De Londres à Bruxelles, de Lille à Marseille, de Nantes à Genève, les magistrats urbains détiennent de larges pouvoirs de police. Ils édictent des règlements sur tous les sujets qui déterminent le bon fonctionnement matériel, moral et spirituel de la cité. Ils commandent une force exécutive, composée de sergents, qui veille à l’application de cette règlementation municipale. Enfin la police urbaine s’incarne à travers le fonctionnement d’un « tribunal », chargé de réprimer les infractions. Partout, les fonctions de police se distinguent assez mal des fonctions judiciaires.
1. Qui fait la police ?
Plan du chapitre
La préservation de la tranquillité publique est pendant longtemps l’affaire de tous : familles, voisins, camarades de travail, clients, passants. La police, dont les forces sont quasi-inexistantes, n’est alors qu’un art de vivre ensemble, régulé par des usages coutumiers et certainement pas un métier. Des juges, parfois bénévoles, des petits officiers municipaux issus du monde des notables locaux, sont chargés de préserver la paix commune. L’apparition d’acteurs et de forces de police spécialisés est un phénomène tardif qui s’amorce seulement au XVIIIe siècle.
Dès la fin du Moyen-Âge, avec l’accord du Prince, la justice et la police des « bonnes villes » visent à défendre un ensemble de droits communs : la sécurité des habitants, l’assistance aux pauvres, l’approvisionnement régulier pour les subsistances. Ces droits fondent l’ordre public. Ils sont assortis de devoirs comme celui de participer à la milice bourgeoise chargée de sécuriser la cité en temps de guerre comme en temps de paix. Dans toute l’Europe, les villes défendent jalousement leurs prérogatives de police tout au long de l’Ancien Régime. C’est pourquoi depuis la fin du XVIIe siècle, Paris, où la police est placée sous l’étroit contrôle du gouvernement royal, fait figure d’exception.
VM (Vincent Milliot)
La police en Europe, un pouvoir municipal
La naissance du fils de Louis XV donne l’occasion aux Lillois d’affirmer leur attachement à la monarchie, tout en rappelant les garanties d’autonomie municipale obtenues lors de la conquête de 1667. Le cortège du « Magistrat » manifeste ces enjeux : le « Rewart », en habit brun, est accompagné du « Mayeur » et suivi des onze échevins en robe noire et des quatre jurés en manteau rouge. Ces hommes dirigent la police urbaine, incarnée ici par les quatre sergents de ville qui précèdent le cortège. Leur tenue (habit rouge et bandoulière à la fleur de lys d’argent) reproduit le blason lillois. [CD]
Dans les villes de garnison, les militaires assurent aussi la police, partagée avec le pouvoir municipal. À Marseille, le marquis de Pilles, commandant les troupes royales, décide ainsi de l’heure de fermeture des cabarets. L’implication des militaires dans la police urbaine est justifiée par la présence turbulente des soldats et la surveillance des fortifications. Les autorités municipales voient d’un bon œil la contribution des militaires à la sûreté des rues, qui leur permet d’éviter de payer une force armée coûteuse. [VD]
Un des pouvoirs essentiels de police est celui de juger et de condamner ceux qui ne respectent pas les règlements et troublent l’ordre public. À Lyon, le tribunal du siège de Police de la ville punit ainsi la femme Barbier pour avoir « fait charivari ». Le charivari consiste en un tumulte organisé sous les fenêtres d’un particulier dont on désapprouve la conduite, en cas de remariage entre deux époux d’âges très différents. La femme Barbier a peut-être été arrêtée avec d’autres jeunes gens. La police ne tolère plus ces pratiques rituelles, et la condamne à une amende assez sévère de 15 livres, soit l’équivalent du revenu de 15 journées de travail d’un travailleur ordinaire. Le document imprimé montre le grand nombre d’amendes qu’inflige le tribunal de police de Lyon. [VD]
Le bon ordre des marchés est une priorité des polices urbaines. À Lille, le Magistrat communal réglemente les horaires des ventes et les emplacements des marchandises. Les fripiers lui demandent ici de faire respecter le règlement du 12 janvier 1785 qui circonscrit les ventes de vêtements et objets d’occasion à deux rues, hors de la Grand Place, plus fréquentée mais réservée aux comestibles. Suite à cette plainte appuyée par l’intendant, le Magistrat réitère le règlement, le fait afficher et enjoint aux sergents de police d’y tenir la main. [CD]
Paris, une police sous contrôle royal
En 1667, la réforme de la police parisienne marque une véritable révolution administrative et politique. Pour la première fois, la création de la lieutenance générale de police donne naissance à un magistrat dont la police est le domaine exclusif. Nommé par le Conseil du Roi et choisi parmi les fidèles serviteurs de la monarchie, ce personnage joue un rôle central dans l’administration de la capitale. Ses pouvoirs grandissants manifestent le déclin du Bureau de la Ville et celui, plus relatif, du Parlement qui détient la « Grande Police ». Progressivement, les lieutenants successifs constituent une bureaucratie puissante. Ils s’appuient sur des subordonnés qu’ils contrôlent : commis, secrétaires, commissaires au Châtelet, inspecteurs de police.
