2. Vers la Guyane

Plan du chapitre

Photographie des îles du Salut vues depuis l’ouest

Le trajet de Dreyfus vers la Guyane s’inscrit dans le mouvement de reprise de la transportation de la fin du XIXe siècle, qui voit également la mise en place des convois de relégués. Mais il n’a rien d’un condamné de droit commun (transporté ou relégué) « normal », il n’embarque pas sur l’aviso de l’État depuis les quais de Saint-Martin-de-Ré avec les autres bagnards de son convoi, mais séparément, à bord d’une vedette à vapeur et sous la garde de quatre surveillants militaires. Il va effectuer ce voyage dans le « bagne des femmes », où son isolement est soigneusement maintenu. Son traitement et ses conditions de détention vont donc se démarquer avant même qu’il ne quitte le territoire métropolitain et sa présence entraîne une organisation différente de la vie à bord, autant pour le personnel que pour ses codétenus.

La rade de l’île Royale au début du XXe siècle

En mer, des surveillants sont spécifiquement assignés à sa garde, de jour comme de nuit. Sélectionnés pour leur ancienneté, leur moralité et leur discipline, ils ont ordre de ne pas lui adresser la parole, de ne pas le perdre de vue, de veiller à ce que personne n’approche et à ce qu’il n’écrive pas. L’attitude nocturne et les cauchemars de Dreyfus sont toujours observés et notés, dans l’espoir d’y déceler un aveu. Les clés de sa cellule ne sont pas confiées directement à ses surveillants mais à leur capitaine, et l’ouverture de la porte ne peut se faire qu’en sa présence ou celle d’un autre gradé. Les quelques moments hors de la cellule sont des promenades courtes, toujours dans l’isolement et le silence, sous bonne garde (on craint alors un suicide en mer). Il n’a pu conserver, pour son confort et ses loisirs, que des objets de toilette, du savon, une éponge, une brosse à habits et une brosse à dents, les vêtements absolument nécessaires à la traversée ainsi qu’une couverture de voyage. Quand il réclame de la lecture, on lui prête les livres de la bibliothèque de bord, après un examen scrupuleux, et non pas ceux envoyés par sa famille. De ce que l’on sait, Dreyfus aura, malgré ces conditions extrêmes de voyage, conservé un grand sang-froid durant tout le trajet. D’ailleurs, dans ses écrits, il ne donne que peu de détails et indique juste avoir eu très froid.

Vue aérienne des îles du Salut

Il passera 20 jours en mer, du 22 février au 12 mars 1895, avant que son navire, le Ville de Saint-Nazaire n’arrive en vue des côtes guyanaises et des îles du Salut. Il ne le sait pas encore mais débute alors un séjour de quatre ans et deux mois qui le marquera sans nul doute à vie, et laissera une empreinte durable dans l’opinion publique et l’histoire, mais aussi dans les lieux eux-mêmes.