3. ANNEXES : extraits d’ouvrages et d’articles

Plan du chapitre

Trinidad Guardian 1931

Trinidad Guardian 1931 (peut-être septembre)
Article d’Alice Macgowan
(Traduction de l’anglais)
La dernière femme bagnarde de la capitale du crime
L’incroyable découverte de la mission du Guardian
Une maison isolée dans le village des libérés
Anciens mariages dans les concessions des bagnards
Souvenirs d’antan d’une vie de doublage

Il existe une bagnarde dans la capitale du crime ! Aucune femme bagnarde n’a été envoyée à la Guyane depuis des années, pourtant il y en a une qui vit toujours ici, seule.
Cette incroyable révélation est faite aujourd’hui par la mission du Guardian à Devil’s Island, qui revient tout juste de la colonie pénitentiaire.
La révélation de son existence est faite pour la première fois. « D’autant que je le sache » explique madame Gault MacGowan, journaliste de voyage qui rédige cette série d’articles spécialement pour le Guardian « aucun écrivain ayant visité la colonie n’a parlé d’elle. ». Elle déclare : « Il me semble que personne réclamant avoir vu ce qui est important dans la colonie ne pourrait terminer son récit sans parler d’elle. Elle est de bien des façons la personne la plus intéressante de la colonie. »

Souvenirs au cimetière d’une veuve tragique

Vous allez rencontrer aujourd’hui un personnage unique. Il s’agit de madame Marie Bartet, la dernière femme bagnarde qu’il reste en Guyane. À ma connaissance, aucun journaliste ayant visité l’endroit ne semble l’avoir découverte. Aucun des livres que j’ai lus concernant la Guyane ne parle d’elle. Elle est ma découverte. Suivez-moi dans le village des libérés, où elle réside. Laissez derrière vous la mairie, le marché, les logements des fonctionnaires, l’hôpital. Il y a sur votre gauche un terrain de sport à la pelouse bien tondue et encerclé de bambous. C’est le stade, (et ceux qui s’attendent à des horreurs en douteront) qui sert aux libérés (astreints au doublage) et à la population libre. Occasionnellement, les bagnards s’en servent aussi. Sur la droite, un chemin étroit conduit à ce que je pourrais qualifier de banlieue de Saint-Laurent-du-Maroni. Vous y trouverez des rangées de petites maisons en bois similaires à celles que l’on aperçoit sur les hauteurs de Laventille [quartiers de Trinité et Tobago] ou en bordure de Eastern Main Road. C’est le village que les libérés ont construit pour eux-mêmes. Ils forment ici leur propre petit quartier qui est aussi éloigné du village central que Montmartre l’est de la Place de l’Opéra. Il borde le village Chinois de Saint-Laurent. Mais laissons-le de côté pour aujourd’hui - avec sa corruption, ses crimes et ses menus plaisirs pour des hommes abattus et désespérés. Prêtons plutôt attention au village de la Liberté.

Le village de la liberté

Certaines cahutes ont leur petit lopin de terre où les propriétaires font pousser des légumes pour le marché. Les portes donnent directement sur la route. La plupart restent ouvertes et l’on peut jeter un coup d’œil à l’intérieur sans risquer de vexer ses occupants. Certaines cases sont fermées : les libérés travaillent en ville. D’autres ont un aspect douillet : des bouts des rideaux suspendus à la fenêtre, une table recouverte d’un imprimé. Des images, provenant de rares magazines, sont accrochées au mur, des fleurs sont dans un vase. D’autres maisons sont dépourvues de ce qui confère une personnalité à une demeure, même humble : il s’agit de logements d’hommes qui s’en fichent. Nous nous arrêtons à une porte. L’intérieur paraît frais et contraste avec la lumière aveuglante et la poussière de la route. Des rideaux séparent la large pièce centrale en deux. Ils sont tirés de côté et l’on devine un potager à l’arrière. Des rangées de têtes de laitue témoignent d’un jardin à la française.
- Êtes-vous là, madame ?
- Mais oui, répond-elle d’une faible voix âgée.

