Chronique d'une destruction annoncée et toujours écartée. La prison de la Petite Roquette, une cour, au fond la tour principale.
Source : Agence Meurisse, Gallica.
Avec l’avènement de la Ve République en 1958, on assiste à un changement de politique en matière de gestion du parc pénitentiaire. Une nouvelle liste d’établissements à désaffecter est établie tandis qu’un grand programme de construction est lancé. Lors de l’adoption du budget pour 1960, le Garde des Sceaux, Edmond Michelet, annonce en 1959 la destruction prochaine des dernières prisons du Paris intra muros, c’est-à-dire la Petite Roquette et la Santé, et seront donc reconstruites en grande banlieue, là où les terrains sont beaucoup moins coûteux.
En matière d’aménagement du territoire, l’heure est désormais à la « déconcentration », à la « décongestion » de la région parisienne. Pour ce qui est de la seule question pénitentiaire, la politique qui est engagée au début des années 1960 vise à la « désurbanisation » et au « regroupement » des établissements. L’administration compte d’ailleurs sur le produit de la vente des terrains des prisons anciennes pour financer les nouvelles constructions et affirme que ces grandes emprises gênent le développement des villes.
Chronique d'une destruction annoncée et toujours écartée. La Conciergerie, une cellule de prévenu.
Source : Agence Meurisse, Gallica.
En réalité, ces arguments ne sont pas nouveaux et la question de l’éventualité de la destruction de la prison de la Santé s’est déjà posée par le passé. Elle est en effet évoquée en séance du conseil général de la Seine dès 1889, soit à peine plus de vingt ans après la mise en service de l’établissement. Il s’agit déjà alors de parvenir à débarrasser la capitale de l’ensemble de ses prisons (anciennes et modernes), considérées comme des nuisances au même titre que les hôpitaux, les usines ou les cimetières. En 1892, le conseil général décide, dans le cadre du plan de réorganisation des prisons de la Seine, d’accorder un sursis à la Santé, même si l’objectif final reste la destruction.
Les faits ne viendront pas cependant confirmer ce bel enthousiasme. Par ailleurs, en donnant, au fil des désaffectations (Mazas, Sainte-Pélagie, Grande Roquette, puis la Conciergerie), une place de plus en plus centrale à la prison de la Santé, les élus ont progressivement renforcé son importance au sein du parc pénitentiaire de la Seine.
Aussi, en ce début des années 1960, les conseillers municipaux ne sont-ils pas unanimes. Pour certains, les besoins sont tels que les nouveaux établissements ne doivent pas se substituer aux anciens mais venir accroître le nombre de places disponibles. Pour d’autres, les fonds devraient être tout simplement consacrés à des questions plus urgentes. Du point de vue de l’administration pénitentiaire, la décision de détruire la prison de la Santé s’explique encore pour d’autres raisons. Outre l’inadaptation des bâtiments aux nouveaux objectifs (notamment la réinsertion par la formation processionnelle), c’est la sécurité même de l’établissement qui est mise en cause. En effet, la fin des années 1950 et le début des années 1960 sont marqués, sur fond de guerre d’Algérie, par deux grandes mutineries qui mettent en évidence les difficultés d’intervention en cas d’incident de ce type, difficultés que l’administration impute alors uniquement à la vétusté des locaux.
Chronique d'une destruction annoncée et toujours écartée. Maison d'arrêt de Fleury Mérogis.
Source : Internet.
Les nouveaux établissements, essentiellement dus à l’architecte Guillaume Gillet (1912-1987), s’inspirent des pénitenciers américains et misent sur une sécurité renforcée grâce à l’utilisation de l’électronique. À nouveau la région parisienne montre l’exemple. Bien que la commune d’Arpajon ait été un temps évoquée, c’est finalement Fleury-Mérogis, également située en Seine-et-Oise (aujourd’hui l’Essonne), qui est choisie pour accueillir un vaste complexe pénitentiaire (3 000 détenus) que la presse ne tarde pas à qualifier de « maison d'arrêt la plus moderne d’Europe » ou de « plus grande prison du monde ». Tandis que se construit le nouvel établissement (1964-1968), on spécule sur le devenir des emplacements respectifs de la Petite Roquette et de la Santé.
Cependant, alors que les jours de la maison d’arrêt de la rue de la Santé sont déjà comptés, on assiste à une nouvelle hausse générale en France de la population carcérale, qui fait craindre le retour aux chiffres record de l’immédiat après-guerre. Cette inflation est notamment à mettre en relation avec la guerre d’Algérie qui remplit les prisons de détenus originaires d’Afrique du Nord, soupçonnés ou reconnus membres du FLN, puis d’activistes de l’OAS. La prison de la Santé, qui en accueille bon nombre, n’est pas épargnée.
Malgré la libération des prisonniers nord-africains après la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, puis les premières amnisties fin 1964 de certains membres de l’OAS, les effectifs restent élevés, du simple fait de l’évolution démographique, puisque les enfants du « baby boom » sont désormais en âge d’être incarcérés. Dès la fin de 1965, la presse commence à annoncer que le nombre de places de Fleury-Mérogis ne sera finalement pas suffisant pour absorber l’ensemble des prisonniers jusque là accueillis au sein des deux derniers établissements parisiens.
Chronique d'une destruction annoncée et toujours écartée. Préfecture de police, Prison de la Santé. Vue arienne, rue Jean Dolent, cliché n° 13, 29 juillet 1974.
Source : Archives de la Préfecture de Police de Paris_Photothèque (tous droits réservés).
Concernant l’établissement du 14e arrondissement, des informations contradictoires sont relayées par les journaux en 1966-1967, avant que l’abandon définitif du projet de l’Éducation nationale ne vienne finalement confirmer, en janvier 1968, le maintien en service de la prison de la Santé avec la moitié de ses effectifs habituels, le reste des détenus étant transférés à Fleury-Mérogis. Il s’agit cependant là d’un nouveau sursis et l’objectif final demeure la destruction. L’entretien des bâtiments, négligé depuis l’annonce du projet de désaffectation, reste minimal pendant de nombreuses années.
Concernant les équipements (médicaux, culturels, d’accueil des familles des détenus) des travaux d’ampleur sont entrepris dans les années 1970 à 1990, mais l’administration peine à rénover en profondeur les ailes de détention. Une fois encore les efforts portent sur le quartier bas, tandis que le quartier haut se dégrade inexorablement.
Chronique d'une destruction annoncée et toujours reportée. Maison d'arrêt de la Santé, coursive du bloc D désaffecté (quartier haut, 2014).
Source : Marc Montméat.
