Le contexte social : des grèves réprimées par la force
Source : Collection particulière.Carte postale. Armentières. Un coin de la Grand’place pendant les grèves (avril 1904). Collection particulière. Le débat sur la peine de mort en 1908 ne peut se comprendre sans le contexte politique, international et social qui inspire inquiétude et peur aux couches sociales possédantes. Au premier rang de ces troubles, il y a la grande vague de grèves ouvrières des années 1904-1907. Atteignant un record en 1906 (1309 grèves et 438 000 grévistes), elle est marquée par une forte participation de la province, notamment dans le Nord (usines textiles comme celles d’Armentières, et mines). La dureté des conditions de vie, l’exaspération face au mépris patronal, l’influence des courants anarchistes rendent compte de la longueur des conflits (115 jours aux forges d’Hennebont d’avril à août 1906) et des violences : saccage de magasins (comme à Armentières), séquestrations de patrons. Les gouvernements répliquent en faisant appel à la troupe, Paris est quasiment placé en état de siège le 1er mai 1906. Clemenceau assurera sa réputation de « briseur de grèves » en faisant tirer sur les ouvriers terrassiers de Draveil-Vigneux (juin-juillet 1908) – six morts parmi les grévistes - et arrêter les responsables de la CGT. Alors que l’on discute de l’abolition de la peine de mort, la présence de la troupe dans les rues des cités en grève met en pleine lumière le danger « révolutionnaire » pour toute une bourgeoisie, notamment provinciale, laquelle ne sera guère portée, dans ce contexte, à soutenir l’abolition de la peine capitale.
La question sociale estompée par le débat sur la peine de mort
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Dessin de Wagner, L’Assiette au Beurre, n° 310, 9 mars 1907, « La Peine de mort » (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) L'Assiette au Beurre reprend un des arguments de l'extrême gauche, qui, plaçant au premier rang de ses préoccupations la lutte sociale, considérera parfois que le débat idéologique sur la peine de mort, apte à rassembler l’ensemble des députés de gauche, socialistes compris, est une diversion pour éviter de prendre des mesures en faveur du monde ouvrier. Le dessin met par ailleurs en évidence les limites d’un tel débat : on va peut-être épargner la vie de quelques criminels, mais pendant ce temps, les ouvriers continueront à mourir dans les accidents de travail. Cet argument sera quelquefois transposé à l’ensemble des victimes d’accident : lors du débat de 1981, une intervention en faveur du maintien de la peine de mort argue de l’importance des accidents mortels sur la route pour relativiser l’intérêt porté au sort de quelques assassins…
Les troubles viticoles
Source : Collection particulière.Carte postale. Souvenir du meeting vinicole. Montpellier, 9 juin 1907. Marcelin Albert saluant la foule (Collection particulière) La troupe n’intervient pas seulement contre les ouvriers grévistes, elle est également mobilisée dans quelques campagnes en révolte, particulièrement dans le Midi viticole, en 1907. Une surproduction chronique, la concurrence des vins d’Algérie et des vins chaptalisés (dénoncés comme le produit de la fraude) entraînent le soulèvement des viticulteurs du Languedoc, propriétaires et ouvriers agricoles réunis. À partir de mars 1907 une succession de meetings rassemblent derrière Marcellin Albert, le leader improvisé du mouvement, des foules de plus en plus imposantes – un million de personnes à Montpellier le 9 juin -, entraînant par solidarité la démission en chaîne des municipalités. Le 17e régiment d’infanterie fraternise à Béziers avec les manifestants…Clemenceau réprime par la force le mouvement en faisant tirer la troupe à Narbonne et à Montpellier, en arrêtant et discréditant les leaders.
Séparation de l’Eglise et de l’Etat et troubles en province
Source : Collection particulièreCarte postale. La résistance en Bretagne contre les décrets d’expulsion des Soeurs. La faction (Collection particulière) La politique anticléricale est le ciment du Bloc des gauches depuis sa victoire aux législatives de 1902. La mise en application de la loi sur les associations de 1901 entraîne, sous le ministère Combes, la fermeture de quantité d’établissements congréganistes jusqu’à leur suppression complète en juillet 1904. La loi de Séparation de l’Église et de l’État est promulguée en décembre 1905. L’expulsion de congrégations enseignantes comme les inventaires des biens d’église qu’implique la Séparation susciteront des mouvements de résistance dans plusieurs provinces, notamment en Bretagne, où quelques-uns reprennent la tradition de la Chouannerie défendant les prêtres contre la Révolution. Ces mesures anticléricales accentuent l’hostilité d’une grande partie du clergé à l’égard de la République. Lors du débat sur la peine de mort, Jaurès rappellera cette hostilité et les mots de l’abbé Valadier, aumônier de la Roquette protestant contre la grâce accordée à Soleilland : « La tête d'un brigand est pour vous chose si sacrée que vous empêchez qu'elle ne tombe... » - c'est après la grâce de Soleilland - « .. .vous n'hésitez pas à livrer les têtes, les dos, les gorges, les ventres de nous tous aux couteaux de ces apaches qu’a suscité le fumier de votre République sans Dieu. ». Jaurès ajoute qu’au lendemain de l’assassinat du président Carnot, le même abbé « a trouvé une explication surnaturelle et bienveillante de sa mort.. Il a constaté que, par une volonté de la Providence, le président Carnot, frappé un mois après Émile Henry, était frappé le jour même où le pape faisait savoir au monde par un document pontifical : « Ceux qui jugent seront jugés à leur tour et ils seront d'autant plus frappés qu'ils exercent leur commandement contre l’équité et contre le droit ».
La Révolution russe de 1905
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Dessin de Grandjouan, L’Assiette au Beurre, n° 310, 9 mars 1907, « La Peine de mort » (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) La Révolution russe de 1905 attise les craintes d'une contagion révolutionnaire parmi les pouvoirs en place et les élites. Alliée à la Russie depuis 1892, la France officielle ne peut désavouer la répression sanglante exercée par le tsar.