Une femme bagnarde

Je suis stupéfaite en la voyant apparaître sur le palier. Elle a l’air aussi robuste et bien portante, aussi bronzée par le soleil et le vent qu’une paysanne que vous rencontreriez dans les campagnes françaises. La bonne madame Bartet s’est à l’évidence bien adaptée au climat guyanais que l’on dit pestilentiel ; car voyez-vous, il s’agit là d’une femme de presque soixante-dix ans, pas d’une jeune femme. Lorsqu’elle sourit, son visage se plisse comme une pomme cuite. La bonne humeur se lit dans ses yeux. Pour elle, la vie conserve un certain zeste. Elle est ravie de discuter, et n’a pas perdu sa féminité : lorsqu’elle aperçoit des visiteurs, elle coince des mèches blanches rebelles sous son chapeau. Elle a jardiné. En venant à la porte, elle continue à parler à un homme dans la maison qui porte un panier plein de légumes. « Sortez, madame, disons-nous. Nous aimerions vous parler. Depuis quand êtes-vous en Guyane ? »
- Depuis 1889. Oui, j’ai passé la plupart de ma vie ici. J’étais très jeune en arrivant, je n’avais que vingt-six ans. Je vis dans la colonie depuis quarante-trois ans.
Je pose la question habituelle :
- Qu’avez-vous fait pour y être emmenée ?
Elle répond d’une franchise habituelle :
- J’étais receleuse, et après plusieurs condamnations, on m’a envoyé ici. Voyez-vous, je viens des Basses-Pyrénées. Je me suis mariée très jeune et je suis partie à Bordeaux. Mon mari est mort quand j’avais vingt-et-un an et je me suis retrouvée sans le sou. Imaginez une jeune campagnarde coincée dans une grande ville. Que pouvais-je faire ? J’ai mal tourné. Il faut bien vivre, voyez-vous. Une condamnation après l’autre et je me suis retrouvée ici.
- Êtes-vous toujours restée à Saint-Laurent ? 
- Oh non, madame. En sortant, j’ai d’abord vécu à Saint-Maurice comme concessionnaire. Vous voyez, nous les femmes, on ne nous gardait pas au bagne. Nous avions notre propre campement. Puis en 1920 je suis venue à Saint-Laurent, où je vis depuis.
Saint-Maurice se situe à quelques kilomètres de Saint-Laurent, en direction de Saint-Jean, le camp forestier.

Deuxième mariage

- Et durant tout ce temps, vous ne vous êtes jamais mariée.
- Oh, si. C’est comme cela que j’ai eu cette propriété, dit-elle en montrant de la main sa maison et le jardin à l’arrière. Mon deuxième mari était Lakdar Ben Yussuf. C’était un homme bon, un libéré. Il est mort en 1924 et m’a laissé cette propriété. Depuis, je vis en vendant des légumes, que cet homme – elle montre l’homme au panier – emmène pour moi au marché. Elle retire son chapeau et s’évente avec. C’est une chaude journée.
- Pourriez-vous me parler de votre mariage – le second, j’entends. Comment avez-vous rencontré votre mari ?
- Il n’y a pas grand-chose à dire, madame. Dans le vieux temps, nous autres bagnardes, à condition d’avoir un bon dossier, avions le droit après plusieurs années de rencontrer des libérés. Ils venaient une fois par semaine dans les jardins de notre couvent, où nous les recevions. J’ai rencontré de nombreux libérés. Il y avait tous types d’hommes, mais il fallut longtemps avant que je me rapproche d’un qui avait l’ambition d’obtenir un logement et d’y travailler dur. Lorsque j’ai commencé à connaître Lakdar Ben Yussuf, j’ai constaté qu’il avait bon cœur et qu’il était travailleur. Voici toute l’histoire de mon mariage.
- Êtes-vous heureuse ici ?
- Oh, heureuse... Qu’est-ce que le bonheur, finalement ? Je suis habituée aux choses ici. Après quarante-trois ans, on s’habitue à tout. Je serais contente, je pense, si n’avais pas de soucis avec mes yeux et mes jambes. Autrefois, j’étais blanchisseuse, mais je ne me trouve plus assez forte.
Elle est d’une superbe santé, à part des problèmes de vue et des jambes gonflées (la plaie des tropiques).
- Avez-vous eu des enfants ?
- Non, madame. J’étais trop vieille à ma sortie de prison.

Satisfaite à Cayenne

Sa réponse me surprit. Elle a considéré la vie de façon aussi calme et détachée que n’importe quelle femme au foyer de banlieue. Le fait de vivre dans la « géhenne de la colonie pénitentiaire » n’a pas semblé la déranger. Elle hausse les épaules et répond :
- Eh bien, j’ai en eu des aventures, mais j’ai tout oublié tout cela désormais. C’était il y a si longtemps. Je me fais vieille. J’en ai fini avec l’aventure. Ma maison est ici. Je suis habituée à vivre en Guyane.
- N’aimeriez-vous pas retourner en France ?
- Plus maintenant. Avant, oui, mais maintenant je suis contente ici. Je serais heureuse si le bon Dieu me donnait de nouveaux yeux et de nouvelles jambes…
- Payez-vous quelque chose pour votre concession ?
Ici, il me faut expliquer : une concession est une terre louée aux libérés. Ils versent au Gouvernement l’équivalent d’un loyer foncier et ils peuvent louer à perpétuité. Les bâtiments et les jardins de la concession leur appartiennent.
- Oui, madame, me répond-elle. Je paye 110 francs l’année.
- Est-ce une somme élevée ?
- Eh bien, non, car cela fait dans les 9 francs par mois. J’ai un jardin qui me nourrit et une maison où vivre.
- Puis-je prendre votre photo ?
- Mais bien sûr, bien sûr. Laissez-moi me préparer.
Soixante-neuf ans et toujours coquette ! Lorsqu’elle réapparaît, c’est sans son tablier. Elle s’est arrangée, est coiffé d’un chapeau et sourit.
Les photos ont eu du succès. Vous ne pourriez jamais croire en les regardant qu’il s’agit d’une bagnarde. Elle a un sourire enjoué et le visage d’une pomme Ribston, non pas rougie mais hâlée. C’est une paysanne typique du sud de la France. Rude, débrouillarde et souriante. Elle prend les choses avec philosophie comme tous ceux de sa race. Alors que nous nous préparons à partir, elle nous dit qu’elle ne vivra plus bien longtemps.
- Je suis bonne pour les bambous, dit-elle. Mon mari est enterré là-bas. Je le rejoindrai bientôt.