Un pouvoir urbain résiduel
Au XVIIIe siècle à Paris, le Bureau de la Ville exerce des pouvoirs de police résiduels. L’édit de règlement de juin 1700 borne les compétences de la Ville à la police des quais, des ports et des boulevards, ainsi qu’à l’organisation des réjouissances publiques sur la place de Grève. En juin 1763, l’inauguration de la statue de Louis XV place Royale (actuelle place de la Concorde), offre l’occasion aux membres du Bureau de la Ville de parader à cheval en costume d’apparat et de jeter « une quantité d’argent au peuple ». Le prévôt des marchands Jean-Baptiste de Pontcarré de Viarmes, chef de la municipalité parisienne, est au centre, tricorne à la main. Le Corps de Ville veut montrer qu’il joue toujours un rôle dans la vie de la cité. [VM]
Héritier de la « guilde des marchands de l’eau » du Moyen Âge, le Bureau de la Ville conserve encore d’importants pouvoirs de police sur la navigation, les ports, les quais et les ponts de la Seine. Avec son tribunal, ses commissaires et ses officiers de police, c’est lui qui organise l’activité du grand port fluvial qu’est alors Paris, et la circulation sur la Seine, véritable poumon économique de la ville pour la ravitailler en blés, bois, vins et charbon, mais aussi acheminer les voyageurs. L’espace du fleuve échappe à la juridiction des lieutenants de police jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. [VD]
La tutelle du Parlement de Paris
Depuis le Moyen Âge, le Parlement de Paris est en charge de la « Grande Police » de Paris, c’est-à-dire de la politique de l’approvisionnement en grains de la capitale et de la sûreté publique. Alors même que la Lieutenance générale de police, créée en 1667, acquiert assez rapidement un rôle prépondérant dans tous les domaines de la police de la capitale et que le Parlement, à l’exception de quelques moments de crise de l’institution policière, prend de moins en moins en charge les questions d’ordre public à Paris, le rituel des assemblées de police perdure néanmoins, comme en témoigne un registre des procès-verbaux de 1728 à 1740 : le lieutenant de police, comme le prévôt des marchands viennent « rendre compte » à l’assemblée de police tenue chez le premier président du Parlement. [IF]
Une police sous contrôle royal : la Lieutenance générale de police
Comme l’explique le lieutenant de police Lenoir dans ses Mémoires (1790-1806), le « Secrétaire d’État au département de la Maison du roi et de la Ville de Paris était regardé comme ayant une autorité spéciale sur le lieutenant général de police et le lieutenant général de police était envisagé comme le premier ressort de son département ». Cette tutelle du « ministre de Paris » se traduit par une intense correspondance avec le chef de la police, par des arbitrages fréquents dans tous les domaines essentiels de la police parisienne et par la constitution d’une « mémoire » réglementaire propre à les éclairer. [VM]
Le passage de Marc-René d’Argenson au poste de lieutenant général de police de 1697 à 1718 marque une inflexion décisive dans l’introduction d’une police proactive dans Paris. Soutenu par la puissante dynastie ministérielle des Phélypeaux, d’Argenson introduit les premiers inspecteurs de police en civil, l’espionnage dans les lieux publics, fait enfermer des centaines de prostituées, d’ouvriers turbulents et de marginaux. Il rêve de rallier la bourgeoisie parisienne à sa politique de « subordination ». Mais les excès de ses agents et son mépris des formes judiciaires provoquent plusieurs scandales, dont un retentissant procès des inspecteurs de police (1716-1719). [VD]