Début 2005, des blocs de plâtres se détachent du plafond d’une cellule du bloc B alors que ses occupants sont en train de déjeuner. Le rez-de-chaussée du bloc B est immédiatement condamné avant qu’un diagnostic des charpentes métalliques des toits ne révèle les importants dégâts causés à la structure par la rouille, obligeant l’administration à faire évacuer complètement, par mesure de précaution, les blocs B et C fin mars 2006. À son tour le bloc D est fermé fin 2006-début 2007 : à l’exception du bloc A (en meilleur état du fait de la campagne de travaux réalisées au début des années 1980) qui reste en service, l’ensemble du quartier haut est désaffecté.
Chronique d'une destruction annoncée et toujours reportée. Maison d'arrêt de la Santé, cour de promenade désaffectée (quartier haut, 2014).
Source : Marc Montméat.
Alors que les menaces de destruction sont réactivées à la fin des années 1990 et au début des années 2000, notamment après la publication de rapports accablants sur l’état des prisons françaises et du livre du médecin Véronique Vasseur (Médecin-chef à la prison de la Santé, Le Cherche Midi, 2000), les détenus affirment fréquemment préférer la maison d’arrêt de la Santé à d’autres établissements, en particulier les toutes nouvelles constructions qu’ils ont tendance à voir comme des lieux, certes plus confortables, mais moins propices aux échanges, aux contacts humains.
Alors que l’administration pénitentiaire procède depuis ces dernières années à la reconstruction en périphérie d’agglomération de nombreux établissements anciens situés en centre ville, elle a donc fait le choix, pour les maisons d’arrêt de la Santé à Paris et des Baumettes à Marseille, de reconstruire en partie les établissements sur eux-mêmes, en tentant de concilier modernisation et respect de l’intérêt patrimonial de ces bâtiments devenus monuments historiques. Dès septembre 1999, Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, annonce que 1 à 2 milliards de francs vont être débloqués, dans le cadre du « Programme 4000 » pour la rénovation de cinq grandes prisons françaises, dont la Santé. C’est cependant en 2006 que le Ministère de la Justice lance officiellement les études en vue de restructurer complètement le quartier haut et de rénover le quartier bas. Il n’est plus désormais question de faire disparaître la prison de la Santé du paysage parisien.
Après quelques retards, le projet est actuellement en cours de finalisation.
Evolution de la population carcérale, nouvelles répartitions. Plan schématique du rez-de-chaussée du quartier haut avec la division en différents blocs.
Source : DAP – APIJ, Quartier haut. Emplacement cuve & divers, plan schématique du rez-de-chaussée, 1972.
La prison de la Santé connaît au cours de la seconde moitié du XXe siècle une évolution dans la manière de répartir les détenus entre les différentes sections de la détention.
Après la rénovation des quatre premières divisions entre 1952 et 1958, on assiste à un renversement : les prisonniers « bien » ou « chics » ne se trouvent plus au quartier haut mais au quartier bas. Si les archives manquent pour documenter l’organisation intérieure du premier dans ces années-là, celle du second nous est connue et évoluera très peu jusqu’à la fin du siècle. Elle est notamment marquée par un système de classement des détenus en fonction de leurs possibilités d’amendement, conformément aux principes de la réforme Amor.
Ainsi, les deux premières divisions, les plus proches de l’entrée, outre les cellules d’arrivants puis les « salles de désencombrement » rendues nécessaires par l’augmentation des effectifs dans les années 1960 (2e division), « sont affectées en priorité [aux] détenus qui nous paraissent les plus dignes d’intérêt (primaires, extradés) ou les individus à isoler pour raisons diverses ». Il s’agit d’abord des prisonniers à protéger, soit parce qu’ils sont jeunes et/ou ont commis leur première infraction, soit parce qu’ils risquent d’être victimes des autres détenus. Ces « individus à isoler pour raisons diverses » sont en fait les délinquants sexuels d’une part, les homosexuels travestis d’autre part. Cette dernière catégorie a en effet toujours bénéficié d’un régime particulier rendu nécessaire par l’application du principe de séparation des sexes ou plutôt d’interdiction implicite des relations sexuelles dans l’espace de la détention.
Parmi les populations à isoler, on trouve également, dans la première moitié des années 1960, les activistes du FLN et de l’OAS affectés aux 1re et 2e divisions puis à la seule 1re division.
Evolution de la population carcérale, nouvelles répartitions. Maison d'arrêt de la Santé, quartier des « particuliers » (2014).
Source : Marc Montméat.
La troisième division accueille, à cette époque et encore aujourd’hui, le quartier disciplinaire (rez-de-chaussée) ; à partir de 1975, le quartier de haute sécurité devenu quartier d’isolement après 1982 (rez-de-chaussée) ; l’infirmerie de l’établissement entre 1955 et 1994 (1er étage) ; et, enfin, jusqu’au milieu des années 2000, le fameux « quartier VIP », descendant du « quartier chic » des années 1930 (2e étage). Dans les années 1990, ce quartier aura fait couler beaucoup d’encre, accueillant entre 1995 et 1997, des personnalités très « médiatiques » de la délinquance financière ou politico-financière (Michel Garretta, Loïk Le Floch-Prigent, Pierre Botton, Bernard Tapie, Jacques Crozemarie…), auxquels s’ajoutent le mercenaire Bob Denard ou bien encore Paul Touvier et Maurice Papon.
La quatrième division, quant à elle, après avoir brièvement abrité l’infirmerie, est affectée aux soins psychiatriques des détenus, entre le milieu des années 1960 et le début des années 2000.
Evolution de la population pénale, nouvelles répartitions. Maison d'arrêt de la Santé, bloc du quartier haut vu depuis la cour de promenade (2014).
Source : Marc Montméat.
Alors que la détention politique n’existe plus à proprement parler, la maison d’arrêt de la Santé a, dans les années 1990 et au début des années 2000, la particularité d’accueillir, au quartier d’isolement (3e division), de nombreux terroristes internationaux : membres du GIA (groupe islamique armé), de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna) ou du FLNC (Front de libération nationale corse).
Avec la guerre d’Algérie et plus généralement le besoin de main d’œuvre étrangère dans le cadre de la Reconstruction, l’immigration nord-africaine devient plus importante. L’augmentation de la part des ressortissants de ces pays dans la population générale se traduit mécaniquement par une augmentation de leur nombre dans les prisons françaises (droits communs et activistes du FLN). Le conflit algérien rend problématique la cohabitation entre détenus « nord-africains » et « européens », selon les catégories établies alors par l’administration pénitentiaire, le problème se posant surtout dans les établissements pénitentiaires de région parisienne qui concentrent traditionnellement la majorité de la population pénale française.
