et de la sous-préfecture. Puis au fil du temps, des prisonniers hommes et femmes y sont envoyés dans le but de s’installer durablement dans la colonie pénitentiaire. Dans le cas des prisonniers militaires, seuls quelques-uns sont autorisés à être accompagnés par leur femme. Vers la fin du XIXe siècle, on envoie également des mineurs à Ushuaia, notamment des « enfants des rues » comme on les surnomme aujourd’hui. La situation change au cours de la première décennie des années 1900.
Un dernier changement important a lieu en 1936, lorsque la direction des instituts pénaux (Head Office of Penal Institutes) prend en charge la surveillance effective de la prison d’Ushuaia. À partir de cette date, le traitement réservé aux prisonniers et leur vie quotidienne changent du tout au tout. Un Institut de classification (Classification Institute) y est créé et les condamnés sont envoyés à Ushuaia en fonction de leur dangerosité et de leur difficulté à s’adapter au régime pénitentiaire. Un article du Penal and Penitentiary Magazine intitulé « L’envoi de condamnés à Ushuaia » indique en 1939 que : « L’âge et la santé des condamnés - tant corporelle que mentale - sont également pris en compte pour éviter l’envoi de ceux qui ne conviennent pas, et ce bien qu’ils remplissent les obligations légales. Un comité constitué de médecins est nommé pour décider quels prisonniers seront envoyés à Ushuaia. Ce comité, réuni à l’Institut pénitentiaire (Penitentiary Institute) analyse minutieusement chaque cas figurant sur les listes. Ceux inclus dans l’article 51 du Code pénal, c’est-à-dire ceux ayant une courte peine à purger, sont exclus car il est inutile de les envoyer à Ushuaia. La plupart des condamnés sélectionnés relèvent de l’article 52 du Code pénal. »

Comment voyageaient-ils ?

Martín Chaves décrit dans le journal Crítica les transferts de condamnés vers « la terre du mal ». En tant que gardien du pénitencier, il accompagne un groupe de condamnés jusqu’à Ushuaia. Arrivés à destination, tous prennent place à bord d’un train qui les conduit jusqu’au port. Une fois sur place, la vigilance est renforcée et deux gardes sont responsables d’un condamné placé sous leur surveillance. Le cas du condamné José Domínguez est entré dans la postérité. Il avait juré mille fois de ne pas se rendre à Ushuaia où il devait y purger une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement pour meurtre. Le 12 février 1926, il parvient à s’échapper de la cale du navire le Buenos Aires et plonge dans la rivière. Mais le poids de ses chaînes le précipite au fond et ce n’est que le lendemain que son corps est retrouvé au moyen d’une drague. Domínguez est ainsi parvenu à tenir son serment : celui de ne jamais se rendre dans « la terre du mal ». Une autre histoire transmise de surveillants en surveillants concerne l’évasion de 114 condamnés qui se mutinèrent dans la prison de Buenos Aires en 1925 :
« On n’a jamais su exactement qui était le condamné qui avait réussi à briser ses chaînes et à libérer le reste de ses compagnons. Cet acte a été attribué à Brasch, un Allemand qui purge encore une peine pour agression et meurtre dans le territoire du sud. La vérité est que les 114 condamnés se sont révoltés et se sont précipités vers la liberté. À ce moment-là, il leur était plus facile de s’échapper car ils ne portaient pas d’uniforme et ils pouvaient ainsi facilement se promener dans les rues sans se faire remarquer. Mais la plupart d’entre eux ont ensuite été rattrapés [...]. Suite à cela, toutes les précautions furent prises et de nombreux gardes disposèrent de puissants projecteurs pour éclairer les silhouettes des fantômes qui descendaient dans la cale des navires qui les mèneraient à la Terre de Feu avant l’aube. »

 

Le voyage dure vingt-neuf jours : « Un jour, je suis descendu entre les ponts du navire pour voir mes compagnons prisonniers. Je n’oublierai jamais ce choc. C’était l’enfer. Humidité, chaleur. Le navire s’était arrêté à Bahía Blanca pour charger du charbon qui était expédié dans la cale située entre les ponts où se trouvaient les condamnés. La fine poussière de charbon se collait au visage de ces hommes enchaînés qui la respirait et la recrachait ; le charbon dessinait des masques sur leurs visages […] Fantômes, spectres, je ne sais pas ce que j’ai vu. J’ai quitté avec douleur cette salle de torture, en me demandant si les directeurs de la prison, si les juges, si les ministres ne disposaient d’aucune information concernant ce traitement barbare. […] Le directeur de la prison, des employés et de nombreux gardiens nous attendaient sur le port. Chacun était disposé stratégiquement en vue du débarquement des condamnés [...]. »

Le trousseau

L’arrivée à la prison d’Ushuaia constitue un soulagement pour les condamnés. Ils y prennent un bain et reçoivent de nouveaux vêtements. Les biens réglementaires distribués varient de temps en temps, mais l’administration doit obligatoirement fournir à chaque condamné un bat-flanc en bois (c’est-à-dire une sorte de lit), un matelas léger ainsi que dix kilogrammes de laine lavée et peignée, trois couvertures et un oreiller en laine, une petite table, un petit tabouret, un petit placard, deux assiettes, une fourchette, une cuillère, un pichet, deux taies d’oreiller, quatre draps, deux serviettes, deux paires de chaussettes, deux chemises, deux sous-vêtements, deux caleçons, une paire de chaussons ou une paire de bottines, une combinaison, un uniforme pour les vacances, deux casquettes, deux brosses, du matériel scolaire et une règle. Et pour les condamnés qui travaillent à l’extérieur : un chemisier, un pantalon et un bonnet imperméables. Chaque condamné doit recevoir annuellement deux ou trois uniformes. S’il est carrier ou bûcheron, ses bottes doivent être remplacées à plusieurs reprises au cours de l’année. Mais dans les faits, les ateliers des tailleurs et des cordonniers ne sont pas en capacité de satisfaire à ces rythmes de remplacement. Si un prisonnier abîme ses vêtements de façon injustifiée, il doit en payer de nouveaux avec ses propres deniers. En outre, il n’est pas autorisé à détenir d’autres biens que ceux fixés par le règlement, à l’exception des prisonniers qui adoptent une bonne conduite et qui peuvent en retour être autorisés à conserver dans leur cellule des livres, du tabac, du sucre et du maté. Ils sont également autorisés, pendant leurs pauses ou leurs temps de loisirs, à fabriquer de petits objets artisanaux qu’ils peuvent ensuite revendre.