La carrière de Nicolas-René Berryer (1703-1762) s’effectue sous la protection de Mme de Pompadour, maîtresse de Louis XV. Les premières étapes sont classiques : conseiller au Parlement de Paris en 1731, maître des requêtes en 1739, puis intendant du Poitou entre 1743 et 1747. Il est nommé lieutenant général de police en mai 1747 et le demeure jusqu’en 1757. Sa magistrature est marquée par le développement des bureaux de la Lieutenance de police, de l’espionnage, du fichage et de l’enregistrement. Berryer est nommé secrétaire d’État à la Marine de 1758 à 1761, puis garde des Sceaux juste avant sa mort. [VM]
La brillante carrière d’Antoine Gabriel de Sartine (1729-1801) débute en 1752 à la chambre criminelle du Châtelet. Il accède à la Lieutenance générale de police dès 1759, pour une durée de quinze ans. Là, il est confronté à la question sensible des subsistances lors de la réforme libérale de Laverdy (1764). Il mène une politique de réforme et d’améliorations dans le domaine de la sûreté (éclairage des rues, création d’un corps de pompiers permanent…) ou sur le plan sanitaire (Bureau des nourrices). À la suite de Berryer, il s’emploie à améliorer le fonctionnement de l’administration policière. [VM]
Un lieutenant général de police : un juge
Au premier plan se tient le public, debout derrière une rambarde de bois. Au second plan, les prévenus, femmes à gauche et hommes à droite comparaissent devant des magistrats. Il peut s’agir d’une audience de Grande Police pendant laquelle le lieutenant général de police juge sommairement les prostituées et les voleurs et les envoie à l’Hôpital Général. « Une audience du Lieutenant de Police est fort divertissante. On lui fait toutes sortes de plaintes et de demandes : on l’approche, on lui dit un mot à l’oreille ; il répond par une phrase banale ; il prend des placets dans trois antichambres ; les mains du Secrétaire ou du Commis peuvent à peine les contenir. La populace occupe la dernière salle, et l’appelle en tremblant, Monseigneur. Ce dernier rang est promptement expédié. » Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris. [IF]
Le lieutenant général de police juge seul tous les vendredis les différentes infractions de police lors d’une audience de police ordinaire. Le vendredi 13 avril 1742, le commissaire Poget rapporte que, pour le quartier Saint-André-des-Arts, il a constaté plusieurs infractions contraires à la moralité et la religion (fermeture des débits de boisson), à la sécurité et la tranquillité publiques (allées ouvertes la nuit ; défaut de ramonage) et à la propreté et l’hygiène (écoulement de sang sur la chaussée par les vidangeurs). En marge du rôle sont inscrites les sanctions prises par le lieutenant général de police, essentiellement des amendes. [IF]
Le lieutenant général de police : un administrateur
« Le magistrat faisait marcher toutes les roues dont l’ensemble produisait l’ordre et l’harmonie » (J. Peuchet, 1789). Avec les circulaires qu’il adresse régulièrement aux représentants de la compagnie des commissaires, le lieutenant général de police organise avec minutie le travail de ses subordonnés et de leurs auxiliaires (ici les responsables de l’enlèvement des boues) dans les 20 quartiers de police parisiens. Les syndics sont chargés de répercuter les ordres du chef de la police auprès de tous leurs confrères. [VM]
Le cœur de la machine : les compagnies d’officiers du Châtelet Les commissaires enquêteurs examinateurs du Châtelet
