3. L'affaire Redureau : Marcel Redureau

Plan du chapitre

L'affaire Redureau

Un voisin a découvert le meurtre de six personnes de la famille Mabit à Bas Briacé (Loire-Atlantique) le premier octobre 1913. L’arme du crime était une serpe à pressoir. Les gendarmes ont trouvé l’apprenti de 15 ans, Marcel Redureau, plus tard ce même jour avec des traces de sang sur son visage et sur sa chemise. Il a avoué ses crimes immédiatement en les attribuant à une dispute qu’il a eue avec le père Mabit au sujet de la qualité de son travail [Gide 1930].

Comme pour l’affaire Vidal, tous les grands journaux quotidiens ont proposé des images de Redureau au grand public : Le Matin, Le Petit Parisien, Le Journal et Le Petit Journal. Par contre, les suppléments illustrés hebdomadaires de ces mêmes journaux n’en offrent pas. Le supplément du Petit Parisien a cessé d'être publié en 1912, cédant sa place au nouveau journal hebdomadaire photographique à 25 francs, Le Miroir, qui ne mentionne pas l’affaire du tout. Le supplément du Petit Journal consacra moins de gravures aux faits criminels en cette période, préférant publier des images à caractère nationaliste. Lorsque l’affaire Redureau survient, ce supplément met en image des fêtes et des traditions nationales (cinq gravures), la pittoresque représentation de la saison (trois gravures), le quotidien des chefs d’Etat et les défilés militaires (cinq gravures), et les représentations non-politiques de la gloire de la France (six gravures) dont les aventures de Roland Garros, Parmentier (propagateur de la pomme de terre), et d’autres héros français. Ainsi, le supplément du Petit Journal ne publiera jamais d’images représentant l’affaire Redureau, ni aucune représentation de crime entre octobre 1913 et fin mars 1914.

Par conséquent, c’est aux quotidiens de faire voir Marcel Redureau, le jeune accusé. C’est une tâche qu’ils effectueront avec le nouveau support du cliché photographique de presse. La photographie était présente dans la presse surtout comme modèle pour des gravures depuis des années. Mais la publication des clichés photographiques était auparavant difficile à cause de la difficulté de transmettre et d’imprimer les photographies. Dans les dix premières années du XXème siècle, la publication de photographies se développe grâce à l’héliogravure rotative, un procédé d’impression adapté aux longs tirages photographiques, et la téléphotographie, système de transmission par signaux électriques. Le Matin est le premier grand quotidien à publier des clichés en 1902 et tous les autres grands quotidiens suivront peu après. En 1913, lors du début de l’affaire Redureau, il n’est pas de grands quotidiens qui ne publient de clichés photographiques. Cette révolution de l’image dans la presse explique le remplacement susmentionné du supplément illustré du Petit Parisien par le Miroir. Pour les éditeurs, il s’agit d’une transition entre la subjectivité de la gravure et la vraisemblance de la photographie : « au lieu d’images coloriées, composées à l’avance, et ne rappelant parfois que de loin la réalité, nous donnerons à nos lecteurs le document vécu. »

Bibliographie :
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Le Petit Parisien Supplément Littéraire Illustré, 27 mars 1912.
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André Gide, La séquestrée de Poitiers suivi de l'affaire Redureau, Paris : Gallimard, 1930.
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Anne-Claude Ambroise Rendu, « Du dessin de presse à la photographie (1878-1914) : histoire d’une mutation technique et culturelle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 39e, n°1, 1992 : p. 6-28.
- Gilles de Feyel, « La Presse en France des origines à 1944 », dans Histoire politique et matérielle. Paris : Ellipses, 2000.
- Quentin de Bajac,
La photographie, l’époque moderne 1880 – 1960, Paris : Gallimard, 2005.
(Remerciements à André Parisot pour son aide avec la collection du
Miroir au Centre Charles Péguy à Orléans)
A noter aussi : l'existence d'une complainte du crime de Marcel Redureau à écouter ici.