En 1962, l’administration pénitentiaire décide donc de réorganiser le quartier haut : les 10 divisions disparaissent, remplacées par six sections autonomes, bientôt baptisées « blocs » et repérées par les A, B, C, D, E et F. Parallèlement, la répartition des détenus entre Fresnes et la Santé et à l’intérieur de chaque établissement évolue à partir de 1964. Elle sera, dès lors et jusque dans les années 2000, basée sur une redéfinition des catégories pénales accueillies par l’une et l’autre prisons, un partage alphabétique des prisonniers et une séparation des nationalités.
Evolution de la population pénale, nouvelles répartitions. Maison d'arrêt de la Santé, bloc du quartier haut.
Source : Marc Montméat.
La Santé est également choisie pour accueillir l’ensemble des détenus d’origine nord-africaine du département de la Seine, installés dans la moitié du quartier haut, dont une section sera réservée aux mineurs de 21 ans. L’établissement parisien est en conséquence délesté d’un nombre équivalent de prévenus de droit commun « européens » envoyés à Fresnes. Mais cette dernière ne pouvant accueillir à elle seule l’ensemble des représentants de cette dernière catégorie, la répartition se fera par ordre alphabétique du nom de famille des détenus : de A à D à Fresnes et de E à Z à la Santé.
En dépit de cette nouvelle répartition, les effectifs restent élevés (entre 3 000 et 3 500 prisonniers à la Santé), en attendant que l’ouverture des établissements de Fleury-Mérogis en 1968 ne permette de décongestionner les deux dernières maisons d’arrêt pour hommes de la Seine. Face à cette situation, le régime d’incarcération au sein du quartier haut de la Santé passe officiellement de l’enfermement individuel à l’enfermement collectif (4 détenus par cellules), le nombre maximum de places passant de 900 en 1962 à 2 000 à 1965, ce qui reste malgré tout insuffisant.
Dans le dernier tiers du XXe siècle, la proportion d’étrangers croit encore considérablement (42 % en 1976, 49,8 % en 1983, 65 % en 1999) représentant le plus fort pourcentage dans une maison d’arrêt française, et se diversifie : toujours une majorité de maghrébins (52,5 % en 1976, 52 % en 1983), mais également des ressortissants d’Afrique noire (11,7 % en 1976, 16,5 % en 1983), des Européens, soit principalement des Portugais, des Yougoslaves et des Espagnols (23,8 % en 1976, 15,5 % en 1983), des Asiatiques (4,8 % en 1976, 10,3 % en 1983) et des Américains du Nord et du Sud (6,8 % en 1976, 4 % en 1983), selon les chiffres de l’administration pénitentiaire. Au quartier haut, il ne s’agit donc plus de séparer « nord-africains » d’un côté et « européens » de l’autre, mais d’attribuer à chaque bloc de détention une aire géographique donnée, soit, en 1997, le bloc A pour l’Europe de l’Ouest, le bloc B pour l’Afrique noire, le bloc C pour le Maghreb et le bloc D pour l’Asie, l’Europe de l’Est et le « reste du monde ».
Ce « tri ethnique » basé sur l’origine et l’obédience religieuse, très critiqué dès les années 1970, prend fin au milieu des années 2000 avec la fermeture de la quasi-totalité du quartier haut. Entre 2006 et 2007, la Santé se vide progressivement : environ 600 détenus sont transférés vers les maisons centrales ou centre de détention de province pour les condamnés et vers les maisons d’arrêt de Nanterre et de Bois-d’Arcy pour les prévenus. Fin 2008, il ne reste plus que 550 prisonniers pour un peu plus de 450 places. En 2014, la population pénale est remontée à environ 700 individus, atteignant un taux de suroccupation d’environ 140 %. Le quartier VIP a été installé au premier étage du bloc A, tandis que la 4e division a été réaménagée en quartier de semi-liberté de 100 places.
Vents de révolte : grève et mutinerie. Agence diffusion presse, Gardiens massés dans l’ouverture de la porte de la maison d’arrêt de la Santé, 16 juillet 1957.
Source : BNF_P693 Qe 1123 chemise 6 mutinerie à la prison de la santé, juillet 1957.
Parmi les révoltes marquantes de cette période qui ont touché l’établissement du 14e arrondissement, il faut d’abord citer les événements du 16 juillet 1957 au matin. Tout commence par une grève totale et nationale du personnel pénitentiaire qui réclame la parité financière avec la police d’État. À la Santé, les équipes de nuit ne sont pas relevées par les équipes de jour : la prison est vide de surveillants. Plusieurs pelotons de gendarmerie mobile sont réquisitionnés pour assurer la distribution matinale du pain et du café, mais leur acheminement prend du temps. Dans un environnement aussi ritualisé que celui de la prison, les détenus comprennent rapidement que la situation n’est pas normale et profitent de la désorganisation du service. La révolte prend naissance à la 14e division du quartier haut, puis s’étend à la majorité des divisions accueillant des droits communs. Plusieurs dizaines et bientôt plusieurs centaines de prisonniers (environ 700 mutins au total) commencent par lancer divers objets à travers les barreaux de leurs fenêtres avant de briser les portes de leurs cellules, de saccager la bibliothèque, le cabinet dentaire et l’infirmerie, les ateliers et les réserves des confectionnaires.
Vents de révolte : grèves et mutineries. Aurore – Service photographique, Mutinerie à la maison d’arrêt de la Santé. Pompiers devant l’entrée, 16 juillet 1957.
Source : BNF_ P693 Qe 1123 chemise 6 mutinerie à la prison de la santé, juillet 1957.
Le directeur de la prison venu parlementer avec les mutins reçoit divers projectiles : il est blessé à la main. Certains détenus mettent le feu à leurs paillasses. Plusieurs incendies se déclarent. Les pompiers, appelés en urgence, tentent d’abord d’intervenir depuis l’extérieur avant d’être obligés de pénétrer dans l’enceinte de la prison.
Vents de révolte : grèves et mutineries. Préfecture de Police. Direction des services techniques. Section « photographie », Détenus montés sur les toits de la Santé lors de la mutinerie du 16 juillet 1957, 16 juillet 1957.
Source : Archives de la Préfecture de Police de Paris_EB 90, n° 207-9-A (tous droits réservés).
D’autres prisonniers parviennent à atteindre les toits, tentent d’ameuter les passants et se mettent à jeter des briques ou des tuiles sur les forces de l’ordre. Grâce à l’utilisation des lances à incendie et de gaz lacrymogènes, les CRS finissent par maîtriser les mutins en fin de matinée, les obligeant à réintégrer les cellules encore utilisables ou les transférant immédiatement à Fresnes.
Vent de révolte : grèves et mutineries. J. Lap, « – Vous avez passé de bonnes vacances ? ... ».