Les Apaches, plaie de Paris
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Le Petit Journal. Supplément illustré, 20 octobre 1907 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil) Le terme Apache – connu et diffusé par toute une littérature, déjà ancienne, sur l’histoire américaine – est utilisé par un journaliste de la Belle Époque pour décrire les méfaits commis par les bandes de jeunes délinquants de la capitale et des grandes villes. Qualifiant au départ de jeunes voyous, rebelles sociaux, défiant par leur apparence (casquette, foulard rouge, pantalon à larges pattes) et leurs paroles le bourgeois, l’expression finit par être étendue à tous les auteurs de faits délictueux. Les comptes rendus de faits divers publiés dans la presse signalent des Apaches partout. On trouve ainsi, dans le Petit parisien de septembre 1907, un article du 4, titré « Les Apaches maîtres de Paris » : « On les rencontre partout, dans les quartiers les plus riches aussi bien que dans les rues les plus pauvres : cyniques, orduriers, hilares, ils continuent à terroriser Paris ». Le 12, « les Apaches de Montreuil enlèvent et violent une jeune fille de 22 ans ». Le lendemain, nouveau titre : « Les Apaches marseillais. Arrestation sensationnelle. Un assassin de dix-sept ans ! Les antécédents du criminel… ». Le 14 septembre, à nouveau Marseille à la une : « Les Apaches marseillais. Encore un crime en pleine rue en plein jour (deux bandits vident à coups de revolver une ancienne querelle. Le meurtrier est lynché par la foule) ». Le journal tient une rubrique « Exploits d’apaches » où il range tous les crimes et délits dont il rend compte. Pour en savoir plus : Drachline (Pierre), Petit-Castelli (Claude). Casque d'or [Amélie Elie, 1879-1933] et les Apaches, Paris, Renaudot, 1990, 213 p. Kalifa (Dominique). Les Apaches sont dans la ville, L'Histoire, n° 168, juillet-août 1993, p. 108-111. Perrot (Michelle). Dans la France de la Belle Epoque, les "Apaches", premières bandes de jeunes, in Les Marginaux et les exclus dans l'histoire, Cahiers Jussieu n° 5, Paris, UGE, 1979, p. 389-407.
Réprimer les Apaches
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Le Petit Journal. Supplément illustré, 3 novembre 1907 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil) Les exploits des Apaches, largement diffusés et amplifiés par la grande presse – quelques journalistes sont même accusés de mise en scène – donnent l’impression que la répression est impuissante à endiguer leurs méfaits. Significativement, la page illustrée du Petit journal du 20 octobre 1907 sous-titrait : plus de 30 000 rôdeurs contre 8 000 sergents de ville, ces derniers apparaissant impuissants face aux jeunes voyous armés de couteaux et usant du revolver. Les milieux conservateurs, quelques magistrats, des criminologues dénoncent une « crise de la répression » : plus que la faiblesse des effectifs policiers, l’origine en serait une pénalité insuffisante, des juges faisant preuve de trop d’indulgence en prononçant des courtes peines, une législation atténuant et individualisant la peine (libération conditionnelle, sursis, etc.), des prisons trop confortables, écoles de la fainéantise et du crime. Quelques-uns proposent alors, en suivant le modèle anglais, d’en revenir aux châtiments corporels : il faut fouetter les Apaches … Pour en savoir plus : Kalifa (Dominique). Magistrature et "crise de la répression" à la veille de la grande guerre (1911-1912), Vingtième siècle, revue d'histoire, juillet-septembre 2000, n° 67, p. 43-59. Lejeune (Dr.). Faut-il fouetter les "apaches" ? La criminalité dans les grandes villes : psycho-physiologie de l'apache; la pénalité applicable aux apaches, son insuffisance; les châtiments corporels : avantages et inconvénients; esquisse de la flagellation pénale dans l'histoire et en législation comparée : les apaches et le fouet, Paris, Libr. du Temple, 1910, 117 p. Loubat (William). La crise de la répression, Revue politique et parlementaire, 1911, tome LXVIII, n° 204, juin, p. 434-468; tome LXIX, n° 205, juillet, p. 5-27.
La peur des nomades
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Le Petit Journal. Supplément illustré, 12 novembre 1905 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil) La crainte des nomades dans le monde rural est ancienne : supposés animés de mauvaises intentions, accusés de « voler les poules », faisant craindre l’incendie, les tziganes et « romanichels », par leur étrangeté radicale (apparence et mode de vie à l’opposé des sédentaires) suscitent des réactions de peur et d’hostilité. Pour la grande presse, mettre en valeur quelques faits divers les concernant est un bon moyen d’entretenir le sentiment d’insécurité dans les campagnes qui ne connaissent les exploits des Apaches que par la seule lecture du journal. Une surveillance administrative à l’égard des nomades commence à se mettre en place à la fin du 19e siècle, et un recensement de 1897 estime leur nombre à 25 000. Des actions répressives sont menées, la plus spectaculaire visant la « Bande à Pépère », qui, partie des Pays-Bas, sous la direction de Jean Capello, sillonne la France à partir de l’été 1906. Forte d’une centaine de personnes, accusée de méfaits réels ou imaginaires, elle est l’objet d’un vaste coup de filet en juin 1907, lors de la foire de La Tremblade (Charente-Maritime), se soldant par un maigre butin (quelques papiers, des jeux, trois livrets de caisse d’épargne). L’opération conduite par Hennion, directeur de la Sûreté générale, visait surtout à impressionner l’opinion et faire pression sur les autorités pour obtenir la création de brigades de police mobile, ce qui sera acquis à la fin de la même année.
Une criminalité en bande : les Chauffeurs de la Drôme
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.