Cellules et pavillons

Après avoir pris leur bain, les condamnés se voient remettre des uniformes au niveau du rond-point central. Leurs cheveux sont coupés et ils doivent se raser. Conformément à la réglementation, les condamnés à des peines correctionnelles (correctionnal punishments) sont autorisés à porter une moustache ; ce qui n’est pas le cas pour les prisonniers purgeant une peine de prison (prison sentence). À l’issue de cette procédure, les condamnés sont installés dans leurs cellules. Ainsi, les personnes emprisonnées pour vol et vol qualifié sont hébergées dans le pavillon n°1 ; celles reconnues coupables d’escroquerie sont installées dans le pavillon n°2 ; le pavillon n°4 étant réservé aux meurtriers et le pavillon n°3 à ceux atteints de maladies infectieuses. Toujours dans le cadre de la procédure d’arrivée au pénitencier, les détenus reçoivent un numéro de matricule qu’ils doivent porter de manière apparente sur leur veste, un bonnet ainsi qu’un pantalon s’ils sont condamnés à de la prison et un badge rouge étiqueté sur leur bonnet s’il s’agit de meurtriers. Les cellules disposent d’une porte en bois avec un œilleton composé d’un verre épais qui permet aux gardiens de regarder à l’intérieur. Chaque cellule dispose également d’une ouverture de 20 cm sur 20 cm avec des barreaux pour assurer la ventilation. Leur taille est pour toutes similaire, mais les 9 premières (il y en avait 18 par étage) sont plus grandes (2,95 m de haut sur 1,93 m de large). Les autres mesurent 1,93 m par 1,93 m.

Châtiments

Il n’y a pas de cellules de punition - du moins pas officiellement - et ce à aucune période de fonctionnement de l’établissement. Les condamnés qui sont punis demeurent dans leurs cellules mais sont soumis au régime du pain sec et de l’eau durant un mois. Ils sont totalement isolés et ne sont autorisés à sortir que deux heures par jour. Les punitions les moins lourdes comprennent l’enfermement pendant les heures de pause et la réduction de la ration de nourriture. Les moyens de dissuasion varient selon les périodes et les directeurs. Ainsi, il fut un temps où les prisonniers étaient battus ou maintenus dans l’obscurité dans leurs cellules avec leurs vêtements trempés, leur fenêtre ainsi que l’ouverture de leur ventilation couvertes. Mais cette situation dura peu de temps. Les punitions mineures incluent des « avertissements » et une punition intitulée « sentry on long punishment guard », ce qui signifie l’obligation de rester debout durant de longues heures - le plus souvent à l’air libre. Il existe néanmoins un certain nombre de récompenses pour ceux qui se comportent bien. Certains prisonniers par exemple peuvent être autorisés à travailler en dehors de la prison, en ville ou dans les forêts et même être autorisés à passer la nuit dans un abri situé à Monte Susana. Ils peuvent également être autorisés à écrire à leurs proches et recevoir des lettres, même lorsqu’elles sont censurées par la direction. Si elles sont autorisées les visites restent très rares du fait de la distance. Il y en eut parfois, essentiellement dans le cas de prisonniers politiques.
Les condamnés sont soumis à d’autres types de sanctions comme de devoir se rendre dans leurs ateliers de travail enchaînés, de devoir restituer l’argent qu’ils ont économisé en cas de tentative d’évasion, de devoir payer des amendes fixées par la direction en fonction de la faute commise et de restituer les récompenses obtenues pour bon comportement. Les punitions dépendent de chaque directeur et du règlement disciplinaire en vigueur.

Repas

Le cuisinier est responsable des provisions et de la fourniture de toutes les denrées nécessaires à la préparation des rations quotidiennes. Il existe trois types de rations : celle prescrite par le médecin pour les malades ; celles pour les travailleurs ; et une troisième « ration de conservation » pour les infirmes ou les malades qui ne travaillent pas à des tâches « productives ». Le règlement indique que les détenus doivent prendre chaque jour deux repas et un petit-déjeuner en fonction du type de travail effectué. Le personnel reçoit les mêmes repas que les condamnés. Mais d’après certains témoignages, les repas du personnel sont généralement plus abondants.

 

L’établissement dispose d’un grand verger ainsi que d’un poulailler. Au fil du temps, des serres sont installées et des conserves alimentaires sont produites dans la prison. Du pain est fourni à tout le personnel ainsi qu’une portion de viande par famille. De plus, chaque famille dispose de son propre verger. La prison demeure néanmoins dépendante des importations de vivres.

Cimetière

On a affirmé que la prison disposait de son propre cimetière. En fait, il y avait une section dans le cimetière de la ville - situé à l’ouest, dans la banlieue d’Ushuaia - qui appartenait à la prison. Il s’agit de l’ancien cimetière d’Ushuaia qui se trouve aujourd’hui en plein centre-ville. Le nombre de condamnés décédés à Ushuaia demeure encore sujet à discussion. Leur taux de mortalité dépendait de la densité de la population carcérale et du nombre d’années de détention. Selon un rapport du 2 août 1904 rédigé par l’inspecteur Nieto Moreno, au cours des huit premières années de fonctionnement de la prison, il n’y aurait eu que trois personnes décédées et « […] la plupart d’entre elles [auraient] souffert de maladies pernicieuses contractées avant leur entrée dans l’établissement ». En 1934, le bilan fait état de six morts pour 538 condamnés.
Mais il est difficile d’ignorer que la prison connut une période de terreur dans les années 1930 durant laquelle au moins un ou deux cercueils traversaient la ville chaque semaine (selon les témoignages oraux d’Alfonso Lavado et de Mme Lavado). Ces convois macabres ne pouvaient être évités et tous les habitants étaient ainsi informés de la mortalité élevée qui régnait à cette époque dans la prison. Après le décès du condamné, un cercueil était fabriqué et la dépouille était transférée au cimetière immédiatement. Et le cercueil traversait donc toute la ville…
Il n’existe plus de nos jours de vestiges de la section des condamnés au cimetière d’Ushuaia. Juste quelques photos des tombes ayant appartenu à des prisonniers célèbres et morts dans des circonstances suspectes. Après la fermeture de la prison et à cause du manque d’espace, les restes de condamnés inconnus ont été concentrés dans une grande fosse commune. La même situation s’est produite dans les cimetières de San Juan de Salvamento et de Puerto Cook dans l’île des États. Les noms et autres données inscrites sur les croix et les pierres tombales que l’on trouve encore dans ces deux cimetières sont illisibles en raison de l’usure du temps et de l’action de la pluie. De nos jours, ces tombes demeurent l’unique vestige de la présence d’êtres humains dans la région. Le cimetière de la prison militaire de la baie de Golondrina a été généralement confondu avec celui de la prison nationale. Comme cela a déjà été mentionné ailleurs, la première a fusionné avec la prison pour délinquants en 1911. Et ces installations ont été démantelées, à l’exception d’un hangar toujours utilisé de nos jours. À côté de cette remise, des croix marquaient l’emplacement d’un cimetière qui était visible jusqu’il y a peu. De nombreux journalistes et chroniqueurs de l’époque pensaient qu’il s’agissait d’un cimetière réservé exclusivement aux condamnés de la prison.