Les règlements rappellent l’obligation de résidence des 48 commissaires dans leurs quartiers de police. Chacun des 20 quartiers créés en 1702, est subdivisé en deux ou trois départements territoriaux, selon « l’étendue et la quantité d’habitants que les quartiers renferment ». Ils sont dotés chacun d’un commissaire. Mais en 1788, leurs lieux de résidence restent, même s’il y a eu des progrès depuis 1720, relativement proches du centre et encore imparfaitement répartis sur l’ensemble du territoire urbain qui s’est accru en un siècle. Un commissaire « ancien », choisi par le lieutenant de police, coordonne l’action de ses confrères et des inspecteurs. Il est l’interlocuteur privilégié du lieutenant de police auquel il présente des rapports à la Chambre de police et transmet les placets des habitants. Les « anciens » peuvent avoir une spécialité (les grains, les mœurs, la contrebande, les prisons d’État, l’usure, la Librairie…) qui leur est octroyée par le lieutenant de police. [IF, VM]
Une administration puissante : les bureaux du lieutenant
Le travail et le zèle de ses bureaux permettent au lieutenant d’être le centre d’impulsion et le « grand horloger » de la machine qu’est devenue la Lieutenance générale de police au XVIIIe siècle. Il règne sur une bureaucratie considérable pour l’époque. Dans les années 1770, ses cinq bureaux comptent plus de cinquante employés, sous l’autorité de puissants premiers commis, pratiquement inamovibles. Ils sont au centre de l’intense correspondance du lieutenant de police avec les ministres, les tribunaux, ses agents mais aussi les innombrables « corps intermédiaires » parisiens. Les bureaux sont disséminés sur la rive droite, autour de l’hôtel du lieutenant de police, rue Neuve-des-Capucines. [VD]
Les inspecteurs de police
Les inspecteurs de police sont l’œil et la main du lieutenant de police. Ces hommes n’obéissent qu’à lui. Habillés en civil, surveillant chacun un quartier de la ville, à la tête de leurs hommes de main et d’indicateurs, ils incarnent la police proactive mise en place à partir du lieutenant de police d’Argenson. L’édit de 1740, qui ramène leur nombre de 40 à 20, après divers scandales, exige des postulants qu’ils aient été officiers dans l’armée. Les inspecteurs se spécialisent. [VD]
Les commissaires enquêteurs examinateurs au Châtelet de Paris, devenus conseillers du roi à partir de 1668, sont parmi les plus anciens officiers du Châtelet : leur existence est attestée depuis le XIVe siècle. En matière de justice civile, criminelle ou de police, ce sont les premiers interlocuteurs, les premiers juges des Parisiens : ils recueillent les plaintes et les déclarations, rédigent les procès-verbaux d’arrestation au criminel comme les procès-verbaux de scellés après décès au civil ; ils reçoivent les dépositions des témoins d’un vol mais aussi celles des voisins du couple en cas de demande en séparation de l’épouse… Ils patrouillent dans les rues afin de dresser les contraventions de simple police mais aussi arrêter d’ordre du roi les personnes suspectes. [IF]
La naissance du métier de policier
Dans les villes en expansion, traversées de flux migratoires, où les contrastes sociaux sont marqués, les régulations communautaires s’altèrent au XVIIIe siècle. Le contrôle des étrangers et la lutte contre le vol favorisent l’apparition de groupes de policiers spécialisés qui se concentrent sur des tâches de surveillance, d’infiltration ou de répression active, notamment à Paris et à Londres, les deux plus grandes villes d’Europe. La désaffection des bourgeoisies à l’égard des milices urbaines pousse au recrutement de gardes professionnelles soldées, alors que la contribution des forces armées au maintien de l’ordre urbain s’accroît. Plus autonome à l’égard des fonctions judiciaires, plus visible en tant qu’institution spécifique, la police devient une force.