Le Petit Journal. Supplément illustré, 15 novembre 1908 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil) L’insécurité est également entretenue par de nouvelles formes de banditisme, ou plutôt par la résurgence de bandes organisées, faisant revivre la tradition des rouleurs et autres chauffeurs des périodes troublées, la dernière vague importante s’étant manifestée pendant le Directoire. Or, au début du 20e siècle, le crime organisé renoue avec cette tradition, jouant sur la mobilité, défiant des forces de l’ordre très territorialisées (comme la gendarmerie) et échappant de ce fait à la répression. Ce sont, dans le Nord, les « bandits de Hazebrouck » ou la « bande à Pollet », les frères Pollet, particulièrement Abel, dirigeant une bande spécialisée d’abord dans des vols alimentaires puis élargissant leurs activités, s’oriente rapidement vers les attaques nocturnes de fermes et de maisons isolées, n’hésitant pas à assassiner lors des vols commis. Arrêtée au début mai 1906, la bande composée de plusieurs dizaines de membres, a à son actif 120 vols à main armée et 6 assassinats. Dans le Midi, le crime organisé renoue directement avec les bandes de la période révolutionnaire : des Chauffeurs brûlent les pieds des vieillards pour leur faire avouer l’endroit où ils ont caché leurs économies, ravivant le souvenir des Chauffeurs d’Orgères appliquant cette tactique à grande échelle dans la Beauce de la fin du XVIIIe siècle. Cette « bande rouge » terrorise les campagnes de la Drôme. Les méfaits de ces bandes sont convoqués lors du débat parlementaire par les partisans de la peine de mort. Georges Berry n’hésite pas à redonner le récit, publié dans la presse, des « exploits » d’un nommé David martyrisant un vieillard de 82 ans : « Voici comment David raconte cet assassinat de Bésayes, dont il se vante, d'ailleurs. « Il faisait un beau clair de lune. Nous avons franchi la barrière. Berruyer faisait le guet. Nous nous sommes postés sous la fenêtre de la cuisine. Nous avons vu la vieille allumer sa lampe et vaquer aux soins du ménage. Puis, elle sortit, comme la veille. À ce moment, Liotard bondit. Il avait ramassé un bâton, une bille, et il frappa la femme à la tête. Moi, je l’envoyai rouler par terre d'un coup de tête dans l'estomac et on la tira jusque dans la maison... Elle n'en finissait pas de geindre. On la refrappa à coups de bâton. Elle gisait sur le parquet, mais elle n'était pas encore morte. « Maintenant, nous voila, tous les trois, dans la maison ; on bouche la fenêtre avec des couvertures. Dans une chambre à côté le vieux criait : « - Julie ! Julie ! qu'est-ce qui t'arrive ? « - Attends, que j’ai dit, tu vas la voir ta Julie ! « Et nous entrâmes dans la chambre. Alors, le vieillard, qui était couché, tendit ses bras vers une petite Vierge en plâtre placée sur une encoignure pareille à un petit autel, et murmura en tremblant : « - Bonne mère ! bonne mère ! protégez-moi ! « - Attends que je lui fais encore, tu vas voir comme elle va te protéger, ta bonne mère ! « J'ai pris la Vierge, je la lui ai lancée sur la figure et je lui ai dit : « Tiens, embrasse-là, ta bonne mère ! » « Le malheureux haletait, suffoquait, prêt à s'évanouir. On lui fit prendre un verre de rhum pour lui donner des forces et on lui demanda où était son argent. « - Prenez ce que vous trouverez, répondit-il, mais je ne vous donnerai rien. » « David se mit à rire épouvantablement et il continua : « - On lui mit une corde au cou, mais par dessus un mouchoir pour ne pas laisser de traces. On tira : « Où est l'argent ? « Il disait toujours : « Non ! non ! » Alors, comme il ne voulait pas être raisonnable, on serra plus fort et on l'étrangla. « Dans l'autre pièce, la vieille ne voulait pas mourir. On lui donna des coups de talon sur la tête. Elle n'était pas encore morte. On a fait une omelette, on a mangé, on a bu, puis on a cherché le magot. On a trouvé 220 fr. sous le lit et dans une boîte à sel, et puis Berruyer a dit : « Partons maintenant.» « - Mais elle n'est pas encore morte. « Alors, on l'étrangla avec une corde. Après on mit le cadavre du vieux à côté de celui de sa sœur et on les a « assaisonnés » (sic) en les arrosant avec quatre litres d'essence, une bouteille de rhum et de l'huile. » Je m'arrêterai à ce récit, ne voulant pas abuser des moments de la Chambre. Cependant qu'il me soit permis de demander votre indignation pour l'assassinat par la même bande de ce vieillard de quatre-vingt- deux ans, auquel David et ses complices ont fait pondant toute une nuit chauffer les pieds dans sa cheminée, en soupant joyeusement à côté de lui. Le matin, quand le frère du vieillard entra dans l'appartement, il trouva le malheureux vivant encore, les pieds complètement carbonisés. (Bruit à l’extrême gauche. - Exclamations au centre et à droite.) Je vous en prie, messieurs, ne dites pas que, pour les gens qui commettent de pareilles actions, la peine de mort soit un châtiment terrible ; non elle n'est évidemment qu'une juste représaille de la société. » Pour en savoir plus : J. Bénévise, E. Dossat, L'affaire des chauffeurs de la Drôme, Bourg-les-Valence, 2002, 450 p. E. Dossat, Les Hommes rouges ou l'Histoire véridique des chauffeurs de la Drôme, Nigel Gauvin, 1990, 350 p. E. Guilini, L'affaire des "chauffeurs" de la Drôme, in O. Cogne (dir.). Rendre la justice en Dauphiné : exposition présentée par les Archives départementales de l'Isère, au palais du parlement de Dauphiné du 31 octobre 2003 au 17 mai 2004. Catalogue, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2003, p. 227-231.
Le crime de Soleilland
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Le Petit Journal. Supplément illustré, 24 février et 4 août 1907 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil) Le crime de Soleilland marque un tournant dans le débat sur la peine de mort : exploité par la grande presse et les « morticoles », il est à l’origine d’un retournement de l’opinion qui suscite hésitations et revirement chez les députés jusqu’alors partisans de l’abolition. Albert Soleilland, petit bourgeois déclassé, journalier employé chez un marchand de meubles du XIe arrondissement, assassine et viole, le 27 janvier 1907, la fillette de ses voisins et amis, Marthe Erbelding, âgée de onze ans. Les relations de confiance entretenues jusqu’alors entre l’assassin et les parents de la victime – ces derniers lui avaient donné la garde de leur enfant ce jour-là - ajoute encore à l’émotion suscitée par le crime : une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes accompagne le cercueil de la petite victime. Albert Soleilland est condamné par la cour d’assises de la Seine à la peine capitale le 24 juillet 1907. Pour en savoir plus : Jean-Marc Berlière. Le crime de Soleilland (1907). Les journalistes et l'assassin, Paris, Tallandier, 2003, 240 p.