Travaux

« Le Code impose l’obligation de travailler aux condamnés. En général, ils souhaitent travailler et le réclame. Ils préfèrent travailler dur plutôt que de rester confinés dans leurs cellules, s’ennuyant et tremblant de froid, ou torturés par leurs pensées » (Manuel Rodríguez). Un bûcheron interrogé par le même journaliste déclare : « [...] j’ai mal au dos. C’est peut-être à cause de la pleurésie dont j’ai souffert. Ce n’est pas grave - nous passons tout notre temps au travail. C’est le seul moyen de vaincre la prison. Je vais continuer dans les bois. Au moins, ici, je peux respirer un peu et voir le soleil [...] ».
En plus de travailler dans les ateliers et à la construction de bâtiments, les prisonniers peuvent également être employés à des travaux publics à l’extérieur de la prison. Au printemps et jusqu’à l’automne, certains sont envoyés pour réparer et agrandir la jetée, pour construire la route qui mène au nord de l’île, pour bâtir des services publics tels que des égouts ou des adductions d’eau, pour nettoyer les rues, pour installer l’éclairage public, etc. Ces genres de travaux sont mieux rémunérés que ceux disponibles dans la prison. Les condamnés sont encouragés à les réclamer car ils leur offrent la possibilité d’obtenir une réduction de peine. Mais seuls ceux qui se comportent bien peuvent accéder à ces emplois. Les tâches sont assignées à chaque condamné tous les matins au rond-point de la prison. Des gardiens, armés d’un fusil muni d’une baïonnette, sont désignés pour être chargés de les escorter toute la journée en formant un cercle autour d’eux en se maintenant à une distance d’environ dix à quinze mètres. Les travaux forestiers commençaient tôt le matin et certains prisonniers passent la nuit dans un abri à Monte Susana. Il s’agit de « privilégiés » qui peuvent cuisiner leurs propres repas et jouissent d’une certaine liberté en demeurant en plein air notamment durant les longues journées d’été. Les autres prisonniers sont conduits par le « petit train » et les bûcherons voyagent sur des chariots sous la surveillance de gardiens armés. Ils demeurent toute la journée dans la forêt pour y abattre des arbres (la prison consomme trente mètres cubes de bois de chauffage par jour). Lorsqu’ils ont achevé leur abattage, ils chargent le bois de chauffage obtenu sur des charrettes et reviennent à pied ou bien sur les chariots s’il y reste de la place. Ces travaux ont également lieu en hiver et les condamnés et leurs gardiens doivent parcourir douze kilomètres entre la prison et le chantier forestier. Dès leur arrivée, ils commencent à abattre des arbres, puis les installent sur des chariots pour les transporter sur un terrain proche de la prison où ils sont équarris. En cas de tempête, le stock de bois de chauffage conservé dans la prison est alors utilisé, car il n’est alors plus possible d’atteindre Monte Susana.

 

La sélection des grumes à utiliser dans la scierie ou pour la construction des bâtiments, le mobilier ou les poteaux est réalisée par d’autres condamnés. Si un bûcheron refuse de travailler, il est puni et forcé de rester debout sur un tronc les bras en croix pendant une heure. La carrière, la centrale électrique et la blanchisserie constituent d’autres travaux importants pour les condamnés. Près de 50% d’entre eux ans travaillent dans ces différents ateliers. La plupart confectionnent des coffres, cannes, stylos, petites boîtes, étuis à poudre, couvertures de livres, cintres qui sont achetés par de rares touristes et par certains habitants. Ce petit artisanat ne donne ainsi pas lieu à une production à grande échelle en raison du nombre très limité d’acheteurs.
Le témoignage d’Alfonso Lavado et de son épouse, Luz Marina Jeréz, tous deux nés à Ushuaia dans les années 1930, est très intéressant : « Les gardiens commençaient à travailler à 6 heures du matin, car le petit train quittait la prison à 7 heures. En hiver, la routine était la même - une première session (groupe de condamnés) se mettaient en place avec des pelles. Ils étaient cinquante ou soixante à nettoyer après le petit train, lentement. Ils marchaient alors 10 kilomètres en dégageant la neige avec des pelles jusqu’à leur arrivée à Monte Susana. Et lorsqu’ils atteignaient les kilomètres 5 ou 8 - là où il y avait des ravins - ils construisaient des tunnels dans la neige. Le premier train était une petite machine qui a fonctionné pendant environ vingt-cinq ans. Il fut ensuite remplacé par un train plus grand doté d’une jauge plus large et qui pouvait donc supporter un poids plus lourd. Les prisonniers étaient chargés de se procurer du bois de chauffage en hiver et en été et certains groupes se rendaient en ville pour travailler dans les services municipaux. Il s’agissait de condamnés qui s’étaient bien comportés ; car ceux qui ne se comportaient pas bien restaient à l’intérieur de la prison où ils étaient chargés de nettoyer, de peindre et de maintenir la prison aussi propre qu’un miroir : vous pouviez manger par terre. Il y avait une serre à l’entrée, en face de la maison du directeur, où il y avait des pommiers. En été, les condamnés y cultivaient de la laitue, des concombres, des carottes et même des petites courgettes. […] Durant leur temps libre, ils fabriquaient des objets artisanaux avec des nœuds de lenga (feuilles de hêtre), qui étaient ensuite vendus aux habitants et aux gardiens. […] Certains colons échangeaient des légumineuses qui pouvaient être cultivées par les prisonniers. Ceux-ci creusaient un trou et enterraient de petits sacs contenant des haricots verts et les recouvraient de terre. Le père de Luz Marina [la femme de M. Lavado] les échangeait contre des barres de chocolat et des cigarettes. Mais pas de boissons alcoolisées parce qu’elles étaient interdites. » Luz Marina Jeréz affirme de son côté que les condamnés étaient gentils et son mari ajoute qu’après avoir passé environ cinq ans en prison, ils devenaient tous bons.

Chronologies des différentes peines purgées dans la prison d’Ushuaia

1896 : La prison ouvre ses portes en 1896 pour permettre aux prisonniers d’y purger leur peine, conformément à la loi n° 3.335. Au début de son fonctionnement, des femmes y sont envoyées et il existe une section pour les mineurs.
1899 : Le pénitencier national commence à envoyer des condamnés à la prison d’Ushuaia.
1903 : Dans certains cas, l’exécutif ordonne que la peine de bannissement (loi 4189 du 22 août) soit purgée sur la Terre de Feu.
1907 : Accueil dans la prison d’Ushuaia des condamnés originaires de provinces dépourvues d’établissements pénitentiaires appropriés.
1910 : Le 1er juillet 1910, le gouvernement décide que les peines d’emprisonnement seront purgées à Ushuaia. Le 14 octobre suivant, il décide que la prison militaire d’Ushuaia dépend du ministère de la Justice et de l’Éducation, ce qui lui permet de fusionner avec la prison pour délinquants de la Terre de feu.
1921 : Un nouveau code pénal entre en vigueur en 1921 et le gouvernement ordonne à compter du 29 décembre 1922 que les condamnés à la réclusion criminelle ou à l’emprisonnement à perpétuité pour une durée indéterminée purgent leur peine à Ushuaia.
1924 : Le 10 octobre, l’exécutif décrète que les criminels les plus dangereux sont passibles d’une peine d’emprisonnement à la prison d’Ushuaia.
1943 : Le gouvernement maritime est créé en 1943 et un remaniement administratif de la région de la Terre de Feu a lieu.
1947 : Invoquant des motifs pénitentiaires, la fermeture de la prison d’Ushuaia est ordonnée le 21 mars 1947. Le dernier groupe d’employés du pénitencier quitte Ushuaia le 21 décembre de la même année.