Faire voir l’accusé

Avec la généralisation des clichés photographiques vient l’homogénéité de la photographie reproduite. Cette image de Marcel Redureau a été publiée non seulement par les grands journaux quotidiens basés à Paris, mais aussi par l’Ouest Eclair, un journal local, et Het Leven, un hebdomadaire néerlandais. L’image est également inclue dans le dossier de procédure de l’affaire.

Dans la mesure où il n'est plus nécessaire qu'ils se justifient sur l’exactitude de l’image, sur son originalité, comme c’était le cas avec les gravures, les journaux laissent l’image parler par d'elle-même. Le jeune accusé est menotté. La juxtaposition de ce garçon en tenue de travail pour les champs, grimaçant de honte ou de douleur, avec la tenue solennelle et officielle du policier ne laisse pas de doute sur leurs rôles respectifs de bon et de mauvais. Aussi bien l’effacement du fond dans Le Petit Journal, que le découpage complet du policier dans Le Matin, attirent l’œil du lecteur vers l’accusé.

La publication de cette photographie atteste d’autant plus du désir de faire voir l’accusé que la récente loi du 22 juillet 1912 instaure une amende (entre cent et deux mille francs) pour la publication d’un portrait ou d’une illustration d’un criminel mineur ou de leur crime. De même l’article 58 de la loi du 1881 interdit la publication des actes d’accusation et tous les autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils n’aient été lus en audience. Ces lois étaient régulièrement ignorées par la presse qui cherchait à attirer le plus large lectorat possible.

Bibliographie :
La loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents,
Criminocorpus publiée le 21 septembre 2007, consultée le 19 mai 2014.

Faire voir les victimes

Étant donné le faible nombre de portraits carte-de-visite dans le milieu paysan, le répertoire d’images des victimes est, lui aussi, limité. Nous noterons que trois des victimes, l’enfant de deux ans, la grand-mère, et la domestique de seize ans, ne sont pas représentés du tout. Le Matin, Le Petit Journal, et Le Petit Parisien publient tous les mêmes clichés des parents et des deux sœurs aînées de la famille Mabit.

La mise en page des victimes souligne un des éléments les plus choquants du crime : le massacre d’une famille (la famille d’accueil de l’accusé), dont plusieurs enfants. Alors que Le Matin et Le Petit Journal mettent les photo-portraits côte à côte, constituant ainsi une image d’une famille unie, Le Petit Parisien laisse voir les corps des deux filles avec leurs robes blanches qui suggèrent au lecteur leur innocence et leur vulnérabilité face à l’assassin.

L’âme de l’accusé en image

Le Petit Parisien publie cette photographie de Marcel Redureau, à l’âge de 9 ans, afin d’illustrer sa biographie. L’image sépare le texte de l’article en deux parties. La première partie évoque son enfance, la seconde sa vie professionnelle.

Dans la première partie, l’article raconte comment pour l’enfant paysan : « l’école, où ils restent peu, juste le temps nécessaire à leur admission au certificat d’études est, bien sûr, le meilleur de leur existence ». Puis, l’enfance de l’accusé est décrite : il était un écolier parfait selon son instituteur et son oncle. La deuxième partie évoque son embauche à la ferme des Mabits. L’article est à la fois une condamnation de la vie difficile des adolescents en milieu rural et une tentative d'explication du crime. Il s’intitule « L’avocat du petit monstre demande un examen mental : Surmenage ? Crise de puberté ? ».