La grace : Lettre à Fallières
Source : Archives de la préfecture de police de Paris, DB/141.Lettre à M. Fallières ou la grâce de Soleilland, chanson (Archives de la préfecture de police de Paris, DB/141) Albert Soleilland est gracié par le président de la République, le 13 septembre 1907. Armand Fallières (1841-1931), élu président le 18 février 1906, est hostile à la peine capitale et a systématiquement gracié tous les condamnés à mort depuis le début de son mandat. La grâce de Soleilland suscite de nombreuses protestations. Le Matin du 15 septembre 1907 titre « Après la Grâce. Le public ne contresigne pas le décret du Chef de l’État. » L’article se fait l’écho des réactions populaires : «… Et maintenant, écoutons, entendons : Dans le Métro, quelqu’un dit : - Si j’étais le père Erbelding, j’irais « coller » une balle dans la peau du président de la République qui a gracié le monstre. On serait bien embarrassé de trouver un jury pour me condamner. Plus loin, dans l’omnibus - Maintenant, la peine de mort est abolie. On ne peut plus guillotiner, du moment que Soleilland conserve, sur les épaules, sa tête, dit un voyageur. Des femmes, en écho, répètent : - Le monstre ! Le monstre ! Il fallait le tuer comme un chien enragé. Des hommes bien vêtus, qui somnolent bercés par la cadence de la voiture, tout en chatouillant la gourmette d’or qui décore leur gilet, expriment ainsi leur opinion : - Et dire que pour nourrir cet être, on va augmenter nos « impositions » ! De Belleville à la plaine Monceau, un bond. Dans le grand parc, les fillettes lancent en l’air leur diabolo ; les garçonnets jouent aux barres ou à cache-cache, et, sur les bancs, les mamans – et aussi les bonnes – surveillent : - Du moment que Soleillant a été gracié, disent-elles, on ne saurait prendre trop de précautions. Paris, désormais, Paris des parcs, Paris de la rue est domaine des satyres et des apaches… » C’est sur ce dernier thème que brode l’auteur des paroles de la chanson, la Lettre à Fallières, en voulant exprimer les craintes des mères suppliant le président de la République de penser d’abord à leurs enfants, futures victimes, et non d’abord à la vie d’un assassin. Une autre chanson, d’Eugène Gervais, stigmatise la grâce accordée par Fallières en évoquant les satyres désormais en liberté, faisant le parallèle entre l’assassin retrouvant la liberté après sa dette payée au bagne et l’enfant innocente victime attirée dans les pièges qu’il lui tend. Eugène Gervais, Les satyres sont grâciés ou Le roman d’une pauvre mère. Romance dramatique d’actualité à propos de la grâce de l’ignoble Solleilland, Ciroutre-Gauvry, 1907.(document communiqué par Marc Renneville) « Sur l’air de : Fais dodo, mon pauv’gosse, 1 sous la dentelle une enfant blond repose ; Sa maman la contemple toute rose : Sur ce front d’ange elle pose un baiser. Puis, en chantant, ne cessant de bercer, Dans un journal elle parcourt un crime Le titre ? - Viol, six ans a la victime !- Les yeux en feu, s’approchant du berceau Elle répète, étreignant son marmot : Au refrain 2 - Le temps a fui - six ans a la fillette; Comme elle est belle et grande sa Juliette ! Qu’ils lui vont bien, ses petits souliers blancs Bébé gambade en ses atours charmants... De la maman profitant d’une absence, La gamine, vers la porte s’élance Et, dans la rue, insouciante et jouant L’oeil allumé la remarque un passant... au refrain 3 - J’ai des bonbons, vois-tu mignonne, en poche - Ne me crains pas, pourquoi bouder : approche. Bébé répond : - « Monsieur, je n’en veux pas « Prendre bonbon » a défendu papa... - Ne t’enfuis pas, je connaîs petit père, J’aime beaucoup, sais-tu, petite mère. L’enfant confiante, heureuse, s’en alla : Le soir, le monstre odieux la viola ! au refrain 4 Le lendemain la mère apprit le crime. Quand elle sut le nom de la victime, Trop ébranlée, sa raison chancela. La mère est folle...heureux est le forçat; Par sa conduite exemplaire et très bonne A mérité, là-bas, qu’on le pardonne. Il est marié, du bagne, libéré, Et ses enfants ignorent son passé !... au refrain. Refrain Mères, veillez sur vos gosses Aujourd’hui c’est atroce. On pardonne aux bandits Leurs crim’s sont impunis. On se moque des larmes Des parents aux alarmes. Les satyr’s sont grâciés Pauvres mères, veillez ! » Pour en savoir plus : Voir la notice biographique d’Armand Fallières sur l’encyclopédie libre Wikipédia
La grace : Lettre à Fallières (suite)
Source : Archives de la préfecture de police de Paris, DB/141.Manifestation contre la grâce de Soleilland
Source : Archives de la préfecture de police de Paris, DB/141.Extrait du journal Le Matin, 16 septembre 1907 (Archives de la préfecture de police de Paris, DB/141) Le journal rend compte d’une manifestation organisée pour protester contre la grâce de Soleilland, quelques jours à peine après la signature du décret par Fallières. Les mères de familles de quartiers populaires semblent avoir été à l’initiative de ce mouvement de protestation qui devait conduire ses participants jusqu’à l’Elysée. Le journal rendant compte avec sympathie du comportement des manifestants – ce qui contraste avec ses comptes-rendus de manifestations ouvrières… -, remarque que seuls les hommes manifestent et qu’ils sont dispersés par la police sans ménagement.