Source : « À la Santé où le calme est revenu », in Franc-tireur, 18 juillet 1957.
« Pendant 75 minutes, la Santé a été entre les mains des détenus » titre France Soir au lendemain des événements, tandis que toute la presse en reproduit minutieusement la chronologie. Le calme revient à la Santé mais la détermination des surveillants ne faiblit pas et la grève se poursuit jusqu’au 26 juillet, le service de la prison étant assuré par 500 gendarmes dans l’intervalle.
Vent de révolte : grèves et mutinerie. J. Lap, « – La rigolade est terminée hein ! ».
Source : Franc-tireur, 27 juillet 1957.
Les négociations entre les syndicats et le gouvernement sont très difficiles, sur fond de vive émotion de la population parisienne, en particulier les habitants du 14e arrondissement, qui ont entendu le vacarme, vu les colonnes de fumée et le balai des forces de l’ordre. Choquée par l’attitude des surveillants, une partie de l’opinion publique ne tarde pas à demander la suppression du droit de grève pour cette catégorie de fonctionnaires, ce qui est chose faite dès 1958 avec le nouveau statut spécial des surveillants. La fracture et l’incompréhension entre le monde pénitentiaire et la société civile s’accentuent.
Vent de révoltes : grèves et mutineries. Maison d'arrêt de la Santé, rotonde centrale du quartier bas (2014).
Source : Marc Montméat.
L’administration pénitentiaire tire également les leçons de la mutinerie de 1957 en matière de sécurité. Il ne s’agit pas seulement de réparer les cellules et les parties communes, il faut encore renforcer la solidité et repenser la configuration des bâtiments de la Santé. D’importants travaux sont immédiatement entrepris, perturbant ou interrompant les opérations en cours de restauration et de modernisation.
Vent de révolte : grèves et mutineries. Régie Industrielle des Établissements Pénitentiaires, Maison d’arrêt de la Santé. Cellule du rez-de-chaussée du quartier haut avec lits superposés, s. d.
L’état de vétusté et le manque de solidité des constructions sont par ailleurs pointés du doigt. Les prisonniers ayant réussi assez facilement à rejoindre les toits en enlevant quelques tuiles, on entreprend dès juillet 1957 la vérification systématique des toitures et la mise en place d’une garde des combles. Unique concession aux revendications des détenus, l’administration entame un processus d’amélioration des conditions de logement qui se traduit pour l’heure par une rénovation sommaire des locaux et la substitution de lits superposés aux paillasses brûlées pendant la mutinerie. Surtout, on lance en 1959 une grande opération de remplacement des portes et de renforcement de leurs encadrements.
Vent de révolte : grèves et mutineries. Maison d'arrêt de la Santé, division du quartier bas (2014).
Source : Jean-Claude Vimont.
En pleine guerre d’Algérie, ce sont cette fois les détenus politiques (notamment ceux incarcérés en raison de leurs liens avec l’OAS) qui sont à l’origine d’affrontements avec les forces de l’ordre appelées en renfort. Le 21 octobre 1961, neuf prisonniers s’opposent à leur transfert de la 6e à la 1re division spécialement aménagée pour accueillir les politiques. Le 30 novembre 1961, plusieurs activistes de la « Six » manifestent violemment leur soutien à l’ancien commissaire de police et député poujadiste, membre du Front national pour l’Algérie française Jean Dides (1915-2004) qui refuse de quitter la Santé pour rejoindre un centre d’internement administratif.
Après cette nouvelle émeute, la sécurité de l’établissement, assurée à l’intérieur par 300 surveillants, est renforcée à l’extérieur par la présence constante à proximité d’un escadron de gardes mobiles. Le climat continue en effet à être tendu. Après la libération des militants du FLN, conformément aux accords d’Évian, les cellules qu’ils occupaient aux 5e, 7e, 9e et 12e divisions du quartier haut sont affectées à partir de mars 1962 aux activistes de l’OAS qui perdent avec ce transfert leur statut de détenu politique et ses avantages. En signe de protestation, ils engagent une grève de la faim. Lorsque la nouvelle de l’arrestation du général Raoul Salan (1899-1984) leur parvient le 20 avril 1962 au soir, la tension monte d’un cran au quartier haut. Malgré un important service d’ordre déployé aux abords de la Santé en prévision de l’arrivée de Salan, une centaine de manifestants s’affrontent boulevard Arago aux cris de « Salan au pouvoir ! » ou « Algérie française ! » d’un côté et « OAS Assassins ! » ou « Le fascisme ne passera pas ! » de l’autre. Les activistes du quartier haut hurlent à leur tour, et « à travers les grilles brandissent des journaux enflammés qu’ils jettent dans la cour ». Aux environs de 23h, le tohu-bohu s’intensifie à l’intérieur des murs de la Santé avant de se transformer en véritable mutinerie, les droits communs se joignant aux politiques (800 mutins selon les rapports officiels). Le scénario de 1957 se reproduit avec des dizaines de portes enfoncées, des détenus qui se répandent dans les couloirs et parviennent à incendier des paillasses à la 3e division, avant que les forces de l’ordre, bombardées de projectiles divers, ne réussissent à les arrêter trois heures plus tard.
Une vingtaine de blessés (une quinzaine de détenus et cinq gendarmes) sont à dénombrer et les dégâts matériels sont importants : un décret en date du 16 juillet 1962 débloque une somme de 1 375 000 francs pour faire face aux réparations.
Vent de révolte : grèves et mutineries. Maison d'arrêt de la santé, angle d'un bâtiment du quartier haut (2014).
Source : Jean-Claude Vimont.
L’été 1967 voit le déclenchement d’une nouvelle mutinerie qui touche encore une fois le quartier haut. La prison connaît, début août, deux journées d’effervescence causées par une très forte chaleur, rendues encore plus insupportables par l’encombrement exceptionnel des cellules. Les 2 700 détenus du quartier haut (3 120 au total à cette date) répartis dans 572 cellules se plaignent aux surveillants et à la direction, demandent à n’être que quatre contre six ou sept. Ayant entamé une grève de la faim, ils provoquent, entre 22h et 4h du matin, « un chahut monstre, hurlant, frappant sur les portes à l’aide de tabourets et jetant par les fenêtres chaises et paillasses », après que certains soient parvenus à desceller les barreaux de leurs fenêtres. L’ordre est rétablit grâce à l’intervention des forces de police. Les protestations des prisonniers sont finalement entendues, l’administration procédant en urgence au désencombrement de l’établissement.
Vent de révolte : grèves et mutinerie. Maison d'arrêt de la Santé, cours de promenade (quartier haut, 2014).
Source : Jean-Claude Vimont.