L’image et l’article attestent ainsi d’un intérêt croissant pour la vie intérieure des criminels, un intérêt qui se traduit par l'utilisation d'un vocabulaire de plus en plus scientifique. En effet, le tournant du XIXème siècle voit le développement des biographies détaillées des accusés dans la presse [Kalifa 1995]. Simultanément, l’attention journalistique accordée aux sciences criminologiques (criminologie, anthropologie criminelle) atteint des sommets. Par exemple, Le Journal se réfère aux critères criminologiques de Cesare Lombroso lorsque dans un article il est stipulé que « ce gamin de quinze ans n’a pas d’anomalies héréditaires ni de stigmates de dégénérescence qui caractérisent le criminel-né ». Ce genre de constat cherchant des signes visibles de criminalité sur le corps de Redureau apparaît dans Le Matin, Le Temps, Le Phare de la Loire, Le Petit Journal et Le Petit Parisien dans les deux jours suivant le meurtre. Six mois plus tard, ces descriptions de Redureau faites par la presse sont citées par les médecins chargés de l’examen mental de Redureau pour le procès. Dans la première page de leur rapport à l’adresse du juge-magistrat, ils résument :

« [Redureau] n'est pas davantage un dégénéré au sens somatique du mot, en dépit des descriptions fantaisistes qu'on a pu lire dans certains des journaux... « Ce gamin, dit l'un d'eux, est presque un enfant dont le développement physique ne serait pas complet… debout, il est haut comme un botte. » Or, la taille de Redureau est de 1 m 58, dépassant…la moyenne de Quetelet pour les garçons de seize ans. »

Bibliographie :
Le Petit Parisien
, 4 octobre 1913.
Ollive, « La tuerie de Landreau » dans Les Archives de l'Anthropologie Criminelle, tome 29, 1914 : pp. 625-628.
A. Cullere et L. Desclaux, « L’affaire Redureau. Assassinat de sept personnes par un enfant de quinze ans. Examen mental. » dans Les Archives de l'Anthropologie Criminelle, Tome 29, 1914: pp. 629-645, pp. 629-630.

Le récit du crime raconté par le courrier

Cette série de cartes postales est produite lors de l’âge d’or de la carte postale, au moment où la production annuelle des cartes passe de 100 millions en 1910 à 800 millions en 1914.

A la différence des cartes postales contemporaines, les catastrophes, les crimes et les événements politiques et sociaux étaient des sujets courants des cartes postales de l'époque. On retrouve, par exemple, de très nombreuses cartes au sujet de l’inondation de 1910, des tremblements de terre, la catastrophe minière de Courrières, et des affaires telles que l’affaire de la bande à Bonnot à Nogent. Ces cartes peuvent, par conséquent, être rapprochées des complaintes et de la presse en ce qu’elles aussi diffusent l’actualité ; « Au point de vue politique », écrit Emile Strauss dans sa revue La Carte Postale illustrée en 1899, « la carte sera un formidable adjuvant aux journaux illustrés, satiriques et pamphlétaires. »

Alors que des cartes postales sur le crime représentent souvent le malfaiteur en portrait (Casque d’Or, Jean Théry…), cette série représente le cortège accompagnant l’enterrement des victimes. Deux manières par lesquelles réagir et comprendre le crime sont ainsi proposées aux lecteurs : ils peuvent rechercher le sens soit dans la représentation du malfaiteur, soit dans l’événement social des obsèques.

En effet, les obsèques touchent toute une commune et même la presse nationale. Le Journal en est témoin, constatant le 3 octobre 1913 : « Autos, bicyclettes, voitures chargées de gens avaient amené une multitude d’assistants qui tenaient à manifester à la famille Mabit leur douloureuse sympathie. Le deuil était conduit par le frère de M. Mabit, sa femme et M. Paquereau. Le conseil municipal en entier, les sociétés de secours mutuels et les trois docteurs de la commune assistaient aux obsèques. »

Cette série de cartes postales provient de l’éditeur nantais Vassellier qui produisait majoritairement des cartes postales de la Bretagne. Ici, Vassellier emploie la phototypie, un procédé d’impression qui se sert d’une planche de verre et d’encre grasse, la technique commune d'impression des cartes postales jusque dans les années 1930.

Bibliographie :
- Serge Zeyons,
Les cartes postales, le manuel de l’amateur, Paris : Hachette, 1979.
- Ripert, Aline et Frère, Claude,
La carte postale, son histoire, sa fonction sociale, Lyon : CNRS, 1983.
- Ado Kyrou,
L’âge d’or de la carte postale, Paris : A. Balland, 1975.

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