Le bosquet de bambou
Aller aux bambous est le terme utilisé par les bagnards pour désigner le cimetière.

- J’aimerais vous le montrer, mais il fait chaud et c’est loin pour une vieille femme.
Je lui dis que je n’oublierai pas de chercher la tombe de son mari et lui dit adieu. Le cimetière est entouré d’un bosquet de bambous. La première moitié est dédiée à la population libre ; l’arrière est réservé aux bagnards. Il y a ici, d’une certaine façon, une forme de beauté. C’est un petit coin paisible où les bambous soupirent dans la brise. La section des bagnards évoque les cimetières de guerre en France. À la tête de chaque tombe se trouve une petite croix noire en bois, avec le nom du bagnard dessus. Voilà comment l’État l’enterre. Si ses amis le souhaitent, ils peuvent acheter pour lui une pierre tombale et des couronnes de fleurs qui resteront sur sa tombe. Une simple croix de bois pour ceux qui n’ont pas d’amis. Pour le camarade apprécié, une pierre tombale… un mémorial de l’amitié. Cela peint une image vive des compensations de la vie en prison : l’amitié qui s’étend parfois comme un fil d’or tout au long de la carrière d’un condamné.
J’ai cherché la tombe de Lakdar Ben Yussuf, sans succès. Je me suis arrêté dans une prière silencieuse, en lisant :
« Ci-gît
Ali, camarade.
Le 13 août 1931 
»
Yussuf, comme Ali, n’avait que l’amitié à léguer au monde.

Paris-Soir, décembre 1933
Alexis Danan
« Comment ils ont expié »
« Les deux dernières femmes-forçats »

Quand, le 8 octobre 1892, le convoi dont faisait partie le père Maurice, le doyen du bagne, quitta l'île d'Aix - car c'est de là qu'on partait alors - sur le vieux cargo Ville-de-Saint-Nazaire, il y avait à bord neuf femmes, neuf femmes-forçats. Le père Maurice a d'autant plus lieu de s'en souvenir qu'il aida à « mouiller », dans le Golfe de Gascogne, une négresse reléguée que le mal de mer avait réduite a quia. Je ne pense pas d'ailleurs qu'on prit la peine de demander des explications au médecin du bagne d'Aix, qui, quarante-huit heures auparavant, avait déclaré cette moribonde transportable, pour un voyage de vingt jours.
C'est qu'en effet l'Administration pénitentiaire, autrefois, ne distinguait pas entre les sexes : hommes et femmes, elle envoyait tout, indifféremment, au dépotoir tropical. Et rien n'indique mieux que cette pratique l'incertitude où l'on s'est toujours trouvé, touchant l'utilité du bagne. Régénération par le travail ?
J'ai dit ce qu'il en est quant aux hommes. Pour ce qui est des femmes, que pouvait-on attendre d'elles dans cet ordre ? Même pas qu'elles reprisassent les chaussettes des forçats, puisqu'ils n'en portent point.
Mise en valeur de la colonie ? Le débroussage n'est pas une besogne de femmes. Mais quoi ! On a bien envoyé au colonel Prével, au convoi de 1931 un aveugle et un cul-de jatte. Élimination pure et simple ?
Fort bien. Mais alors, ces criminels des deux sexes, dont on entendait une fois pour toutes purger la société des honnêtes gens, comment a-t-on pu concevoir pour eux et entre eux des mariages légaux, devant le maire et le curé et sous l'égide du gouverneur, des mariages d'où naîtraient des enfants aux tares multipliées, des enfants qui seraient libres, ainsi nantis, de reparaître devant ces honnêtes gens qu'on pensait préserver ?
Car on avait imaginé cela, qui n'est pas le moins cocasse à la fois ni le moins affligeant de l'histoire du bagne. Que dis-je ? On le réalisa. A Saint-Laurent-du-Maroni, comme jadis au couvent de Bourail, à la Nouvelle-Calédonie, les femmes forçats, transportées et reléguées, étaient chaque semaine offertes au choix de leurs congénères du sexe masculin, relégués individuels et condamnés titulaires d'une concession urbaine ou rurale, à condition, cela va de soi, qu'ils fussent célibataires ou dégagés des liens auparavant contractés.
Ces présentations hebdomadaires, en Guyane, avaient lieu le jeudi, à la « Maison Centrale de Force et de Correction pour les femmes » - on disait au Couvent, - près de la petite église rose de Saint-Laurent, qui a l'air en bonbon fondant, comme tout le reste.
L'une de ces dames de Saint-Joseph-de-Cluny, qui assumaient la garde du Couvent - et à qui l'on faisait faire, ces jours-là, un beau métier - présidait au défilé des empoisonneuses, des ogresses, des amantes incomprises et des entôleuses récidivistes, devant ces messieurs, qui jugeaient, comparaient, mais à vrai dire ne tâtaient point.
Quand Pâris avait jeté sa pomme à la plus belle, pour peu qu'Hélène eût été sensible à l'hommage, on déclarait le couple fiancé, et, dès lors, il avait le droit de « faire parloir », c'est-à-dire, à travers une grille complaisante, d'aller plus avant dans la connaissance. La dame de Saint-Joseph-de-Cluny rougissait, toussotait, laissait plusieurs fois tomber sur le sol sa boule à repriser, et son supplice allait croissant jusqu'aux épousailles, qui, d'ailleurs, ne tardaient guère. Le concessionnaire, en fin de compte, emmenait sa seconde concession et, obéissant au saint évangile, hélas ! multipliait. L'Administration ne marquait d'inquiétude que lorsque le chef du nouveau ménage, sous prétexte que le bois ou les légumes se vendaient mal, prétendait tirer de sa femme un bénéfice d’appoint ; encore n'intervenait-elle que dans les cas où l'industriel manquait un peu trop de discrétion.