Les pétitions des jurys
Source : Archives de la préfecture de police de Paris, DB/616.Extrait du journal Le Matin, 8 juillet et 1er août 1907 (Archives de la préfecture de police de Paris, DB/616)Le Matin affirme être, dans son numéro du 8 juillet, à l’origine de ce mouvement pétitionnaire. En réalité, la campagne des pétitions envoyées par les jurys, pour demander l’application de ses arrêts capitaux (ce qui revient à récuser la grâce présidentielle systématique), a commencé dès janvier 1907. Elle se développe pendant deux ans, au gré de la périodicité des assises et des événements : alors qu’au début c’est la politique de grâce du président de la République qui est visée, le mouvement se radicalise en 1908 en réaction à une circulaire de la Chancellerie visant à interdire ces manifestations. Il est probable que le mouvement est, sinon initié, du moins soutenu officieusement par une partie de la magistrature trouvant là l’occasion de rappeler au pouvoir exécutif l’indépendance du pouvoir judiciaire fortement malmené par l’épuration politique de la magistrature dans les années 1880. Mais s’associent également aux jurés, des conseils généraux, des conseils municipaux, des syndicats patronaux et associations de commerçants qui tous expriment leur vœu d’une répression n’hésitant pas à appliquer la peine de mort inscrite dans le Code pénal. Il faut sans doute voir dans ce mouvement pétitionnaire le reflet des inquiétudes d’une bourgeoisie provinciale – bien représentée au Parlement par les radicaux – devant ce qu’elle perçoit comme une montée de la criminalité.
Peine de mort pour les Apaches
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Le Petit Journal. Supplément illustré, 19 juillet 1908 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil) Alors que certains préconisent le fouet pour mater les jeunes délinquants, d’autres n’hésitent pas à réclamer une modification du Code pénal pour appliquer la peine capitale aux Apaches ayant commis des meurtres simples, estimant que la prison est sans efficacité contre ces rebelles sociaux, qui, d’ailleurs, dans leurs bandes, ne reconnaissent que cette seule pénalité en cas de différend ou de trahison… Georges Berry dépose un projet de loi en ce sens le 29 octobre 1908. (Proposition de loi tendant à faire encourir la peine de mort à une nouvelle catégorie de malfaiteurs) Extraits de l’Exposé des motifs : « …Le législateur, qui n’avait pas prévu les apaches et qui ne supposait pas que, la civilisation aidant, on en arriverait à voir des bandits professionnels frapper pour le plaisir de tuer ou par fanfaronnade, ne visa pas ce genre de crime, qui resta, de ce fait, dans la catégorie des meurtres simples, et ainsi il a laissé une série de malfaiteurs indignes de tout pardon bénéficier des faveurs accordées aux criminels les moins répréhensibles, obligeant ainsi les jurés à être bienveillants malgré eux avec les plus cruels des meurtriers. Nul en effet ne mérite davantage les rigueurs de la justice que ces affiliés aux bandes qui se sont organisées et qui s’organisent chaque jour et qui ont leurs chefs, leurs lieux de réunion où ils préparent les coups à faire, et qui, pendant leurs récréations, s’amusent à tirer sur des passants inoffensifs et à se ruer dans des cabarets isolés où ils sèment l’épouvante et la mort. Nul ne mérite davantage les rigueurs de la justice que ces professionnels du crime qui ne peuvent rencontrer un agent regagnant seul son domicile sans l’attaquer avec fureur. Et pourtant, on le voit, ces misérables ne sont pas traités par la loi comme des assassins, par suite d’une lacune qu’il est urgent de combler au plus tôt en donnant aux juges la possibilité d’atteindre par le dernier châtiment des gredins qui le méritent plus que quiconque. » Son article unique propose de compléter ainsi l’article 304 du Code pénal : « Néanmoins, tout individu qui, s’étant rendu coupable d’un meurtre, aura été reconnu comme un malfaiteur professionnel ou aura tué pour le plaisir de tuer sera assimilé à l’assassin et puni de la peine de mort. »
La presse hostile à l’abolition
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Dessin de Haye, L’Assiette au Beurre, n° 310, 9 mars 1907, « La Peine de mort » (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) La grande presse nationale a animé la campagne contre l’abolition de la peine de mort. D’un côté, par intérêt commercial, elle a largement contribué à développer un sentiment d’insécurité en publiant quantité de reportages sur les affaires criminelles données en pâture à l’opinion. De l’autre, par conviction (les dirigeants des grands journaux populaires sont souvent des républicains modérés), elle est favorable à la peine capitale, relayant, sinon orchestrant, tout le mouvement de protestation contre les grâces présidentielles et prenant parti dans le même sens lors du débat parlementaire. L’Assiette au Beurre évoque Eugène Letellier, entrepreneur de travaux publics d'origine belge, patron du Journal. Mais le cas le plus emblématique est celui du Petit parisien qui, après avoir chauffé à blanc l’opinion en multipliant les articles sur l’affaire Soleilland jusqu’à la fin de septembre 1907, organise alors un grand referendum auprès de ses lecteurs sur le maintien ou non de la peine de mort, en affirmant explicitement vouloir faire pression sur le vote des députés : « notre referendum – est-il besoin de le dire ? – n’a aucun caractère politique, mais nous serions néanmoins très heureux que nos législateurs, dont beaucoup se sont également émus de la recrudescence des crimes dans notre beau pays de France, en fissent leur profit quand les résultats seront connus, et que le gouvernement tint compte des indications précises qu’il fournira… » (4 octobre 1907). Le résultat est à la hauteur de ses espérances, puisque le 5 novembre, le journal peut annoncer avoir reçu 1 083 655 bulletins « Oui » contre 328 692 bulletins « Non », et que, l’année suivante, les députés, largement influencé par cette campagne d’opinion, votent le maintien de la peine capitale.
Barrès : nous débarrasser de ces dégénérés
Source : Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1539-1540.