Peines d’emprisonnement et de bannissement à durée indéterminée

La peine de bannissement inscrite dans le Code pénal et certaines ordonnances du gouvernement devait, dans certains cas, être purgée sur le territoire de la Terre de Feu. Cette peine de bannissement était infligée aux délinquants. Le condamné est alors envoyé pour une durée indéterminée dans un lieu désigné par l’exécutif. À cette époque, les bannis doivent apprendre un métier et s’ils parviennent à s’autonomiser, ils peuvent demander au bout de 15 ans à bénéficier d’une exemption de peine. Le bannissement demeure en vigueur à Ushuaia jusqu’en 1916, date à laquelle, pendant la présidence de Hipólito Yrigoyen, les bannis sont envoyés sur le territoire de Chubut. Carlos García Basalo indique au sujet de cette peine : « Les plus bannis sont les lunfardos (escrocs), c’est-à-dire les auteurs habituels d’infractions mineures contre la propriété. »
Le gouvernement décide qu’à partir de 1922 les peines de réclusion et les « peines d’emprisonnement à durée indéterminée » des récidivistes, selon l’article 52 du Code pénal, doivent être purgées à la prison d’Ushuaia. Les récidivistes purgent donc d’abord leur peine principale puis se voient frapper d’une peine cumulative à durée indéfinie qui vient s’ajouter à leur première condamnation. Voici par exemple un cas décrit par le Dr. Angel E. González Millán : « […] un ramasseur de fonds de Puerto Madryn volait habituellement des poules à ses voisins. Il commit cinq infractions. Il a été condamné à deux ans de prison pour vol, en plus de la peine cumulative prévue à l’article 52. Il est en prison depuis sept ans et il n’a aucune chance d’être libéré. » Ce condamné subissait donc la même peine que des criminels particulièrement dangereux incarcérés dans une cellule d’un autre pavillon de la prison. Si un détenu se comporte bien et purge correctement sa première peine, il peut demander qu’une date soit fixée pour mettre un terme à sa peine cumulative à durée indéfinie. Néanmoins, cela ne signifie pas sa mise en liberté immédiate. Chaque cas est examiné et un magistrat est consulté. Il existe un article intéressant publié dans le journal Crítica dans lequel un journaliste décrit des condamnés à cette peine. L’article fut publié au moment de la fermeture de la prison d’Ushuaia : « À cette époque, il y avait beaucoup de petits voleurs dans la prison ; ils furent victimes de l’article 52 qui fut imposé aux délinquants. Nous avons déjà mentionné Antonio Merlo, dont le dernier crime était d’avoir volé un bidon d’huile. José Arcangeli, condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir tiré avec une arme à feu, est là depuis sept ans. Domingo Ricardo Falbi a affirmé que sa femme avait tenté de le tuer. Il s’est défendu et, dans le tonnerre de la bataille, deux coups de feu ont été tirés. Il est incarcéré depuis sept ans, bien qu’il ait été condamné à cinq ans. Juan José Franceschini, qui a volé une voiture, a été condamné à trois ans et en a déjà purgé six. Agustín Pedra est probablement la victime la plus gravement frappée par l’article 52 : il avait été condamné à deux ans de prison pour complicité et larcin, mais il a été emprisonné pendant vingt ans. »

Évasions

S’échapper d’Ushuaia est pratiquement impossible sans aide extérieure. C’est en outre très difficile du fait de la situation géographique de la prison, cernée par des forêts et des montagnes, et du froid intense qui règne dans la région durant la majeure partie de l’année. La température de la mer à cet endroit ne dépasse jamais 11º C et demeurer longtemps dans ces eaux entraîne une mort certaine. De plus, la plupart des habitants d’Ushuaia connaissent les condamnés.
Il y eut néanmoins beaucoup de tentatives d’évasion. L’une d’entre elle se déroula lors du retour du petit train du camp de Monte Susana  : six condamnés de s’enfuir. Immédiatement, les gardiens tentèrent et trois d’entre eux furent tués et les autres capturés. Une autre fois, un condamné se cacha dans le clocher de l’église du village jusqu’à ce qu’il fut découvert par hasard, alors qu’il marchait dans la rue. Beaucoup disparurent également sans laisser de traces. Mais ont-ils réussi ou sont-ils morts en essayant de traverser le canal ou bien se sont-ils perdus dans les forêts des montagnes ? Sont-ils parvenus jusqu’à une île chilienne ? Une fois sur place, comment ont-ils survécu ? En fait, les fugitifs disparaissaient et personne ne les revoyait jamais.
Dans les faits, la plupart de ces évasions visent essentiellement à permettre aux condamnés de profiter de quelques jours de liberté. Tous savent qu’à peine que dès qu’ils feront un feu pour se réchauffer ou manger quelque chose la fumée dénoncera leur présence. Ils doivent donc se débrouiller pour attraper un oiseau et le manger cru, quand ils ont de la chance. Beaucoup de prisonniers évadés sont ainsi soulagés d’être capturés ! En général, leur état de santé est mauvais – voire pire qu’avant leur fuite - et la plupart sont saisis mourants de faim. Quoi qu’il en soit, ils sont heureux car ils ont passé quelques jours en liberté, loin du travail, des horaires et des punitions. D'autres choisissent de ne pas quitter la prison et restent cachés dans des ateliers ou des endroits isolés en attendant d' être découverts

Culture

« Hygiène, ordre, discipline et travail » constitue la devise de la prison. Avec ces quatre mots simples, Catello Muratgia résume ce qu’il considère comme la base pour rééduquer les criminels. Cette devise est affichée dans les ateliers, les salles de bain, les pavillons et les salles à manger de la prison. Muratgia estime également qu’il est important que les condamnés soient prêts à débuter une nouvelle vie au moment de leur libération. C’est pourquoi, la prison dispose d’une école et d’une bibliothèque. Cette école primaire déménagera plusieurs fois. Mais elle a longtemps été installée dans une salle du pavillon n°4, divisée en plusieurs salles de classe.
Les « élèves » regagnent leur classe après leurs heures de travail, pendant le temps imparti pour le bain ou pour le rangement de leurs vêtements. Seuls ceux qui se comportent bien et qui ne sont pas punis peuvent être scolarisés. De fait, très peu l’ont fréquentée. En 1935, seulement 57 prisonniers sur 538 vont à l’école. La bibliothèque - disposant d’un condamné bibliothécaire - se trouve également dans le pavillon n°4. Un très célèbre prisonnier y a longtemps travaillé : Guillermo Mac Hannaford. Ses camarades le considéraient comme un noble. Il était respecté et craint du fait du délit qu’il avait commis - espionnage - et pour lequel il s’était retrouvé à Ushuaia. Pour la société argentine, son cas faisait référence à la célèbre affaire du capitaine Alfred Dreyfus.
En 1934, la bibliothèque compte 1 200 volumes, certains donnés par des ex-détenus libérés. La plupart d’entre eux sont des romans. Les prisonniers peuvent emprunter des livres mais seuls ceux qui se comportent bien ont le droit de fréquenter la bibliothèque.