Depuis 1907, le Couvent de Saint-Laurent-du-Maroni ne reçoit plus de diaconesses. J’ai vu les deux dernières femmes forçats de Saint-Laurent, et je puis bien avouer, sans dommage pour leur honneur, que j'ai pénétré chez elles sans témoin, puisque l'une a soixante-treize ans, et l'autre, sa « collègue », comme elle dit, soixante-et-onze. Peut-être aurais-je dû me contenter du spectacle que leur affreuse décrépitude me donnait. Peut-être aurais-je dû leur parler, comme il est d'usage qu'on le fasse, avec une ironie qui les laisse dans le sentiment de leur irrémédiable dégradation. J'ai commis l'imprudence, et m'en accuse, d'évoquer avec ces vieilles femmes, seules et pauvres, et malades, ce qui fut leur jeunesse, leur pays, leur famille. J'ai réveillé des regrets qu'on croyait morts.
La première que j'ai vue - c'était le matin, elle était sur le pas de sa porte, avenue de la Marne, c'est Mme Henriette Richard, les pieds nus, mangés d'ulcères et de mouches, le visage ridé comme une pomme d'hiver, l'œil gai, malgré tout, le menton pointu et le rire sans dents.
- Qui avez-vous tué, grand' mère ?
- Oh ! personne, monsieur, je vous le jure bien.
- Alors ?
Elle baisse les yeux et la voix, les mains sur le ventre, avec un sourire de petite fille honteuse : - J'étais femme de vie.
On retient une envie de pouffer, à l'évocation des jeux de l'amour par cette Carabosse aux grâces de squelette.
- Mais, dites-moi, grand'mère, la vie, ça n'a jamais été un crime.
- Bien sûr que non, vu surtout que j'étais régulière, vous me comprenez ? Mais j'ai commis de petits vols, des vols de poche. J'étais entraînée. Moi, vous savez, toute seule, fille de campagne, je n'aurais jamais été assez maligne.
- Ça se passait à Paris ?
- Oh ! non. À Langres, à Chaumont. Dans les petites villes à soldats.
- Beaucoup de prison ?
- Vingt-neuf mois en tout, en trois fois. La troisième fois, comme de juste, on m'a reléguée. J'avais vingt-neuf ans. Il y a quarante-trois ans que je suis montée sur la Ville de Saint-Nazaire, pour venir ici.
Quand le bateau a glissé sur l'eau, on s'est toutes mises à pleurer. C'est bête, hein ? On disait : « C'est fini. On ne reviendra plus ». C'était vrai, vous savez, monsieur. On était vingt-et-une dans la cage. Je suis la dernière vivante du convoi.
- Quand vous êtes arrivées ?
- On nous a mises au couvent, chez les bonnes sœurs de Saint-Joseph. On n'était pas mal. On cousait nos chemises, nos robes. On gagnait sa petite vie.
- Vous avez fait parloir, grand'mère ?
- Pourquoi pas ? J'étais jeune. En 92, à peine dix-huit mois après mon arrivée, je me suis mariée avec un concessionnaire arabe, de Saint-Maurice. Saint-Maurice, à cette époque, était encore plus malsain que maintenant, c'est vous dire. Eh bien, on a travaillé, on vendait au marché, on n'était pas trop malheureux. Ça a duré huit ans. Mon mari est mort des fièvres. Je me suis remariée, cette fois avec un Parisien. Il avait une concession forestière, lui, dans la brousse. Je suis restée avec lui trente ans, jusqu'à sa mort. C'était un brave homme, qui ne me laissait manquer de rien. Maintenant, je vis avec un charpentier. C'est un libéré. Il est beaucoup plus jeune que moi : quarante-cinq ans.
- Il est gentil avec, vous, au moins, grand'mère ?
- Oh ! qu'est-ce que vous voulez ? Du moment qu'il est tranquille et qu'il me donne ma bouchée de pain.
On ne peut pas exiger beaucoup de la vie, quand on est une Henriette Richard et qu'on a soixante-treize ans.
Elle tire d'une commode bancale un grand papier :
- Je suis réhabilitée, vous savez ! Voyez. Le décret est du 13 mars 26.
C'est vrai. Mme Henriette Richard est redevenue une honnête femme. L'âge y avait bien pourvu.
Mais un papier officiel dit toujours mieux les choses.
- Alors, vous pourriez rentrer, grand'mère ?
- A Langres ? Mais oui. Mon Dieu, mais oui.
Je l'ai laissée rêvant, son papier dans les doigts.