Parallèlement, le mécontentement du personnel pénitentiaire s’accentue. Les révoltes du début des années 1970 sont aussi celles des surveillants et, eux aussi, ont leurs revendications. C’est dans ce contexte explosif qu’à la Santé, le détenu Jean Lacombe, gréviste de la faim, proteste le 26 novembre contre la circulaire Pleven et adresse un courrier à la presse. Le 1er décembre le mouvement de grève de la faim se propage à travers le quartier haut. Le 10, 200 détenus se mutinent alors que les surveillants se sont mis en grève : portes enfoncées, ateliers incendiés et gendarmes mobilisés pour rétablir l’ordre.
Sous la pression des événements, le gouvernement engage des réformes, tandis que la contestation s’organise : à l’extérieur, le Comité d’action des prisonniers, fondé en novembre 1972 ; à l’intérieur, des Comités de détenus. Les militants parisiens sont particulièrement actifs, les uns vendant des journaux devant l’entrée de la prison du 14e arrondissement, les autres faisant circuler de cellules en cellules des tracts recopiés à la main. « Le mouvement sera organisé partout selon le modèle de la Santé » annonce l’un d’eux. Les pensionnaires de la vieille prison réclame une amélioration du confort, des parloirs libres avec les enfants et les familles, des pauses plus nombreuses, davantage de lecture et de séances de cinéma, la création d’une salle de télévision ou bien encore le droit à la personnalisation de leurs cellules.
Vent de révolte : grèves et mutineries. Les mutins de la Santé ont tenu deux heures, 1974.
Source : « À la Santé au matin du procès », in L’Aurore, 27 juin 1974.
À l’été 1974, les prisons françaises s’embrasent à nouveau. La Santé est loin d’être la plus touchée, mais connaît tout de même une petite mutinerie le 26 juin au matin, une trentaine de prisonniers refusant, à l’issue de la promenade, de rejoindre leurs cellules et réclamant une entrevue avec le directeur pour lui faire part de revendications. L’incident se règle au bout de deux heures et n’occasionne que quelques bousculades, tandis qu’une lettre résumant les demandes des détenus est transmise au directeur. Cependant l’atmosphère reste électrique. Les surveillants cessent le travail, estimant que le service ne peut s’effectuer normalement et que leur sécurité n’est plus assurée.
Vent de révolte : grèves et mutineries. Maison d'arrêt de la Santé, intérieur d'une cellule du quartier d'isolement (ancien quartier de haute sécurité, 2014).
Source : Marc Montméat.
À partir de 1975, le gouvernement tient « le double langage de l’ordre et des réformes », procédant à l’humanisation des conditions de détention pour la majorité des prisonniers et se dotant dans le même temps de nouveaux moyens de répression pour mater les détenus jugés dangereux ou insubordonnés. Déjà en 1967, avait été instituée la catégorie des « détenus particulièrement surveillés » (DPS). Une circulaire du 30 septembre 1975 autorise la création dans les maisons d’arrêt de quartiers de sécurité renforcée, plus souvent appelés quartiers de haute sécurité. À la Santé, il est aménagé au quartier bas, au rez-de-chaussée de la 3e division, à côté du quartier disciplinaire, avec lequel il partage le dernier promenoir cellulaire. Chaque cellule est « très petite, les murs ripolinés en vert, […] [avec] blindage des barreaux, double grille à la porte, un lit-paillasse, une table murale de 60 centimètres sur 80, un petit lavabo, un W.-C. dans l’angle de la porte, un placard mural, deux draps, trois couvertures, c’est tout. » (Roger Knobelspiess, QHS. Quartier de Haute Sécurité, France Loisirs, 1980, p. 79).
Vent de révolte : grèves et mutineries. Maison d'arrêt de la Santé, quartier d'isolement (ancien quartier de haute sécurité, 2014).
Source : Marc Montméat.
Dès son ouverture le quartier de la Santé accueille à plusieurs reprises les prisonniers les plus célèbres du moment dont Jacques Mesrine (1936-1979), Roger Knobelspiess (né en 1947) ou François Besse (né en 1944), les deux premiers devenant rapidement les leaders de la lutte contre les QHS, vécus comme une torture physique et morale. En effet, ceux qui sont soumis à ce régime sont entièrement isolés, constamment surveillés et privés des activités communes de la prison. Soutenus par le Comité d’action des prisonniers et certains intellectuels dont le juriste Robert Badinter (né en 1928) lui-même, les détenus dénoncent en outre le caractère arbitraire des placements en QHS, tant du point de vue des motifs qui y conduisent que de la durée de la mesure.
De son côté, Mesrine adresse en mars 1976 une lettre à Hélène Dorlhac, secrétaire d’État à la condition pénitentiaire depuis la création du poste en 1974 : « Traités en chien, nous réagirons en chiens »; et témoigne de son incarcération à la Santé en février 1977 dans les pages de Paris Match. Alors en cavale après son évasion, « l’ennemi public numéro un » demande à nouveau la suppression des QHS dans une lettre ouverte envoyée aux journaux en novembre 1978.
Malgré les pétitions, les grèves de la faim, les automutilations et les suicides partout en France, le gouvernement répond par un nouveau tournant sécuritaire et répressif, instituant les peines de sûreté incompressibles pour les crimes les plus graves (loi du 22 novembre 1978), limitant enfin les permissions de sortie et la libération conditionnelle (loi « Sécurité et Libertés » du 2 février 1981). La situation change cependant avec l’élection de François Miterrand à la présidence de la République. Robert Badinter, nommé ministre de la Justice en 1981, abroge la loi « Sécurité et Libertés » et décide la suppression des QHS par une circulaire en date du 26 février 1982.
Mais si ce régime extrêmement rigoureux de détention disparaît, les locaux des QHS demeurent et continuent à être affectés, avec un règlement assoupli, aux détenus dangereux ou susceptibles de s’évader. À la Santé, le QHS devient, sans réelle modification des cellules, « quartier d’isolement » (QI).Toujours en service au rez-de-chaussée de la 3e division, il a notamment accueilli en 2010 Antonio Ferrara (né en 1973) pour le procès en appel de sa spectaculaire évasion de la prison de Fresnes en 2003.
Quelques évasions retentissantes. Le Trou de Jacques Becker (1960).
Source : Internet.
Parmi les prisonniers incarcérés à la prison du 14e arrondissement dans la seconde moitié du XXe siècle, certains ne manqueront pas de faire preuve d’imagination en matière d'évasion.