 

De nombreux condamnés échappent à la réalité carcérale en recourant à l’écriture. Beaucoup se consacrent à la poésie ou à la rédaction d’essais criminologiques ou portant sur le régime des établissements pénitentiaires. Malheureusement, leurs cahiers et leurs notes étaient conservés dans leurs dossiers et la plupart d’entre eux ont été perdus lorsque la prison ferma ses portes et que les dossiers furent transférés au pénitencier national de Buenos Aires. Le poète Octavio Pico a été incarcéré à Ushuaia en 1932. Il a déclaré dans une interview qu’il lisait autant que possible, en particulier le dimanche et pendant les pauses au cours de la semaine. Le reste de ses journées, il travaillait beaucoup puisqu’il recevait 70 cents par jour de salaire et qu’il envoyait de l’argent à sa famille. Germán García écrivit également un roman intitulé Tribulaciones de Aniceto (Tribulations d’Aniceto) qui n’a jamais été publié - comme beaucoup d’autres romans rédigés dans la prison.

 

À partir de 1936, suite à des réclamations formulées par les détenus, des tentatives sont conduites afin d’améliorer leurs conditions de vie. Le directeur de la prison d’Ushuaia, Don Roberto Pettinato - une personne très estimée dans le pays - procède alors à des changements. Il essaie d’améliorer le niveau de vie des condamnés en leur octroyant plus de travail. Il créé donc une ferme où des expériences sont menées avec l’aide de l’Institut de génétique de l’École d’agronomie et de médecine vétérinaire (Instituto de Genética de la Facultad de Agronomía y Veterinaria) de l’Université de Buenos Aires. Il encourage également la pratique du sport, comme le football et le basket-ball. Peu de temps après, des championnats et de nombreux matchs entre des condamnés et des équipes d’Ushuaia sont organisés.
Le « rond-point » de la prison est alors utilisé pour y célébrer les cultes religieux et y donner des concerts de groupes de marins ou du groupe de l’école de musique de la prison, qui se produisait également lors des célébrations nationales en ville. Pettinato encouragela projection de films, l’organisation de tournois d’échecs et la célébration d’actes officiels en présence des autorités de la ville et de militaires.

La censure

Description : La censure Toute communication à destination ou en provenance de la prison est l’objet d’une surveillance. Les journaux y entrent illégalement mais ils sont très datés car ils sont amenés par un navire affrété par la Marine qui ne mouille l’ancre à Ushuaia que tous les deux mois. Le courrier est systématiquement ouvert et censuré. Les condamnés ne sont autorisés à écrire qu’aux membres de leur famille figurant sur une liste. Il existe toutefois des moyens détournés pour échapper à cette censure. Certains surveillants miséricordieux sortent en secret des lettres de la prison pour les expédier par voie postale. D’autres sont soudoyés par des condamnés pour faire de même. Parfois, des villageois compatissants laissent de vieux papiers, des messages et même du maté ou des cigarettes cachés dans des pierres ou des gravats à l’intention de condamnés qui travaillent en ville. (d’après le témoignage oral de vieux habitants).

Santé, infirmerie et hôpital

Pendant longtemps, la prison d’Ushuaia ne dispose pas d’hôpital. Cette situation n’affecte pas seulement les condamnés, mais également les habitants de la ville. Les malades les plus gravement atteints doivent être conduits sur le continent par des navires de la Marine argentine. Dans le meilleur des cas, ils arrivent tous les deux mois et les malades embarqués décèdent la plupart du temps pendant le voyage. La situation est toutefois bien pire lorsque les condamnés sont incarcérés dans la prison de l’île des États puisque les navires n’y accostent que tous les deux ou six mois. À la prison d’Ushuaia, il n’y a pas de dentiste avant 1936. Une simple carie pouvant détruire une dent, la plupart des condamnés sont édentés. Pendant longtemps, la prison ne dispose que d’une seule une infirmerie déplacée d’un endroit à un autre avant d’être installée définitivement au-dessus du pavillon n° 3, et ce jusqu’à l’inauguration de l’hôpital qui a lieu en 1943.
La construction de l’hôpital débute en 1933. Mais les travaux sont stoppés par manque de financements. Cette situation cauchemardesque ne prend fin que lorsque la direction de la prison décide de l’achever en employant ses propres ressources

L’hôpital est constitué d’une pièce réservée aux instruments médicaux, d’un bureau et d’une salle de consultation. Le reste est occupé par des lits. Un médecin assisté par des infirmières est responsable de l’ensemble de l’hôpital qui reçoit aussi le personnel de surveillance. Les condamnés souffrant de maladies infectieuses ou vénériennes sont installés dans le pavillon n° 3. Mais comme il n’y a pas assez de places, certains groupes de condamnés porteurs de la même maladie sont hébergés dans d’autres pavillons. Un groupe de condamnés souffrant de tuberculose est par exemple hospitalisé dans plusieurs cellules du pavillon n° 1. En 1934, près de 54 % de la population pénale est déclarée officiellement malade. Ce qui donne une idée de la situation sanitaire de la prison. ais ce chiffre peut être encore plus élevé, compte tenu des moyens précaires dont dispose l'hôpital.
L’hôpital, devenu l’hôpital naval actuel, a non seulement beaucoup secouru la population carcérale, mais également l’ensemble de la population d’Ushuaia.

Hygiène

Les toilettes sont situées à l’extrémité de chaque pavillon. Elles n’ont pas de porte afin que le condamné puisse être surveillé. La plupart des condamnés utilisent un pot de chambre en bronze dénommé zambullo. Chaque matin, ils les vident dans les toilettes. De grands poêles en métal d’un mètre de diamètre où du bois brûle nuit et jour fournit du chauffage. Selon certains témoignages, il n’y a qu’un chauffage situé au centre de chaque pavillon. D’autres versions font état d’au moins trois chauffages par pavillon, outre le réchaud avec lequel les surveillants préparent leurs repas. Selon des témoignages oraux, le froid ne constituait pas un supplice dans les pavillons. Car comme l’indique Manuel Buezas : « Rappelons que les gardiens et le personnel de la prison vivaient aux côtés des prisonniers. » Quoi qu’il en soit, la température dans la prison demeurait raisonnable. Mais au cours de la nuit, la situation évoluait car les portes des cellules étaient verrouillées. Les condamnés étaient alors quasiment isolés du pavillon chauffé et l’air extérieur s’introduisait à l’intérieur des cellules. Les poêles servaient également à chauffer l’eau utilisée par les détenus pour leur hygiène personnelle. Il y avait quelques douches séparées par un muret qui couvrait la moitié du corps. Elles se situaient à l’extrémité du pavillon n° 2. Les vêtements étaient lavés à la blanchisserie. Il s’agissait d’un grand hangar où un groupe de condamnés lavait les vêtements dans de grands bassins. Ce travail était manuel et ce n’est que peu avant la fermeture de la prison que des machines à laver furent enfin installées.

