3. Arrivée aux îles du Salut

Plan du chapitre

L’île du Diable, plan daté de 1855

Lorsque le navire Ville de Saint-Nazaire stationne en rade de l’île Royale, Dreyfus n’est pas débarqué en même temps que les autres condamnés par la noria de canotiers. Le directeur de l’administration pénitentiaire et le commandant du pénitencier n’ont pas eu le temps de mettre en place les infrastructures indispensables à leurs yeux pour assurer l’accueil du déporté.

Plan anonyme des îles du Salut présentant l'état des constructions en 1872

Un câblogramme daté du 10 février (mais reçu le 16 en Guyane) prévient le gouverneur, M. Charvein, du changement de statut des îles du Salut et de l’arrivée imminente de Dreyfus : « Loi déclare Iles du Salut lieux de déportation dans enceinte fortifiée. Déporté Dreyfus sera dirigé sur Guyane par Ville de St Nazaire, vingt-deux février. Préparez installation île St Joseph ou îlot du Diable. Situation du condamné, tentatives corruption et autres qui seront sûrement faites, choisir surveillants absolument sûrs. Instructions suivent. », suivi d’un laconique : « Je ne puis vous indiquer en détail les mesures qu’il convient de prendre en la circonstance, dans l’ignorance où je suis du lieu que vous aurez choisi ». Le gouverneur et le directeur de l’administration pénitentiaire, M. Guégan, tranchent en faveur de l’île du Diable, pour laquelle des instructions de travaux à effectuer sont données dès le 17 février.

Zoom sur l’île du Diable

À cette époque, l’île du Diable n’est plus un lieu d’internement au sens strict. Certes, elle a accueilli dans les années 1850 quelques prisonniers politiques et des constructions y tiennent toujours debout. Mais elle ne sert plus que de lieu d’isolement pour les bagnards lépreux, livrés à eux-mêmes. Il a donc fallu de toute urgence transférer ces derniers, brûler leurs cases, remettre en état la « case » qui devra accueillir le déporté et aménager l’île de manière générale.

Habitation des surveillants célibataires de l’île Royale

Dreyfus demeure à bord du Ville de Saint Nazaire pendant trois ou quatre jours, par crainte sans doute qu’il puisse avoir des contacts avec les autres détenus et peut-être organiser avec eux sa captivité, voire même une évasion. Il souffre énormément de cette attente inexpliquée : « Après une traversée de quinze jours dans une cage, je suis resté d'abord en rade des îles du Salut pendant quatre jours sans monter sur le pont, par une chaleur torride. Mon cerveau se liquéfiait, tout mon être se fondait dans une désespérance terrible. »

Canotiers aux îles du Salut (années 1930)

Acheminer hommes et matériaux par la passe située entre les îles Royale et Diable est une opération périlleuse encore de nos jours, même pour des marins aguerris possédant des bateaux bien plus maniables et puissants. On peut imaginer le danger que représentaient, à la fin du XIXe siècle, le trajet et le débarquement sur un ponton battu par les flots capricieux. Plusieurs naufrages sont mentionnés dans les archives, les chaloupes peinent devant la « mer démontée » dont témoigne M. Guégan. Et même la goélette réquisitionnée exceptionnellement doit renoncer au transport des matériaux de construction.