Pour ce qui est de la voie des profondeurs, les égouts, on l’a vu, ont permis la première évasion réussie avant que des travaux ne viennent rapidement et définitivement remédier à cette faille dans la sécurité de l’établissement. Souvent utilisés par les candidats à l’évasion comme accès ou comme dépôt de fournitures utiles, les nombreux sous-sols de la prison ont longtemps constitué une zone sensible dont la surveillance n’a cessée d’être améliorée à chaque nouvel incident, comme par exemple à la fin des années 1940. Certains détenus tenteront également, toujours en vain, de creuser des tunnels depuis les cellules du rez-de-chaussée : « Une évasion a été ratée de très peu dans une cellule de haute surveillance où, pendant trois mois, on a creusé le sol, fait disparaître la terre dans les W. C. et foré un tunnel qui aboutissait à quelques centimètres en dehors du mur de ronde. » Cette évasion ratée de 1947, c’est celle de l’ancien détenu José Giovanni (1923-2004) qui fournira la trame de son premier roman, publié en 1957 et intitulé Le Trou, dont Jacques Becker réalisera en 1960 l’adaptation cinématographique.
Quelques évasions retentissantes. Le plan de la fuite, évasion de Jacques Mesrine et de François Besse.
Source : Internet.
En matière de coup de force, c’est aux braqueurs Jacques Mesrine et François Besse que l’on doit l’évasion la plus violente de l’histoire de la Santé. Auteurs chacun de plusieurs évasions réussies et considérés comme particulièrement dangereux, tous deux se retrouvent en 1978 au QHS de la Santé. Le 8 mai, alors que Mesrine reçoit la visite de l’un de ses avocats, Maître Christiane Giletti, il parvient à éloigner le surveillant en lui demandant d’aller chercher une pièce de son dossier dans la cellule de Besse, et, montant subitement sur la table, ouvre une bouche d’aération. Des complices de l’intérieur (gardiens ou avocats) ont placés là trois pistolets, une corde, un grappin et deux bombes lacrymogènes. Mesrine sort du parloir, rejoint Besse qui a réussi à prendre le dessus sur le surveillant qui l’accompagne, et libère un troisième détenu du QHS, Carman Rives, condamné pour meurtre. Les trois hommes forcent ensuite les surveillants à leur remettre leurs uniformes. Ainsi déguisés, ils gagnent la cour de promenade de la 1re division et, menaçant de leurs armes deux gardiens et quelques ouvriers, ils les contraignent à transporter pour eux jusqu’au mur d’enceinte, à l’angle de la rue de la Santé et de la rue Jean Dolent, l’échelle dont ils se servent pour leur travaux. Une fois la sentinelle de la guérite du chemin de ronde désarmée, il ne leur reste plus qu’à franchir la muraille. Mesrine et Besse atteignent la rue mais deux gardiens de la paix en faction accourent. Rives ouvre le feu. Il est abattu au pied même de la plaque commémorative du pan coupé. Après avoir neutralisé 14 personnes, ceux que la presse surnomme « l’Ennemi public numéro un » et « l’Anguille » parviennent finalement à atteindre le boulevard Arago, arrêtent un automobiliste et s’enfuient au volant de sa voiture.
Quelques évasions retentissantes. Maison d'arrêt de la Santé, cour de promenade individuelle du quartier disciplinaire (2014).
Source : Marc Montméat.
Même si la configuration du promenoir n’est pas ici en cause, il est probable que cette évasion très médiatisée soit à l’origine de la décision de couvrir les courettes de grillages métalliques, comme mesure de renforcement de la sécurité du QHS. C’est sans doute également de cette époque que peut être datée l’installation de miradors intérieurs aux angles du mur d’enceinte.
Quelques évasions retentissantes. Maison d'arrêt de la Santé, cour de promenade individuelle du quartier disciplinaire (2014).
Source : Marc Montméat.
Dans le dernier tiers du XXe siècle, l’administration doit faire face à des tentatives d’évasions utilisant des moyens technologiques de plus en plus sophistiqués. À la Santé, on retient celle du braqueur Michel Vaujour (né en 1951), surnommé le « roi de la cavale » avec cinq évasions réussies à son actif. Alors qu’il est incarcéré depuis 1981, il parvient le 26 mai 1986 à gagner le toit d’une des divisions du quartier bas et à s’agripper à l’hélicoptère, détourné un peu plus tôt et piloté par sa femme Nadine, qui a pris secrètement des cours de pilotage pendant dix mois. Sensationnelle et photogénique, l’évasion fait la couverture du n° 1932 de Paris Match. Cependant, contrairement à une idée couramment répandue, cette évasion n’inaugure pas le genre en France : le 27 février 1981, Gérard Dupré et Daniel Beaumont se sont envolés de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. L’évasion de Vaujour accélérera en tout cas la généralisation des filets antiaériens, destinés à empêcher tout atterrissage d’hélicoptères ou hélitreuillage.
La peine de mort dans les murs (1939-1972). L'ancienne guillotine ayant servi jusqu'en 1848.
Source : Agence Meurisse, Gallica.
Après plusieurs décennies de débats parlementaires, le Sénat soumet en 1936 une proposition de loi relative à la suppression de la publicité des exécutions capitales à la Chambre des députés. Les nouvelles discussions aboutissent à la promulgation du décret-loi du 24 juin 1939 : désormais les exécutions se dérouleront « dans l'enceinte de l'établissement pénitentiaire » sous la direction d’Henri Desfourneaux qui a pris la suite, comme exécuteur des hautes œuvres, d’Antoine Deibler mort le 2 février 1939. Le 2 juin 1939, le cambrioleur et double assassin Max Bloch est le dernier condamné à mort à être exécuté boulevard Arago. La guillotine s’élève pour la première fois dans la cour d’honneur de la prison de la Santé le 15 mars 1940 pour l’exécution des frères Vocoret.
Parallèlement, le combat des abolitionnistes se poursuit.
La peine de mort dans les murs (1939-1972). Maison centrale de Clairvaux : détenus dans la salle de discipline, Henri Manuel, 1931.
Source : ENAP.
En septembre 1971, l’affaire Buffet-Bontems suscite l’émotion de l’opinion publique. Au cours d’une tentative d’évasion à la maison centrale de Clairvaux, Claude Buffet, condamné à perpétuité pour meurtre, et son compagnon de cellule Roger Bontems, qui purge quant à lui une peine de vingt ans pour agression à main armée, prennent en otage et égorgent une infirmière et un gardien. C’est Buffet qui a tué. Cependant, lors du procès des deux hommes, la Cour d’assises de l’Aube ne reconnaît pas de circonstances atténuantes à Bontems qui lui aussi est condamné à mort. Tous deux sont exécutés au matin du 28 novembre 1972, dans la cour de la prison de la Santé. Robert Badinter, défenseur de Bontems, qui n’a pu lui éviter la peine capitale et qui a assisté à l’exécution, est très marqué par cette expérience. Il ne cessera dès lors de lutter en faveur de l’abolition, évitant la mort à plusieurs criminels dans les années qui suivent sa brillante plaidoirie contre la peine capitale en 1977 à l’occasion du procès du meurtrier Patrick Henry, finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
En 1978, le quartier des condamnés à mort de la Santé est « transféré dans le plus grand secret à l'infirmerie annexe de la prison de Fresnes », « les quatre cellules réservées aux condamnés à mort […] [redevenant] des cellules normales » (Philippe Bouvard, « La guillotine s'installe en permanence à Fresnes. On ne mourra plus à la Santé... », in France Soir, 9 mars 1978, p. 1 et 12). La double exécution de 1972 aura ainsi été la dernière qu’ait connu la capitale.