Extrait du Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1539-1540 ; photo reprise du site Marcel Proust de Gabriella Alù Maurice Barrès (1862-1923), écrivain, membre de l’Académie française depuis 1906, est député depuis 1889. Nationaliste, adhérent de la Ligue des patriotes, il se fait remarquer par ses positions contre Dreyfus. Lors du débat sur la peine de mort, il prend d’ailleurs à partie Joseph Reinach et sera rappelé à l’ordre par le Président de la Chambre des députés pour ses propos antisémites, et pour avoir stigmatisé la « race » différente de son collègue. Barrès affirme s’opposer directement à Victor Hugo – dont il reconnaît le rôle dans l’évolution vers l’abolition – en affirmant que si lui pense que le criminel est un « homme tombé en dehors de l’humanité », le grand poète pensait au contraire qu’il fallait l’éduquer parce pas « encore arrivé à l’humanité ». Ce faisait, il s’inscrit dans les thèses criminologiques en vogue depuis le dernier quart du 19e siècle, car même si l’anthropologie criminelle de Lyon, autour de Lacassagne, insistant sur le rôle du milieu social dans la genèse des comportements criminels, s’oppose à la théorie du criminel-né de l’école italienne de Cesare Lombroso, les représentants de la science qu’invoque Barrès sont, comme la grande majorité des médecins, en faveur du maintien de la peine capitale. En proposant d’élaguer les « branches pourries » de la société, il rejoint Alexandre Lacassagne qui, dans son ouvrage Peine de mort et criminalité. L’accroissement de la criminalité et l’application de la peine capitale (1908), justifie la peine capitale pour éliminer les incorrigibles tout en souhaitant une mise à mort euphémisée, à l’intérieur de la prison, la publicité amoindrissant à ses yeux l’intimidation. Pour en savoir plus : Voir la notice biographique de Barrès sur l’encyclopédie libre Wikipédia et lire et l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
Barrès : nous débarrasser de ces dégénérés (suite)
Source : Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1539-1540.Berry : le « parti des honnêtes gens »
Source : Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2027-2035.
Extrait du Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2027-2035. Georges Berry, né en 1855 à Bellac (Haute-Vienne), s’inscrit au barreau après sa thèse de droit soutenue en 1876. Membre du conseil municipal de Paris depuis 1884, il est élu député de la Seine en 1893. D’opinion monarchiste, il se ralliera à la République, sur les bancs de la droite conservatrice. Préoccupé par les questions sociales, il participe à de nombreuses institutions d’assistance et aux travaux des commissions de l’assemblée sur les problèmes de la mendicité, du travail des enfants, etc. Un de ses premiers ouvrages traite de la peine de mort (La peine de mort nécessaire, Paris, L. Larose et Forcel, 1881, 29 p). Georges Berry s’assure un beau succès sur les bancs de droite de l’Assemblée en prenant la défense des « honnêtes gens » contre les assassins et autres « malandrins ». La référence au supplice et à la mort des victimes – avec à l’appui le récit d’un crime sordide – est une des argumentations classiques des partisans de la peine capitale. Sans grande illusion sur la valeur intimidatrice de la guillotine, il considère que c’est déjà beaucoup si elle retient quelques criminels de passer à l’acte. Il renverse au profit des victimes l’argument de la pitié et de l’humanitarisme avancé par les partisans de l’abolition. L’allusion à Alphonse Karr (1808-1890), journaliste et écrivain, renvoie à la formule de cet auteur : « Abolissons la peine de mort, mais que messieurs les assassins commencent… » Pour en savoir plus : Lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
Berry : le « parti des honnêtes gens » (suite)
Source : Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2027-2035.Labori : l’heure de l’abolition n’a pas sonné
Source : Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2044-2047.
Photographie de Labori (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) ; Extrait du Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2044-2047. Fernand Labori (1860-1917), avocat fut le défenseur de Vaillant, et joua un rôle très important dans l’affaire Dreyfus en étant le conseil de Mme Dreyfus, de Zola en 1898, et du capitaine Dreyfus lors du conseil de guerre de Rennes en 1899. Élu député de la Seine-et-Marne en 1906, sa position en faveur du maintien de la peine capitale lui vaudra, de la part de la gauche, les rappels ironiques de son rôle pendant l’affaire Dreyfus, qui aurait laissé attendre de lui une position contraire à celle qu’il adopte sur cette question. S’affirmant en faveur de la plupart des arguments abolitionnistes, Fernand Labori adopte la position de Barère en 1791 : l’heure n’a pas encore sonné, car les mœurs, le niveau d’éducation morale de la société ne prédisposent pas à un état social qui diminue la criminalité et assure suffisamment de sécurité aux citoyens, tout en garantissant une répression efficace, vu l’état des institutions pénales. Il ajoute également l’argument d’une peine de remplacement inefficace, en faisant allusion aux bagnes : l’antienne des évasions très fréquentes, diffusée dans la presse, est reprise sans critique, alors que la plupart des évadés sont repris… Pour en savoir plus : Voir la notice biographique de Labori sur l’encyclopédie libre Wikipédia et lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
Labori : l’heure de l’abolition n’a pas sonné (suite)
Source : Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2044-2047.Jaurès : de la fatalité à la responsabilité sociale
Source : Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2393-2398.
Jaurès par Nadar (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) ; Extrait du Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2393-2398. Jean Jaurès (1859-1914), professeur de philosophie, élu député en 1885 dans le Tarn sur une liste républicaine de gauche, il se rallie au socialisme lors de la grève de Carmaux (1892) et est élu député socialiste indépendant de cette ville en 1893. Battu en 1898, il est réélu en 1902. Défenseur de Dreyfus, fondateur du Parti socialiste français, il contribue à la formation du Parti socialiste unifié (SFIO) en 1905. Fondateur de l’Humanité (1904), il combat la politique sociale de Clemenceau, mais se bat en faveur du projet d’abolition de la peine de mort présentée par ce même gouvernement. Jaurès éclaire le fondement de la position des partisans de la peine capitale : le refus de l’espérance, le pessimisme foncier sur la nature humaine, le « disque rouge » de la fatalité toujours invoquée pour refuser de croire à une amélioration possible. À ces yeux, ce fatalisme, contradictoire à la fois à l’esprit du christianisme et à celui de la Révolution, élude les responsabilités de la société dans le crime. L’évocation des conditions de logement et de travail, du chômage, de l’alcoolisme et du vagabondage lui permet d’esquisser la psychologie du délinquant en venant peu à peu à se complaire dans « l’orgueil sinistre » du crime face à une société dont il se sent rejeté. Pour en savoir plus : Voir la notice biographique de Jaurès sur l’encyclopédie libre Wikipédia et lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
Jaurès : de la fatalité à la responsabilité sociale (suite)
Source : Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2393-2398.Jaurès : de la fatalité à la responsabilité sociale (suite)
Source : Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2393-2398.Deschanel : l’argument de l’erreur judiciaire
Source : Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2042-2044.
