Pour juger du séjour d’Alfred Dreyfus aux îles du Salut, nous possédons plusieurs documents qu’il s’agit d’assembler, de comparer, de combiner. Tout d’abord, les ANOM conservent des documents officiels, produits par l’administration pénitentiaire (AP) et le ministère des Colonies essentiellement : les copies des rapports mensuels du commandant supérieur des îles du Salut, les correspondances entre l’administration pénitentiaire et le gouverneur ou le ministre, les échanges entre les différents ministères, etc.
Des témoignages de ses contemporains (bagnards, surveillants, journalistes), des opuscules et articles publiés au moment des faits apportent ensuite un éclairage intéressant ; sachant qu’il est indispensable d’y faire la part entre les informations dignes de foi et les élucubrations fantaisistes qui venaient alimenter le débat passionné autour de l’Affaire. La source la plus « directe » reste les écrits de Dreyfus lui-même, les carnets qu’il tient au début de sa captivité ainsi que la correspondance qu’il entretient avec sa femme, Lucie. Même s’il est mis au secret dès son arrestation, il échange le plus fréquemment possible des lettres avec sa femme qui seront tout au long de son incarcération son lien avec l’extérieur, son puits à émotions mais aussi son roc face à la tempête.
1. Sources d’étude
Plan du chapitre
« Ma chère Lucie »
« Il faut aboutir »
Dans toutes ses lettres, on retrouve toujours la même protestation, le même cri d’innocence. Au milieu des calculs et divers schémas, on y perçoit son attachement à sa femme mais aussi sa détermination « il faut aboutir ». Il écrit plusieurs fois qu'il n'a pas le droit de donner des détails sur son régime de captivité, ce qui nous en dit long sur les restrictions de ses libertés. On perçoit combien il souffre du regard porté par les soldats qui le gardent et voient en lui un traître, combien il lui est difficile de ne pas pouvoir agir. Leur lecture fait ressentir, au fil des mois, sa lutte entre abattement et espoir. En exhortant sa femme au courage, c’est aussi lui-même qu’il persuade de tenir bon, de lutter, car il veut mourir en innocent et en loyal Français. Il clame ainsi dans une lettre écrite avant son départ (le 3 février 1895) : « je ne pouvais ni descendre dans la tombe, ni devenir fou avec un nom déshonoré » ou encore le 27 mai 1895 : « le but suprême, notre honneur, l'honneur de nos enfants. Tout doit s'effacer devant cela. » ; et, jusqu’au bout de sa captivité, le 28 mars 1897 : « La vie n'est rien, l'honneur est tout... ».