Mme Marie Bartet me reçoit au milieu de ses poules, devant sa petite maison de bois pleine de libérés hirsutes.
- Moi, dit Mme Marie Bartet (elle prononce : Bartête), je suis née en 62, dans les Basses-Pyrénées. Il paraît que j'ai eu, comme tout le monde, une mère, pendant deux jours. Quant à mon père, il est mort, lui, quand j'avais neuf ans. Vers treize ans, je suis venue à Bordeaux. On m'a placée à droite et à gauche, et, naturellement, je n'ai jamais posé mes fesses sur un banc d'école. A quinze ans et trois mois, on m'a mariée à un matelot. J'étais veuve à vingt ans. À vingt-six ans, la Ville-de-Saint-Nazaire m'amenait devant l'appontement de Saint-Laurent. Voilà pour ma vie libre, monsieur.
Mme Marie Bartet me reçoit au milieu de ses poules, devant sa petite maison de bois pleine de libérés hirsutes, qui remâchent en silence leur vie, autour d'une table de bois, la tête dans le creux de la main.
Parmi eux, Henri C., épileptique échappé d'un asile de la Seine, trois fois déclaré irresponsable par les psychiatres.
- Je suis fou, monsieur, gémit-il, je vous jure que je suis fou. Alors ? Qu'est-ce que je fais là ? La cadette de Mme Henriette Richard est une Méridionale au parler vif. Elle a les cheveux blancs, nattés sur la nuque, le visage épais, avec des petits yeux tout en gouaille.
Quant à son embonpoint, l'origine en est suspecte. Je l'ai vue, quand elle passe le matin sous ma fenêtre, revenant du marché avec ce qui lui reste de poules et d'œufs, traîner une pauvre jambe gonflée d'éléphantiasis.
- J'étais femme de vie. J'ai tiré deux ans de prison pour vols, en quatre fois.
Il devait y avoir moins de variété, chez ces dames de Saint-Laurent, que chez les hommes du camp. Marie Bartet, elle aussi, quitta le couvent de bonne heure. Elle fut en place chez le commandant du pénitencier, puis chez l'ingénieur des travaux.
C'était une belle Girondine, à la chair éclatante.
- Après, je m'ai mis la corde au cou.
Elle a épousé Lakdar ben Youcef, en 1909. Un Arabe, concessionnaire.
Il faisait du charbon, de la canne à sucre, du stère pour le boulanger.
Un homme qui ne plaignait pas sa peine.
- Son crime, à lui, qu'est-ce que c'était ?
- Oh ! ça, je ne le lui ai jamais demandé. Ça ne me regardait pas.
Et lui non plus, sans doute, ne demanda rien. C'était mieux ainsi, après tout. On avait moins d'arguments dans les querelles.
Lakdar ben Youcef mourut des fièvres de Saint-Maurice, en 1924, comme étaient morts auparavant leurs deux enfants, la fille, à sept ans, le garçon, à onze mois.
C'était toujours autant de pris sur l'armée du crime. Et plût à Dieu qu'il fût advenu de même, par exemple, du petit Émile Kuntz, né le 18 décembre 1908 à Saint-Laurent-du-Maroni, d'un forçat et d'une reléguée, morts tous deux en Guyane.
Kuntz fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, en 1926, par les Assises de la Seine, pour avoir étranglé à Pantin un apprenti-boucher de quatorze ans, à qui il déroba quarante sous. « Faiblesse générale, amoralité complète, pas d'espoir d'amendement », dit le dossier.
J'ai vu ce déchet aux Îles, où il vint à dix-huit ans. On l'appelle Marguerite.
- Maintenant, soupire Marie Bartet, je fais un peu de jardinage, je vends des légumes, des œufs. Je paie pour cette baraque cent dix francs de loyer par an. C'est lourd. Mais l'Administration me donne chaque jour une boule de pain. Ça permet d'attendre.
- D'attendre quoi, grand'mère ?
- Ben. Contre la force, pas de résistance, comme on dit. Puisqu'il faut mourir ici, tant pis. - Vous ne pourriez pas rentrer ?
- Rentrer en France ? Mais si. Je suis relevée de la relégation depuis longtemps. Suffirait de trouver l'argent, c'est tout.
Elle pénètre, de son pas pesant, dans la maison noire, s'assied sur un escabeau. - Mais si, que je pourrais rentrer. Seulement.
Elle sourit, un peu pâle :
- Bordeaux, je me rappelle bien. La rue Catherine, la rue Dauphine, ah ! là, là. Et puis, tenez, la Bastide, la Porte-Neuve.