Photographie de Paul Deschanel, reprise de la notice biographique de Wikipedia ; Extrait du Journal officiel, séance du 4 novembre 1908, p. 2042-2044. Paul Deschanel (1855-1922), député d’Eure-et-Loir depuis 1885, républicain progressiste, a été président de la Chambre des députés de 1898 à 1902. Paul Deschanel consacre l’essentiel de son intervention à un argument qu’il estime décisif : l’erreur judiciaire rend la peine de mort impensable, car il est impossible de croire en une justice infaillible. Le martyre des familles d’innocents exécutés vaut celui des familles de victimes d’assassinat. Il évoque l’affaire de la femme Doize (1861-1862) qui avoua un parricide, pour sauver son enfant, avant de se rétracter, et d’être acquittée les véritables auteurs du crime qu’on lui avait imputé ayant été arrêtés et condamnés. Pour en savoir plus : Voir la notice biographique de Deschanel sur l’encyclopédie libre Wikipédia et lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
Reinach : l’exemple d’un supplice inhumain est nul
Source : Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1534-1539.
Portrait de Reinach (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) ; Extrait du Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1534-1539. Joseph Reinach (1856-1921), dirigea la République française, le journal de Gambetta dont il fut le chef de cabinet. Député des Basses-Alpes de 1889 à 1898 et de 1906 à 1914, il joua un rôle important dans la révision du procès Dreyfus dont il publia une importante Histoire en sept volumes. Joseph Reinach, qui n’est pas suspect de faiblesse en matière de répression de la délinquance – comme en témoigne son plaidoyer en faveur de la relégation dans Les Récidivistes, publié en 1882 - , cherche à démontrer que la peine capitale n’a qu’une exemplarité limitée, toute relative, car elle ne fait pas baisser le nombre des crimes, particulièrement les plus odieux, exemples de Soleilland, Vodable et Vacher à l’appui. Relatant une exécution, il montre que ce châtiment inhumain ne peut inspirer que l’horreur et non la crainte du crime, et que d’ailleurs cela fait bien longtemps que la publicité des exécutions n’est que factice, alors qu’elle constitue un élément essentiel pour assurer l’exemplarité de la peine. Pour en savoir plus : Lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
Reinach : l’exemple d’un supplice inhumain est nul (suite)
Source : Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1534-1539.Reinach : l’exemple d’un supplice inhumain est nul (suite)
Source : Journal officiel, séance du 3 juillet 1908, p. 1534-1539.L’abbé Lemire : respecter la personne humaine
Source : Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2398-2401.
Photographie de l’abbé Lemire, reprise de la notice biographique de Wikipedia ; Extrait du Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2398-2401. Jules Lemire (1853-1922), prêtre, est député de la circonscription d’Hazebrouck de 1893 à sa mort. Représentant du catholicisme social, il a souvent défendu des positions très minoritaires au sein de l’Église catholique, dont celle sur la peine de mort. Alors que la hiérarchie de l’Église catholique ne trouve rien à redire à la peine de mort, l’abbé Lemire votera pour son abolition. Il met au premier rang de sa position, les droits de l’homme, la dignité de la personne humaine, croyant en la possibilité pour le coupable de se ressaisir et de se réconcilier avec la loi morale. Comme Jaurès, il met en avant la responsabilité de la société. On pourra comparer ce discours avec la prise de position affirmée par l’abbé Valadier, aumônier des prisons, en réponse aux questions du journal La Patrie, 24 décembre 1906 : « Elle est peut-être dure, mais je crois son maintien absolument nécessaire à la sécurité publique. Il faut la peur de la guillotine pour tenir en respect les criminels qui n’ont plus de morale ni de foi. Si on avait consulté sur ce projet tous mes collègues qui furent comme moi aumôniers de prison, je ne doute pas que l’avis de tous fut identique au mien ». On trouvera d’autres paroles de l’abbé Valadier, moins châtiées, en compléments à la page évoquant la Séparation de l’Église et de l’État et troubles en province. Pour en savoir plus : Voir la notice biographique de l’abbé Lemire sur l’encyclopédie libre Wikipédia et lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
L’abbé Lemire : respecter la personne humaine (suite)
Source : Journal officiel, séance du 18 novembre 1908, p. 2398-2401.La bataille des chiffres : la statistique mobilisée
Source : Journal officiel, séance du 11 novembre 1908, p. 2214.
Photographie d’Aristide Briand, reprise de la notice biographique de Wikipédia ; Extrait du Journal officiel, séance du 11 novembre 1908, p. 2214. Aristide Briand (1862-1932), avocat à Nantes, commença une longue carrière politique en militant dans les organisations syndicales et socialistes. Secrétaire du Parti socialiste français en 1901, député de la Loire depuis 1902, il quitte le parti socialiste lors de l’unification de 1905. À partir de 1906 il commence une longue carrière ministérielle, et il est garde des sceaux de 1908 à 1909 sous le gouvernement Clemenceau. Le débat parlementaire de 1908 se caractérise par l’abondance des références à la statistique criminelle que chacun interprète à sa façon, soit pour tirer argument que la criminalité augmente quand le nombre des exécutions baisse (les morticoles), soit, à l’inverse, qu’il n’y a aucun rapport entre application de la peine de mort et criminalité de sang (les abolitionnistes). Le discours du garde des sceaux est la meilleure illustration de cette bataille de chiffres. Il bénéficie des services de son ministère où l’on publie chaque année depuis 1825, un Compte général de l’administration de la justice criminelle, véritable baromètre de l’activité de la justice en matière pénale. Aristide Briand a fort à faire pour tenter de convaincre qu’il ne faut pas confondre les assassinats seuls passibles de la peine de mort, et l’ensemble des crimes de sang incluant également les meurtres simples, en forte hausse. Il doit également batailler ferme pour faire admettre que le commentaire ne peut reposer sur quelques années, les plus récentes, mais qu’il faut prendre en compte des périodes longues pour détecter d’éventuelles tendances significatives. Cette difficulté à interpréter les chiffres du crime ne sera plus de mise en 1981, tout le monde admettant alors que l’on peut utiliser la statistique dans le sens que l’on veut. Pour en savoir plus : Voir la notice biographique de Briand sur l’encyclopédie libre Wikipédia Lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908 et la bibliographie relative à la mesure du crime et à l’interprétation des statistiques criminelles sur le site Criminocorpus.
