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Avant le procès

La Haute Cour de Justice fut créée par l’ordonnance du 18 novembre 1944 pour juger  « les personnes qui avaient participé à l'activité des gouvernements de l'État français du 17 juin 1940 à août 1944 ». Ses membres furent désignés par l’Assemblée consultative en attendant de nouvelles élections.

Une commission d’instruction présidée par le magistrat Bouchardon encadrait les travaux de dix juges. Le très expérimenté, Pierre Béteille, était chargé notamment des dossiers Pétain et Laval, et avait entre 1936 et 1939  instruit les affaires des ligues dissoutes, de la Cagoule et de Je suis partout.

 Le 9 décembre 1944 : le procureur général Mornet déposa un réquisitoire introductif contre 70 inculpés (nombre qui fut porté ensuite à 108), et le 5 avril 1945, on annonça l’ouverture d’un procès par contumace (en l’absence de l’accusé). Mais trois jours à peine après la rédaction de l’acte d’accusation, le 26 avril 1945, Pétain fut remis aux autorités françaises et incarcéré au fort de Montrouge. L’instruction se déroula du 8 mai (premier interrogatoire par le juge Bouchardon) au 19 juin 1945. Les 24 jurés furent tirés au sort le 20 juillet ; le procès de Pétain pouvait commencer.

« En ce juillet 1945, un été magnifique régnait sur Paris, libéré depuis presque un an. Chaque jour, les déportés rentraient dans un état effroyable. A l’hôtel Lutétia, j’allais chercher mes amis, mes camarades que j’avais peine à reconnaître. Plus d’une fois, les larmes le vinrent aux yeux en retrouvant un ami cher. Chaque jour, on découvrait de nouveaux charniers de la Milice, on n’osait pas regarder les photographies que l’on vous mettait sous les yeux. On apprenait l’assassinat de Jean Zay, de Georges Mandel, de Victor Basch et de sa femme âgée de 85 ans. La France avait la révélation de l’enfer. C’est dans cette atmosphère, dans cette tristesse, où la France ne connaissait plus que des morts, des héros ou des traîtres, que le lundi 23 juillet 1945, sous la présidence de M. le premier président Mongibeaux, s’ouvrait le procès du maréchal Pétain. » Jean Pierre Bloch, juré parlementaire au procès Pétain, « Un témoignage sur le procès du maréchal Pétain”. Le Monde, 25 mai 1976.

François Mauriac dans Le Figaro, « le procès d’un seul homme », édition du 24 juillet 1945.

« Le maréchal Pétain a librement assumé, devant Dieu et devant les hommes, des responsabilités dont il n'appartient à personne de le décharger. Mais nous serions des hypocrites si, avant de mêler nos voix à toutes celles qui l'accusent, chacun de nous ne se demandait : [...] De quel coeur ai-je accueilli l'armistice ? [...] Si nous avons mérité d'avoir Pétain, nous avons mérité aussi, grâce à Dieu, d'avoir de Gaulle : l'esprit d'abandon et l'esprit de résistance [...] Mais chacun de ces deux hommes représentaient infiniment plus que lui-meme, et puisque le plus modeste d'entre nous partage la gloire du premier résistant de France, ne reculons pas devant cette pensée qu'une part de nous-mêmes fut peut-être complice, à certaines heures, de ce vieillard foudroyé. »

Albert Camus, dans Combat du 2 novembre 1944,« Pour quelques Français encore, en effet, Pétain avait de bonnes intentions et il n'était pas responsable des atrocités qui se sont commises sous son gouvernement. Tout cela renforce encore ce vieux thème de propagande vichyste : la politique de Vichy était double. La réponse est simple. En admettant que cette politique fût double, elle était tout de même un crime. Et le fait même qu'elle parût quelquefois être double en a fait un crime plus grand que la simple trahison. Car aujourd'hui encore, nous semons les conséquences de cette immense confusion que le régime de Vichy a introduite partout en France. […] C'est la fiction de légalité que Vichy a créée qui nous force à substituer la justice morale à la justice de droit ce qui donne des arguments à ceux qui devraient maintenant se taire pour toujours. »