La période de la terreur

Pour la société argentine, Ushuaia est synonyme de voyage sans retour et de « Sibérie argentine ». Certains dirigeants de la prison ont contribué entre 1931 et 1932 à cette funeste renommée en faisant subir aux condamnés un véritable régime de terreur. Il s’agissait du directeur Cernadas, du surveillant-chef Faggioli et du surveillant Sampedro, qui furent responsables de l’application de peines particulièrement cruelles. Qu’elles furent prononcées à tort ou à raison, ces peines étaient très sévères et de nombreux prisonniers y succombèrent. Interviewé par Aníbal del Rié en 1933, Faggioli déclare : « Regardez. Pourquoi tourner autour du pot ? Ici, il n’est pas possible de conserver la discipline [...], alors ils sont morts plus rapidement. En tout cas, ils ne valent rien ! [...] Je suis responsable jusqu’au retour du directeur Cernadas. » Cette situation commence à s’ébruiter à partir de 1932. Angel Luis Castello, un prisonnier libéré, se rend chez un juge de Santa Cruz compétent pour toute la Terre de Feu, et lui montre les cicatrices que lui ont laissées sur le corps ses punitions. Par ailleurs, le docteur Guillermo Kelly fut affecté à la prison et y découvrit les terribles punitions qu’y subissaient les prisonniers. Le boxeur Sturla en fut un exemple : il fut battu si fort que quatre de ses dents furent brisées. Il se blessa volontairement pour pouvoir être transféré à l’hôpital.
Voici ce qu’en dit le docteur Kellyà son ami et collègue et collègue Frank Soler: « Au milieu du XXe siècle, dans le deuxième établissement pénitentiaire de cette république progressiste, des os ont été brisés, des testicules ont été tordus, des prisonniers ont été punis de coups de matraques redoutables, de préférence assénés sur leurs dos. » De vieux habitants témoignèrent qu’à cette époque, et ce au moins une ou deux fois par semaine, ils voyaient la petite charrette de la prison emmener au cimetière des condamnés qui n’avaient pas eu la chance de survivre à leur peine (J. Lavado). Pour avoir tenu ces propos le docteur Kelly fut renvoyé pendant un mois et, à son retour, il dut choisir entre l’infirmerie de la prison et la direction de l’assistance publique. Il choisit l’assistance publique.

 

Un juge de Santa Cruz ouvrit une enquête dirigée par le chef de la police, Castex. Au départ, les prisonniers hésitaient à témoigner et à dire la vérité. Mais ils acceptèrent de le faire après avoir obtenu des garanties. Ensuite, les autorités de la prison commencèrent à s’ingérer dans les enquêtes. Parfois, les prisonniers appelés à témoigner ne pouvaient pas le faire car « ils étaient dans les bois », étaient malades ou n’avaient rien à dire. Castex et les détenus ont donc mis au point un système de signaux grâce auxquels le chef de la police savait si un prisonnier disait la vérité ou non et l’endroit où il se trouvait. Cela évitait également de faire courir le moindre risque aux autres détenus. Lorsque le petit train conduisait les détenus dans les bois, il s’arrêtait devant le poste de police. Castex regardait par la fenêtre - si le premier prisonnier portait son bonnet à l’envers, cela signifiait que le condamné dirait la vérité. S’il portait sa main droite sur son visage, cela signifiait que le prisonnier était enfermé dans sa cellule. S’il portait la main gauche, cela signifiait qu’il était à l’infirmerie. Ainsi, le chef de la police pouvait se rendre tout de suite au bon endroit. Durant cette période, un violent épisode survint entre le personnel de police et les employés de la prison. Le député Aparicio, l’un des prisonniers politiques d’Ushuaia, l’évoque dans son livre. Il y eut une guerre sans merci entre le gouverneur, le lieutenant de flotte à la retraite, Juan María Gómez, et le directeur de la prison, le lieutenant à la retraite Adolfo Cernadas. Sur l’ordre du président Uriburu, Cernadas menaça de passer outre les ordres du gouvernement : « […] et comme l’électricité des rues et des bureaux publics était générée par la prison, [Cernadas] réduisit le nombre de lumières disponibles dans les bâtiments du gouvernement et le logement du gouverneur. En réaction, ce dernier n’invita pas le directeur aux réunions organisées pour souhaiter la bienvenue aux marins. Celui-ci réagit en ordonnant un black-out. Le capitaine Luisoni, commandant en chef de la base navale, ordonna alors au transporteur Patagonia, ancré dans la jetée, de fournir de l’électricité à son ami Gómez, contournant ainsi le black-out décidé par chef de la prison. »

 

À un moment, le gouverneur interdit aux gardiens de conserver leurs armes sur eux à l’extérieur de la prison. Un jour, deux des employés de la prison enfreignirent cette règle et la police les arrêta. Cernadas rassembla immédiatement une troupe de gardiens – d’environ soixante individus - et se dirigea au poste de police qui était dirigé par l’officier Kammerath. Quand ils arrivèrent dans le bâtiment, ils occupèrent des positions stratégiques et un certain Martínez lança un ultimatum : « Si les prisonniers ne sont pas relâchés dans les cinq minutes, un assaut sera lancé pour les libérer manu militari. » De manière inattendue, la police n’opposa aucune résistance et les gardiens furent immédiatement libérés. Et c’est ainsi que se termina l’épisode que le député Aparicio surnomme « la révolution à Ushuaia ».
L’enquête et le procès du 13 septembre 1934, ainsi que le tribunal de première instance de Santa Cruz en avril 1933, reconnurent l’ex-directeur, le sous-directeur et 19 gardiens de la prison d’Ushuaia coupables d’avoir infligé des tortures aux condamnés. Le sous-directeur Sampedro fut condamné à trois ans et demi d’emprisonnement, le gardien Faggioli à deux ans et dix-huit mois et les dix-neuf gardiens entre un à deux ans. Le directeur Cernadas fut mis en accusation mais resta en poste jusqu’en juin 1934, date à laquelle il démissionna. Le gouvernement ne l’obligea jamais à préciser sa participation. Bien qu’il ait été accusé d’être coupable et que beaucoup de gens évoquaient « l’époque de Cernadas » ou « Cernadas, le bourreau », sa carrière s’est déroulée sans difficultés et de nombreux vieux habitants le considérèrent comme une personne estimable.
Il est important de souligner l’action des policiers d’Ushuaia qui, dans certains cas, ont dû arrêter leurs frères, leurs oncles ou leurs cousins qui travaillaient comme gardes ou gardiens. Mais il y eut plus de gardes que de gardiens arrêtés. Car les gardes conservaient une très grande proximité avec les condamnés à l’intérieur de la prison. Les gardiens, qui étaient armés, se maintenaient toujours au contraire à 10 ou 20 mètres des prisonniers. Au cours de la l’année 1934, d’importantes personnalités du Parti radical arrivèrent à Ushuaia en tant que prisonniers politiques : Marcelo T. de Alvear, Adolfo Güemes, Ricardo Rojas, Mario M. Guido, José Luis Cantilo, Juan O’Farrell et Enrique M. Mosca. Ils furent témoins de la scène suivante : un prisonnier, Antonio Errecart (condamné n° 188), de retour de Monte Susana, se jeta du petit train en dénonçant le fait qu’il était puni. Le même jour, Cernadas quitta le territoire. D’autres condamnés crièrent également leur vérité - cela constituait une occasion pour eux de capter l’attention d’un politicien influent pour réclamer de meilleures conditions de détention. Ce fut l’une des raisons qui ont précipité la réforme de 1936.