Lorsque François Mitterrand, abolitionniste déclaré, accède à la présidence de la République française en 1981, il appelle Robert Badinter au ministère de la Justice. La loi portant abolition de la peine de mort en France est promulguée le 9 octobre 1981.
Les nouveaux espaces de la réinsertion. Maison d'arrêt de la Santé, centre scolaire (2014).
Source : Marc Montméat.
Avec la réforme Amor, la réinsertion sociale du condamné devient l’objectif principal de la peine privative de liberté. La circulaire du 29 juin 1945 établit, dans chaque établissement, un service social pénitentiaire chargé principalement du suivi des prisonniers, de l’aide aux familles nécessiteuses, de la liaison avec l’aumônier, les visiteurs de prisons et les œuvres s’occupant du placement des libérés, même aussi de la surveillance de l’hygiène de la prison et de l’assistance au personnel pénitentiaire. Il est prévu en outre que la prison de la Santé sera le lieu de formation national des assistantes sociales directement recrutées par l’administration pénitentiaire. Le service propre de l’établissement parisien, géré par quatre personnes, est immédiatement installé au quartier haut dans quelques cellules réaménagées.
L’obligation faite à l’administration d’offrir au détenu les moyens de son instruction et de sa formation professionnelle entraîne, toujours en 1945, la reconversion de quelques autres cellules du quartier haut (vraisemblablement dans une des divisions du futur bloc D) à usage de quatre bibliothèques – la Seconde Guerre mondiale a eu raison de l’ancien fonds – et de plusieurs salles de cours mises à la disposition des visiteurs de prison qui viennent y assurer des formations.
Accessible depuis le guichet d’entrée du quartier, le « centre scolaire » abrite une salle polyvalente de 200 places (également utilisée pour le service religieux) et des salles de cours et d’activités au premier étage, des ateliers modernes au second, le rez-de-chaussée restant un espace de circulation. Dans les années 1980, les prisonniers avaient la possibilité d’intégrer un atelier informatique (saisie de données), un atelier de bijouterie fantaisie ou bien encore un atelier de montage de matériel médical (électrodes, perfusions…) pour l’Assistance publique. Les salles d’activités du premier étage accueillaient notamment en 2002 des ateliers audiovisuels ou de peinture.
Les nouveaux espaces de la réinsertion. La médiathèque Robert Badinter.
Source : DAP.
De son côté, la bibliothèque a été agrandie à une date inconnue, passant de quatre à sept cellules au bloc D. En 1993, avec l’arrivée de bibliothécaires bénévoles de l’association Culture et bibliothèque pour tous, la gestion du service est rationalisée. Le transfert du bloc D au bloc B de la bibliothèque centrale date vraisemblablement de cette époque. Suite à l’évacuation de la majeure partie du quartier haut en 2006, un projet de réaménagement complet est lancé. Une médiathèque moderne de 5 000 livres occupe désormais une partie de la 6e division. Elle a été inaugurée le 11 octobre 2010 par Robert Badinter à qui elle doit son nom.
Les nouveaux espaces de la réinsertion. Maison d'arrêt de la Santé, intérieur d'une cellule décorée (quartier haut, 2014).
Source : Marc Montméat.
En matière d’assouplissement du régime de détention, le sport, la radio, la presse entrent progressivement en prison après la Seconde Guerre mondiale. Le décret du 23 mai 1975 autorise les détenus à garder en cellule un poste de radio personnel, tandis que la télévision peut être regardée collectivement avant d’être à son tour autorisée en cellule en décembre 1985. Les promenades s’allongent. Mais pour ce qui est de la pratique d’activités physiques et sportives, il faut reconnaître qu’il est relativement difficile de créer des locaux adaptés au sein de la vieille prison du 14e arrondissement. Une salle accueille toutefois des tables de ping-pong au premier étage du centre scolaire et quelques cellules ont été converties en salles de musculation, mais le manque de place empêche d’aménager de véritables terrains de sport et les parties de football se déroulent sur le ciment des cours de promenade.
À partir des années 1970, l’administration commence à tolérer la personnalisation des cellules par les prévenus, avant de l’autoriser complètement en 1983 pour l’ensemble des détenus, y compris les condamnés. Si les cellules de la Santé ont gardé leur configuration générale du XIXe siècle, leurs murs se sont parfois couverts de papiers peints improvisés ou leurs étagères remplies d’objets les plus divers.
Un meilleur accueil pour les familles de détenus. Maison d'arrêt de la Santé, couloir menant aux parloirs (2014).
Source : Jean-Lucien Sanchez.
Parmi les autres mesures visant à l’humanisation de la détention, figure la préservation du lien des détenus avec leurs familles et leurs proches, celle-ci étant en effet désormais perçue non plus comme une occasion pour le libéré de retomber dans la délinquance en côtoyant à nouveau son milieu d’origine, mais comme un gage de réinsertion sociale à l’issue de la peine grâce au maintien des solidarités familiales.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, les détenus réclament de façon récurrente une augmentation du nombre de visites et une amélioration des espaces prévus pour ces rencontres : les parloirs.
En effet, à la fin des années 1950, sont encore en usage les dispositifs imaginés par Dabernat à la fin du XIXe siècle – sur le modèle de ceux de Vaudremer –, à l’emplacement de l’ancienne chapelle des condamnés (rez-de-chaussée et premier étage de la « Six »), des parloirs déjà considérés comme inhumains à l’époque. Aucun contact physique n’est possible, tandis que règne un brouhaha général. Les parloirs des avocats paraissent plus modernes. Surtout, ils permettent de se parler directement.
En 1957, un système de type « hygiaphone » est testé à la 2e division du quartier bas. En décembre 1975, alors que ce dispositif est pourtant critiqué depuis longtemps, on persiste encore en l’introduisant au quartier haut.
Un meilleur accueil pour les familles de détenus. Maison d’arrêt de la Santé, salle d'attente des parloirs (2014).
Source : Jean-Lucien Sanchez.