De West (1936 ou 1937)
Journaliste non nommé
« De laast vrouw van het bagno »
(Traduction du néerlandais)
La dernière femme du bagne

C’est au marché que nous avons aperçu entre les libérés une vieille femme blanche qui était en train de vendre des bricoles. Nous avons immédiatement compris qu’il s’agissait de mère Marie car nous en avions déjà entendu parler. Mère Marie, la dernière femme du bagne. La petite vieille aimait bien parler, mais nous avons préféré convenir avec elle que nous passerions la voir chez elle dans l’après-midi pour avoir une discussion plus tranquille. Elle habitait la dernière petite maison d’un quartier de libérés donc ce n’était pas difficile à trouver. Avec la faible lumière tropicale, nous sommes rentrés dans sa petite maison très sombre. Il nous a fallu un moment dans la demi-obscurité pour apercevoir Mère Marie qui était assise dans son petit fauteuil, attablée. Une deuxième chaise était à côté et elle nous pria de nous assoir. Les deux chaises et la table étaient branlantes.
« Mère Marie, est-ce que vous accepteriez de nous donner des informations concernant votre vie ? »
« Eh bien si cela peut vous faire plaisir, il n’y a aucun problème. »
Et nous avons reçu les explications suivantes :
« Je suis née en 1862 dans le sud de la France, département des Basses-Pyrénées et j’ai donc 74 ans. Mes parents étaient des gens simples et moi je gagnais ma vie en vendant des bricoles au marché. Un jour, une connaissance m’a demandé si je pouvais conserver plusieurs bricoles lui appartenant. Malheureusement, j’ai fait l’erreur d’accepter parce qu’il s’agissait en fait d’objets volés. L’affaire a fuité et j’ai été condamnée à aller en Guyane pour complicité de recel.
Avec un transport maritime dans lequel il y avait également 28 autres femmes, j’ai quitté mon pays en 1889 sur le bateau Saint-Nazaire. Nous débarquâmes aux îles du Salut et avec un plus petit navire à vapeur, nous avons été transportées à Saint-Laurent où je devais travailler sous le contrôle des sœurs de Saint-Joseph de Cluny.
Il n’était pas prévu que des femmes puissent être envoyées à la relégation, mais le gouvernement de l’époque en avait finalement décidé autrement, puisque le but était d’essayer de marier les femmes avec des bagnards afin de peupler la nouvelle colonie. Il n’y a eu que 9 expéditions de femmes vers la Guyane et en 1914 la relégation des femmes prit fin. Je faisais partie du 5e transport. Je n’ai pas pu rester très longtemps chez les bonnes sœurs, car je ne le supportais pas, et ensuite j’ai dû me débrouiller pour vivre toute seule. Mais pour une femme européenne ce n’était pas facile. Quelques-unes d’entre nous se sont effectivement mariées, et moi je me suis mariée en 1909 avec un marocain qui s’appelait Lakdar Ben Youssef. Nous avons eu une petite fille qui est malheureusement morte à l’âge de 7 ans après de longues souffrances et cela a été le jour le plus difficile de ma vie. En 1924 mon mari est mort également et tous les deux reposent aux bambous, le cimetière de Saint-Laurent. Je plante des légumes et je les vends, ce qui me permet de gagner un peu ma vie et je dois payer 110 francs d’impôts par an pour la maison. Oui, je fais partie de la classe ouvrière. »
Nous lui avons posé la question d’un éventuel retour en France, elle nous répondit que si des femmes plus tard étaient retournées en France, elle était mariée et que comme son mari était toujours en cours de peine, elle devait donc rester avec lui en Guyane. À son décès, elle a demandé à être rapatriée mais celui lui a été refusé.
Et avec un petit sourire, elle conclut : « Voilà comment je suis devenue la dernière femme du bagne. »
Nous apercevons une petite porte derrière elle, elle nous indique qu’il s’agit de sa chambre à coucher. Il n’y avait pas grand-chose à voir : un lit, une petite table, une armoire : rien d’autre. Accroché au mur de la chambre, une image de la Vierge Marie avec deux bougies à côté. Elle nous dit qu’elle trouve du repos dans la prière, mais que « cela ne va pas encore durer très longtemps, monsieur, avant que je puisse prendre mon repos éternel. »
Nous restons encore quelques moments chez Mère Marie, nous la quittons avec un au revoir. Nous ne la reverrons plus. Nous avons appris plus tard que sa santé s’est vite dégradée et nous ne savons pas combien de temps il lui a fallu pour rejoindre son mari ainsi que sa petite fille.
C’est ainsi que se termine notre épisode à Saint-Laurent du Maroni avec le dernier personnage féminin à disparaître.