Punitions et tortures

Selon les rapports et les témoignages, les condamnés étaient frappés à coups de lourdes matraques de fer ou de câbles d’acier tressés avec une balle en plomb d’un demi-kilo à leur extrémité. Le gourdin était utilisé lorsque les prisonniers parlaient dans leur rang, étaient fatigués ou répondaient à un garde. Quatre gardes empoignaient le prisonnier par les bras et les jambes et le maintenaient au sol pendant que le bourreau lui assenait des coups avec une matraque sur le dos et le thorax. Une fois que le prisonnier perdait connaissance, il était ramené dans sa cellule et y était laissé sans assistance médicale. Cette technique connaissait des variantes : les coups de matraque pouvaient également être assenés sur les bras et les jambes et le prisonnier pouvait être soumis à deux ou trois jours de jeûne pour l’affaiblir encore plus. Ainsi, les condamnés de santé fragile voyaient leur état empirer et nombre d’entre eux finissaient directement au cimetière. Ils pouvaient également être soumis à des tournures psychologiques. Ils étaient avertis que ceux qui se rendaient coupables de fautes graves seraient immédiatement fusillés. À cette fin, un cercueil était toujours laissé à la vue des condamnés et prêt à accueillir le premier exécuté.
Ces punitions étaient administrées pendant la nuit, lorsque la prison était plongée dans un profond silence. Puis soudain, des cris de douleur ou des supplications surgissaient et terrifiaient toute la population carcérale. Manuel Ramírez explique dans son livre Ergástula del Sur : « Le prisonnier était sorti de sa cellule à minuit et contraint de marcher entre deux rangées serrées de gardes armés de matraques et de bâtons ; chacun battait furieusement le misérable sur son dos qui criait et pleurait [...] jusqu’à ce qu’il ait perdu conscience. Une fois sur le sol, il était tiré vers le cachot, généralement trempé. Lorsque le prisonnier résistait au passage à tabac sans perdre conscience, il était déshabillé et jeté dehors dans la neige pendant une heure. Sauf si les gardes préféraient lui donner un bain d’eau froide. Ils organisaient également des courses macabres pour se divertir. Ils couraient après un ou deux condamnés le long d’un pavillon en les frappant avec des fouets, les obligeant ainsi à fuir très vite. Ils trébuchaient ou leurs jambes leur faisaient défaut et tombaient par terre. Ils s’écrasaient contre les murs ou se piétinaient les uns contre les autres au milieu des hurlements assourdissants des gardes et des gémissements de leurs congénères. »
Les vieux habitants qui étaient enfants à cette époque se rappellent à quel point cette situation affectait leurs familles. Le père de Josefina Estabillo décida de démissionner de son poste d’employé pénitentiaire en raison de ses désaccords avec les pratiques qui y avaient cours. Il est ensuite retourné Espagne avec sa famille. Elle est ensuite revenue à Ushuaia avec sa mère et ses frères et sœurs après la mort de son père, en 1942. Ces années de terreur ont bien existé, mais ces punitions n’étaient pas appliquées constamment. Quoi qu’il en soit, cette situation eut de graves répercussions aux niveaux national et international, de sorte que la prison hérita d’une réputation tragique : tous ceux qui étaient envoyés à Ushuaia n’en revenaient jamais.

Les ex-détenus

Les prisonniers qui restaient à Ushuaia peu de temps ou longtemps après avoir purgé leur peine étaient surnommés « anciens condamnés ». Ils faisaient partie de la vie locale et donnaient à la ville une touche particulière.
Une fois leur peine purgée, ils étaient libérés à l’heure exacte fixée par leur dossier personnel. On leur donnait un costume, leur rendait leurs économies et ils étaient dirigés lentement vers la ville. Ils disposaient de beaucoup de temps car ils devaient attendre le navire qui les emmènerait sur le continent et étaient ignorés par le reste des habitants. Parfois, les navires mettaient des mois à arriver et les ex-détenus, ne pouvant pas rester dans la prison, pouvaient être logés au commissariat. Mais il y avait des restrictions. Par exemple, ils ne pouvaient pas sortir le soir. Considérant que ces libérés étaient relâchés dans un endroit qui offrait peu d’emplois, il y eut des tentatives pour créer une sorte d’institution pour les libérés. Le premier a été promu par Catello Muratgia, le fondateur de la colonie. Le second a été encouragé par le gouverneur Molina et son épouse, mais il n’a été ouvert que pendant un an (de 1923 à 1924). Dans l’histoire de la prison, il y eut deux moments critiques : le premier pendant la présidence d’Yrigoyen et le second quinze ans après, pendant le mandat du général Perón. Les deux déclarèrent une grâce générale. Le premier, en 1930, libéra 110 prisonniers. Par conséquent, la situation sociale sur place devint tendue, la population civile représentant à peine dix fois plus de personnes. Les libérés arpentaient la ville pour y trouver un emploi ou demander de la nourriture que les habitants, très hospitaliers, leur fournissaient toujours. À cette époque, il survenait toutefois des cas d’ivresse, de bagarres et des troubles.