Améliorer les parloirs, c’est aussi mieux accueillir les familles, veiller à faire peser le moins possible sur elles le poids de la détention. L’administration réfléchit à la création de nouveaux espaces d’accueil au début des années 1980. Mais le projet n’aboutit pas. Les familles continuent à attendre dehors mais, en attendant mieux, deux abris bus ont été installés pour les protéger des intempéries.
Le décret du 26 janvier 1983 ayant supprimé les dispositifs de séparation, il s’agit de repenser totalement l’organisation des quelques 400 parloirs (contre 40 parloirs de famille en 1936) que compte la Santé fin 1984. Modernisation, centralisation et différenciation des circulations sont les principes adoptés pour cet important aménagement. La seconde moitié des années 1980 voit ainsi l’ouverture, à l’opposé de l’entrée principale, d’une seconde entrée sur la rue Messier, destinée à l’accueil des familles. Afin de guider le flux des visiteurs un couloir d’accès délimité par deux grilles métalliques permet de traverser le chemin de ronde et de rejoindre le bâtiment des parloirs. Il n’est plus nécessaire désormais de traverser la détention. Les parloirs modernes prennent la forme de petites cabines dans lesquelles les détenus peuvent retrouver leur famille autour d’une table.
La santé à la Santé. Maison d'arrêt de la Santé, le SMPR (2014).
Source : Jean-Lucien Sanchez
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la réforme Amor pose en principe la mise en place, dans chaque établissement, d’un service médico-psychologique. À la Santé est aménagé à la 4e division une infirmerie de 20 lits et un laboratoire, ainsi que la réfection de deux cellules capitonnées pour les détenus agités. La promiscuité régnant, l’accent est mis toutefois sur le dépistage des maladies. Plusieurs cellules du quartier haut sont ainsi sommairement reconverties pour accueillir un cabinet médical pour soins aux détenus tuberculeux et deux cabinets de prophylaxie vénérienne.
À l’occasion de la rénovation du quartier bas, l’administration décide en 1954 de transférer l’infirmerie de la 4e à la 3e division. Les travaux sont réalisés en 1955. Les locaux médicaux (dont un cabinet dentaire) occupent désormais les deux étages supérieurs de la 3e division. En 1962, un bloc opératoire est installé au premier étage dans quatre cellules reconverties mais celui-ci n’ayant jamais servi est démonté et transféré à Poissy dès 1964, sacrifié à la nécessité absolue de récupérer un maximum de cellules (ce sera une salle de malades de quatre lits) pour loger une population pénale qui atteint de nouveaux records.
Mais le grand chantier de cette fin des années 1950 et de la première moitié des années 1960, c’est le renouveau de la prise en charge des malades mentaux. En effet, l’expérience des années 1930 a fait long feu et les locaux mêmes de l’annexe psychiatrique ont été affectés dès le lendemain de la guerre à la création d’un quartier disciplinaire. Grâce à l’énergie des médecins Georges Fully et Paul Hivert (psychiatre attaché à la prison du 14e arrondissement), le service renaît de ses cendres et la Santé redevient un site pilote dans le domaine.
La réouverture de l’annexe psychiatrique est officiellement déclarée le 1er janvier 1961 et la mise en service a lieu le 10 janvier sous la direction du Dr. Hivert.
La santé à la Santé. Maison d'arrêt de la Santé, le SMPR.
Source : DAP.
Le choix final de l’administration se porte cependant sur la 4e division dont les deux premiers niveaux sont affectés au service neuro-psychiatrique du Dr. Hivert. Le Centre médico-psychologique (CMPR) ouvre ses portes, probablement au début de 1965. Il s’agit pour l’équipe médicale d’assurer le dépistage mental systématique des détenus à leur arrivée ; puis l’examen, l’observation, la surveillance médicale et le traitement des prisonniers signalés par le médecin généraliste en cours d’incarcération (non seulement à la Santé mais aussi dans les autres établissements de région parisienne et des régions qui ne disposent pas encore d’un centre semblable) ; le dépistage enfin des alcooliques dangereux. Le service a également une mission d’orientation des cas les plus sérieux vers les établissements spécialisés de Château-Thierry ou de Haguenau.
La capacité totale du centre est de 87 lits dont 71 en cellules individuelles et 16 en 4 chambres.
La réussite de ce premier CMPR expérimental (avec celui de Lyon) entraîne la création officielle de ce type de structure et l’ouverture de quatre nouveaux services : Rennes, Varces, Marseille et Poitiers (circulaire du 30 juillet 1967). La circulaire « Santé Justice » du 28 mars 1977, préparée par Simone Veil, alors ministre de la Santé, généralise ce type de prise en charge : le parc pénitentiaire français compte désormais 17 CMPR. Dans la décennie suivante, on assiste à un glissement progressif de la gestion de ces centres – rebaptisés Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) par le décret du 14 mars 1986 – de l’administration pénitentiaire vers le secteur hospitalier. Aboutissement de cette évolution et de l’action coordonnée du ministère de la Justice (Pierre Méhaignerie) et du ministère des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville (Simone Veil et Philippe Douste-Blazy), la loi du 18 janvier 1994 entérine l’intervention de la psychiatrie publique dans les prisons.
Le mouvement est en réalité plus général : c’est désormais l’ensemble de la prise en charge médicale des détenus qui est confiée à l’hôpital public, même si elle a toujours lieu à l’intérieur des murs des établissements pénitentiaires.
La santé à la Santé. Maison d'arrêt de la Santé, l'UCSA (2014).
Source : Jean-Lucien Sanchez.
En 1996-1997, de grands travaux sont entrepris pour moderniser le service médical de la prison de la Santé avant l’installation de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, en conformité avec la nouvelle loi. L’infirmerie quitte le 1er étage de la 3e division pour les 1er et 2e étages de la « Six » entièrement rénovée pour l’occasion. Hasard historique, après une parenthèse d’un siècle, la toute nouvelle Unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA), baptisée du nom de Georges Fully et mise en service en février 1997 sous la direction du Pr. Sicard, en tant qu’antenne du service interne de l’hôpital Cochin, vient s’installer à l’emplacement initialement choisi par Vaudremer et l’administration pénitentiaire pour la première infirmerie spéciale puis l’infirmerie centrale des prisons de la Seine, toutes deux détruites lors de la conversion cellulaire de l’établissement à la fin du XIXe siècle.
La dernière opération majeure relative aux services médicaux de la prison de la Santé concerne cette fois le SMPR qui a été déplacé au milieu des années 2000 de la 4e à la 3e division pour permettre la création du quartier de semi-liberté. Ces nouveaux aménagements ont ainsi été l’occasion de nouvelles rénovations au quartier bas.