Paris-Soir, 28 avril 1938
Alexis Danan
« La dernière femme-forçat vient de mourir au bagne »

Sur le coup de huit heures, chaque jour, j'entendais, qui s'en venait de loin, un pas traînant sur la chaussée. Il y fallait une fine ouïe ? Mais non. Huit heures, sous les tropiques, c'est une heure avancée. Les marchands de lait, aux poings de qui les bidons tintaient comme des cloches, les marchands de charbon de bois sur leur carriole tout en grincements de ferraille, étaient depuis longtemps passés. Les filles créoles avaient déjà frotté leur bout de trottoir et puis tiré les stores, en défi au soleil montant. Alors, je savais que ce pas à petits coups, ce pas qui prenait son temps, c'était celui de la vieille fruitière française du marché de Saint-Laurent. Elle rentrait dans sa case, les affaires finies, portant dans ses bras ce qui lui était resté pour compte de poules et de légumes.
Je quittai ma moustiquaire pour la voir. C'était une paysanne volumineuse, vêtue d'une blouse droite et chaussée de savates, toute semblable, avec sa large face rougeaude et ses cheveux blancs en couronne, à celles qu'on rencontre à l'ordinaire dans les foires du Périgord, du Quercy ou des Alpes. Ce qui étonnait en elle, à première vue, c'était justement son extrême lenteur sous le dur soleil. Mais on avait tôt fait de comprendre, quand on voyait ses chevilles en tronc d'arbre, gonflées de ce terrible mal des tropiques qu'est l'éléphantiasis.
Elle s'essoufflait à porter son corps comme une charge inhumaine.
La « dernière »
Puisque j'étais venu au bagne de Guyane, moins pour ses aveuglantes couleurs, cent fois décrites, que pour ses demi-teintes et ses pénombres toujours négligées, je me suis attardé à plaisir avec Marie Bartet, à son étal ou dans sa case noire comme un coupe-gorge. Elle était bien, la pauvre, tout le contraire d'une cabotine du crime, et ceci déjà la différenciait sensiblement du commun des hommes en casaque rose qui tous, plus ou moins, tremblaient de passer inaperçus au journaliste de Paris.
Marie Bartet (elle prononçait Bartète, à la façon de son Béarn natal). C'était une fille débonnaire, née pour les grosses fatigues de la terre et du ménage. Par une de ces ironies qui sont familières à la vie, elle n'a pu réaliser qu'au bagne de l'Amérique centrale son destin tranquille de paysanne française.
Elle a fini, en Guyane, dans sa cuisine, au milieu de ses poules. Si elle fût demeurée en France, elle serait morte dans la nostalgie des champs, sur la paillasse d'un asile citadin. En somme, les choses se sont passées pour elle le mieux possible.
« De fil en aiguille »
Ce qui l'a conduite à Saint-Laurent-du-Maroni ? Il m'a bien fallu le lui demander, puisque personne n'en avait, en ville, la moindre idée. Ma question ne l'a point offensée, du reste. Du moins, pas visiblement.
- Vous savez, m'a-t-elle répondu, ça s'est fait comme ça, tout seul, de fil en aiguille, comme on dit.
Marie Bartet ne fut une fille comme c'est l'usage, c'est-à-dire pourvue d'une mère, que deux jours. Elle, avait neuf ans quand son père, à son tour, mourut. On la plaça quelque part pour le gîte et les croûtes. J'entends encore sa mélancolie gouailleuse.
- Naturellement, je n'ai jamais posé mes fesses sur un banc d'école.
Naturellement. A quinze ans, à Bordeaux, elle épouse un matelot.
Le bonheur se donne, se reprend.
Elle est veuve à vingt ans. Elle est à la rue et s'y établit. Quand on paie mieux les prostituées que les domestiques et les couturières, tant pis pour la morale.
Elle a un peu volé, c'est le métier. De petites sommes ; comme peut faire une Marie Bartet. À sa quatrième condamnation, elle a été reléguée. Elle avait vingt-six ans.
50 ans en Guyane
L'Administration, à qui le bagne n'a jamais inspiré que des initiatives bien inférieures à son génie, sauf quand elle décida sa suppression, envoyait en ce temps-là les femmes reléguées à Saint-Laurent-du-Maroni. Savez-vous pourquoi ?
Pour fournir aux criminels de là-bas le moyen de se perpétuer. Cher docteur Heuyer, qui nous proposiez, à la dernière séance du Conseil supérieur de l'enfance, la castration des récidivistes…
Marie Bartet épousa, en 1909, avec le consentement du ministre, bien entendu, un meurtrier arabe, Lakdar ben Youcef. Elle lui fut une compagne à sa mesure, dure au travail du charbon, du débroussage, de la canne à sucre. Ils eurent deux enfants qui périrent de fièvre peu de temps avant leur père lui-même. Mme Bartet-Lakdar avait, grâce à cet époux inattendu, découvert sa voie de terrienne, après un long détour sans joie dans la galanterie alimentaire.
Elle a jusqu'au bout cultivé son champ, soigné ses poules, et, dans sa baraque de planches noires, derrière le quartier chinois, réconforté avec une tendresse infatigable les sombres garçons venus à Saint-Laurent, comme elle, parce que les choses, dans leur vie, s'étaient faites comme ça, toutes seules, de fil en aiguille.
Elle avait soixante-seize ans.
On l'a portée au cimetière des Bambous.
Quarante libérés, pieds nus, pleuraient à son convoi, comme des orphelins.