 

<pMême si la plupart d’entre eux préféraient retourner dans le « nord », comme ils surnommaient le reste du pays, certains décidaient de rester et cohabitaient sans problèmes. Il y eut néanmoins l’exception de Luis Pisani. Le 15 janvier 1930, il tira sur un voisin à cause d’une affaire liée à une femme. Le blessé décéda dix jours plus tard. Pisani retourna donc en prison jusqu’à ce qu’il soit relâché pour la deuxième fois et resta définitivement à Ushuaia. L’infirmier espagnol José Fernández Fernández était un ancien condamné que les gens appréciaient beaucoup. Il avait exercé sa profession dans la prison et continua à l’exercer en ville, une fois libéré. D’autres ex-détenus ont également fait le choix de rester à Ushuaia. Comme Francisco Abate, dit « Franchisquelo » (les parents menaçaient leurs enfants avec ce personnage, car il était barbu, portait des vêtements usés, était sale et de mauvaise humeur). Antonio Insúa était un personnage contradictoire - certains disent qu’il était associable ; d’autres qu’il était sociable. Mme Josefina Angel se souvient de lui avec amour car il était son parrain. Francisco Caruso, supporter de l’équipe de football de River Plate possédait un petit chariot sur lequel il transportait des marchandises depuis le quai ; il a également travaillé comme balayeur. Ricardo Gianetti travaillait pour l’imprimerie de la paroisse et était le projectionniste du cinéma Penna. Griseldo travaillait pour la police et était gendarme. Eugenio Springer travaillait dans l’atelier de la prison et, une fois libéré, il a peint de nombreuses aquarelles exécutées très simplement et que beaucoup d’habitants ont conservées chez eux avec affection.

La hiérarchie parmi les prisonniers

Les détenus étaient divisés en catégories en fonction du type d’infraction qu’ils avaient commise. Ceux condamnés pour homicide se considéraient comme supérieurs et n’entretenaient aucun contact avec les voleurs ordinaires. Ceux-ci étaient également divisés en différentes classes : les maîtres chanteurs, les falsificateurs et les cambrioleurs n’avaient aucun contact avec les « petits voleurs ». Les meurtriers étaient également divisés en classes. Il y avait ceux qui avaient tué pour un vol qualifié ou un motif similaire, et ceux coupables d’un crime passionnel ou d’un crime commis pour sauver l’honneur d’un proche. Ce fut le cas d’Eduardo Ramírez Raleix qui tua un ami pour sauver l’honneur de sa sœur. Le journaliste Aníbal del Rié a rassemblé dans un livre de nombreuses inscriptions qu’il a relevé sur les murs des cellules de la prison. Certains évoquent des crimes passionnels : « On n’est jamais aimé comme on aime ; l’art d’être heureux en amour consiste donc à tout donner sans rien demander ». Un autre déclare également : « L’homme est stupide en ce qui concerne l’amour par nature plutôt que par définition. Il y passe la moitié de son existence et détruit tout en une heure ». Les prisonniers condamnés pour un crime passionnel demeuraient probablement les plus repentis, comme le démontre cette inscription : « Un moment de faiblesse, d’aveuglement, d’imprudence en amour et nous détruisons tout un travail de nos propres mains, toute bonne intention disparaît ; tout un avenir de paix et d’honnêteté est mis en échec. La seule chose qui reste toujours droite demeure la tragédie du remords. »

L’évolution administrative

En 1896, la prison dépendait du gouvernement de la Terre de Feu. L’année suivante, sa gestion releva du ministère de la Justice et de l’Éducation publique. En 1902, un décret du ministre Joaquín V. González ordonna que « la surintendance et le gouvernement supérieur des prisons et des autres établissements pénitentiaires d’État dans les territoires relèvent du ministère de la Justice en vertu de la loi du 11 octobre 1898 qui entrera prochainement en vigueur. Le gouverneur local devait être associé à la direction de ces établissements pour veiller à la discipline, à la sécurité, à l’hygiène, à un rationnement régulier, au bon régime interne et aux conditions d’établissement des prisonniers libérés. » Cette situation dura jusqu’en 1921, date à laquelle le gouvernement prit le contrôle de la surintendance de la prison.

 

Un nouveau changement se produisit en 1924. Le ministère de la Justice, M. Sagarna, décida que la prison d’Ushuaia devrait désormais dépendre directement et exclusivement du ministère de la Justice et de l’Instruction publique. Durant cette période, des conflits éclatèrent régulièrement entre les gouverneurs et les directeurs de la prison. Il fut même une époque où le directeur de la prison disposait de plus de pouvoir que le gouverneur. Le directeur était accueilli avec tous les honneurs à son retour de voyage. Tandis que les réceptions données par le gouverneur passaient inaperçues. Le directeur disposait de sa propre force armée composée de gardiens expérimentés qui, sous l’administration de Cernadas, ont même été jusqu’à combattre la police. En octobre 1933, la loi n°11833 sur l’organisation des prisons et son régime de sanctions entra en vigueur et une Direction générale des instituts pénaux de la nation fut créée pour gérer toutes les prisons nationales. À partir de septembre 1935, la prison d’Ushuaia fut rattachée à cette nouvelle institution. À partir de 1943, le territoire fut dirigé par un gouvernement maritime et la situation des prisons changea considérablement pour des raisons géopolitiques. Cette décision, jointe à la réforme du pénitencier réalisée par M. Pettinato, directeur des instituts pénaux, entraîna la fermeture de la prison par un décret à la fin de l’année 1947. Le site fut ensuite occupé par la marine argentine et est devenu la base navale d’Ushuaia.

La fermeture de la prison d’Ushuaia

Le 21 mars 1947, le président Juan Domingo Perón signa un décret ordonnant la fermeture de la prison. La société argentine réagit immédiatement. Cette nouvelle barra la une des principaux titres de la presse nationale. Les journalistes estimèrent que cette décision permettrait l’application d’une politique pénitentiaire plus civilisée. Cette réforme coïncida avec l’abolition de l’utilisation des manilles et de l’uniforme rayé des détenus. Mais les journalistes pensèrent également, mais à tort, que cette décision apporterait des progrès à Ushuaia. Le 23 mars, le journal La Razón publia une série d’articles intitulés « Terres de feu gagnées pour le travail » ou « Les travaux de la civilisation commencent avec la fermeture de la prison d’Ushuaia ». Le même jour, le journal Clarín annonçait : « La prison d’Ushuaia disparaît en tant qu’établissement pénal, les condamnés sont envoyés dans d’autres prisons ». Le journal Crítica indique : « Ushuaia, la terre perverse, alimentait un sentiment argentin de honte nationale [...] Crítica a toujours réclamé la fermeture de cette prison, la plus au sud du monde et l’une des plus sombres ». Clarín et Crítica publièrent bien d’autres articles au sujet de la prison d’Ushuaia. Clarín a par exemple publié entre le 27 mars et le 2 avril 1947 une série d’articles intitulée « J’étais à Ushuaia », mettant à l’honneur le témoignage d’un ex-gardien de la prison, Martín Chávez. Crítica publia du 5 au 16 avril 1947 une série d’articles intitulée « Ushuaia, une terre rachetée », rédigée par un correspondant à Ushuaia, Osiris Troiani. Tous ces articles sont très intéressants et essayent de refléter avec le plus de vraisemblance possible la vie dans la prison et à Ushuaia à cette époque.