La bataille des chiffres : la statistique mobilisée (suite)
Source : Journal officiel, séance du 11 novembre 1908, p. 2214.L’opinion publique à témoin
Source : Journal officiel, séances des 4 et 11 novembre 1908, p. 2030.
Photographie d’Aristide Briand, reprise de la notice biographique de Wikipédia ; Extraits du Journal officiel, séances des 4 et 11 novembre 1908, p. 2030 et 2210. L’opinion, reflétée (et manipulée) par la presse, les pétitions des jurys et des collectivités locales pèsent sur les débats. Son évolution dans un sens défavorable à l’abolition après le crime de Soleilland suffit à expliquer les changements dans la commission chargée de préparer la discussion, Jean Cruppi, qui avait conclut son rapport en faveur de l’abolition étant remplacé par Henry Castillard, partisan de l’application de la peine. À son égal, tous les morticoles tirent argument de cette évolution et affirment répondre à la demande pressante du corps social pour redonner du travail au bourreau. Les députés de droite se plaisent à mettre les républicains et radicaux en contradiction avec leur idéal démocratique, de respect de la volonté du peuple, et c’est ainsi que l’on voit Georges Berry invoquer le « tribunal du peuple » . Aristide Briand, Jaurès et d’autres répondent qu’il faut éclairer le peuple, et savoir remonter un courant d’opinion contraire en analysant ses causes. Pour en savoir plus : Lire l’intégralité du discours sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1908.
L’opinion publique à témoin (suite)
Source : Journal officiel, séances des 4 et 11 novembre 1908, p. 2030.Le revirement de députés radicaux
Source : Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Dessin de Radiguet, L’Assiette au Beurre, n° 310, 9 mars 1907, « La Peine de mort » (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil, cliché Véronique Fau-Vincenti) Le dessin évoque le député Chavoix, membre de la commission de réforme judiciaire, d’abord partisan de l’abolition avant de changer d’avis en lisant un article sur le crime de Soleilland. L’intervention du député socialiste Marcel Sembat, fustigeant le 4 novembre ce revirement de députés de la gauche, évoque bien cet épisode : « Vous vous rappelez tous l’origine de la campagne. La commission de la réforme judiciaire avait été saisie d’un projet, et M. Cruppi qui, comme le disait tout à l’heure M. Labori, n’est suspect à aucun point de vue (On rit.), en avait été l’éloquent interprète : la commission se prononçait très nettement en faveur de l’abolition de la peine de mort. À quel moment a commencé, et pourquoi s’est produit le mouvement tournant qui l’amène aujourd’hui à réclamer le maintien et l’application de la peine de mort ? C’est l’affaire Soleilland qui domine tout ce mouvement. (Dénégations sur divers bancs à gauche.) Vous pouvez dire « non ! ». Historiquement, c’est là le point de départ ; M. Chavoix s’est ému, et vous avez commencé à vous émouvoir, et les journaux ont « marché » lorsque des bandes réclamaient sur les places publiques de Paris, sur l’air des lampions, la tête de Soleilland – et on ajoutait même celle de Fallières. (On rit.) »
Le vote final
Source : Archives de la préfecture de police de Paris, DB/616 ; Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil.Extrait du journal Le Matin, 9 décembre 1908 (Archives de la préfecture de police de Paris, DB/616) ; Le Petit Journal. Supplément illustré, 27 décembre 1908 (Collection Musée de l’Histoire vivante – Montreuil)Le Matin comme le Petit journal publient le résultat du vote : 330 députés votent en faveur de l’article 1er du projet de la commission de réforme judiciaire concernant la peine de mort ( « Les peines afflictives et infamantes sont : 1° La mort… ») et 201 votent contre. Les deux périodiques donnent à ce vote la même interprétation, reflétant la satisfaction des partisans de la peine de mort : ce vote est « une mauvaise journée pour les assassins » et la réapparition de la guillotine va dissuader l’Apache de commettre des attaques nocturnes…
L’exécution du parricide Duchemin (1909)
Source : Archives de la préfecture de police de Paris, DB/142.Extrait du journal Le Matin, 6 août 1909 (Archives de la préfecture de police de Paris, DB/142). Le maintien de la peine de mort consacré par le vote de la Chambre, les exécutions reprennent dans la capitale, aux portes de la prison de la Santé. Le 6 août 1909, le parricide Henri Duchemin inaugure ce nouveau lieu de supplice, après la disparition de la Grande Roquette. La province n’est pas en reste, avec des exécutions multiples qui font forte impression dans l’opinion, d’autant plus qu’elles donnent le point d’orgue à la répression des bandes organisées. Le 11 janvier, plusieurs dizaines de milliers de personnes assistent à la quadruple exécution des condamnés de la bande Pollet : les deux frères Abel et Auguste Pollet et leurs lieutenants, Canut Vromant et Théophile Deroo. Le 22 septembre c’est l’exécution de trois des chauffeurs de la Drôme à Valence : Louis Berruyer, Octave David et Urbain Liottard, lequel aurait eu ces derniers mots : « Vive Deibler ! mort aux vaches ! ».