Les écrits non-publiés de René Belbenoit, l’ancien forçat devenu Américain

Le Musée des Cultures guyanaises conserve une partie des archives personnelles de René Belbenoit, forçat évadé qui se réfugia aux États-Unis et connu le succès avec ses ouvrages Dry Guillotine (1938) et Hell on Trial (1940) - en français : Compagnons de la Belle (1939), réédité sous le titre La guillotine sèche (2012).
Parmi des carnets où sont collés des articles le concernant, se trouvent plusieurs versions d’un tapuscrit : « Redemption : the story of Mary Bartet (French version) et « The story of the last woman convict on Devil’s Island (English version) ». Non datés, ces feuillets dactylographiés ont l’intérêt de montrer l’imagination débordante de son auteur : Marie est dépeinte comme une vieille femme maman d’une petite fille née en 1917 (Marie avait alors 54 ans) avec son deuxième mari originaire « de Paris » … On découvre Marie, la béarnaise, portée sur la bouteille en train de chanter en anglais : « We are damned… we are in hell… ». Selon les versions, les dates divergent.

En septembre 1938, ignorant son décès plus tôt dans l’année, Belbenoit évoque Marie dans un article du Victoria Daily Times (2 septembre 1938) :
« Alors que l’on évoquait récemment la mort d’une femme bagnarde en Guyane française (« Devil’s island »), parlons de la dernière de ces femmes, Marie Bartet, que Belbenoit connaît. Âgée d’environ 65 ans, cette ancienne femme forçat est une bagnarde libre depuis 30 ans, frottant les sols et lavant le linge, lorsqu’elle trouvait du travail, pour survivre. Il y a trente ans, si quelqu’un lui avait donné 2000 francs (aujourd’hui environ 80$, plus que ce qu’elle a pu gagner en une vie entière), elle serait rentrée à la maison, en France. »

The man from Devil’s Island, 1968
Colin Rickards
(Traduction de l’anglais)

L’Anglais Colin Rickards reprend les souvenirs racontés à Paris par un certain Étienne Artaud ; Rickards lui-même doute de l’identité de l’homme :
« Marie Bartet était l’une des dernières bagnardes envoyées au bagne avant la réforme. Elle passa cinquante ans dans la colonie et mourut brisée et folle. Marie était née à Marseille en 1862 et avait épousé, à quinze ans, un marin originaire de Bordeaux. (…) Elle vieillit, courbée et un peu folle dans sa petite bicoque. Elle se tourna vers Dieu et on ne l’apercevait jamais sans sa Bible à la main, même lorsqu’elle faisait des affaires et vendait ses légumes. Marie Bartet mourut en avril 1938 à l’âge de 76 ans. Juste avant de mourir dans les bras d’une nonne, elle ouvrit les yeux et dit : « Merci mon Dieu ». C’est la seconde fois qu’elle rompait le silence en vingt-six ans. »

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