Inspecteurs de police et Bow-street runners de Londres
En théorie, l’acquisition d’un office d’inspecteur de police débute par une vente à caractère privé. Dans les faits, le vendeur ne peut traiter qu’avec un postulant agréé par le lieutenant général de police et la compagnie des inspecteurs. En 1751, la candidature du sieur Duplessis, aspirant à la charge d’inspecteur, donne lieu à une enquête et à la rédaction d’un rapport en juin 1755. Toutes les allégations de l’aspirant sont passées au crible : état, revenus, demeures et mœurs. Les témoignages dépeignent un escroc ne vivant que de l’intrigue. La candidature de Duplessis est rejetée. En dépit de la légende noire des inspecteurs, prétendument recrutés parmi les malfrats, les contrôles se sont renforcés depuis la refondation du corps en 1740. [VM]
Le faire-part pour une messe « du bout-de-l’an » en mémoire d’Étienne Sarraire, inspecteur de la Sûreté (1760-1780), illustre la brillante carrière d’un policier de confiance. Tous les inspecteurs sont formés sur le tas et ont exercé après 1740 une première carrière dans l’armée avant d’entrer dans la police. Mais ceux qui obtiennent une spécialité cumulent responsabilités dans la compagnie, fonctions prestigieuses, honneurs, récompenses et gratifications. Au terme de ses années de service, Sarraire accède à l’honorariat et reçoit une commission pour la police du port de Brest, en pleine Guerre d’Amérique. Il bénéficie alors de rares privilèges comme une pension du roi, la Croix de Saint-Louis et une place aux Invalides au moment de la retraite. [VM]
Le Bow Street Office, dans la rue du même nom à Londres, est depuis 1740 le siège d’un tribunal créé pour rendre une justice sommaire à Westminster. À partir de 1749, il abrite aussi la première force de police professionnelle britannique, créée par le magistrat de police Henri Fielding. Les six constables, sous l’autorité du magistrat de police installé à Bow Street, sont chargés de retrouver et d’arrêter les criminels à Londres et dans tout le pays. Surnommés les « Bow Street Runners », ces agents publics remplacent les mercenaires ou « runners » que devaient engager les particuliers pour retrouver les voleurs et leurs biens volés. [VD]
La volonté d’enrayer la montée de la criminalité à Londres conduit à la naissance de la police professionnelle. John Fielding, qui succède à son demi-frère Henry à sa mort comme magistrat de police, renforce le rôle du Bow Street Office dans la lutte contre le crime. Dans cet ouvrage, il défend la centralisation à Bow Street des informations sur les crimes commis dans toute la Grande-Bretagne. On dit que John Fielding, devenu aveugle à 19 ans, était capable de reconnaître plus de 3 000 malfaiteurs par leur voix. [VD]
La police devient une force
Dans les places fortes de la frontière, les militaires de la garnison prêtent volontiers main forte à la police communale, par accord entre les autorités municipales et les états-majors, notamment pour assurer la sécurité publique à l’occasion des marchés, des fêtes ou d’autres rassemblements populaires. Lors du grand banquet nocturne offert par le gouverneur de Lille pour fêter la naissance du Dauphin, des soldats sont mobilisés pour maintenir l’ordre au sein de la foule. On les voit, ici, repousser de leur hallebarde ou de leur fusil les pauvres arrivés trop tard pour profiter de l’aubaine. [CD]
À partir des années 1730, les rues de Londres deviennent plus sûres la nuit grâce à la transformation de la garde de nuit. Chaque paroisse était responsable des patrouilles nocturnes, assurées jusque-là par les propriétaires ou des remplaçants qu’ils payaient pour effectuer à leur place cette tâche ingrate et gratuite.
Grâce aux Watch Acts, les paroisses créent des patrouilles nocturnes qu’elles salarient. Ces professionnels, armés seulement d’un gourdin, et vêtus d’un manteau d’uniforme, arrêtent les rôdeurs, les mendiants et les femmes seules dans les rues. [VD]
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’ancien service des gardes bourgeoises est très dégradé partout, miné par la désaffection des habitants. À Nantes, comme ailleurs, les projets de professionnalisation des guets bourgeois empruntent au registre militaire : port de l’uniforme, étendards, insignes et écussons, adoption d’une discipline stricte en contrepartie d’une meilleure rémunération, recrutement d’anciens soldats jugés plus résistants aux fatigues du travail policier et plus aptes à la discipline, passage à des guets professionnels soldés. [VM]
L’ordonnance royale du 1er octobre 1786 « portant établissement d’un guet dans la ville de Nantes » prévoit la création d’un corps soldé de 200 hommes. Le recrutement s’inspire de structures militarisées existant dans d’autres villes comme Paris : la préférence est accordée aux anciens officiers et soldats des troupes réglées. La rupture est nette avec les conceptions d’une police bourgeoise, émanant de la milice urbaine. D’ailleurs, le projet contesté par la ville et les États de Bretagne n’aboutit pas. [VM]
Au XVIIIe siècle, la Garde de Paris est la principale force de l’ordre dans Paris. Les responsables du maintien de l’ordre cherchent à la transformer en une force professionnelle soldée capable de quadriller en permanence la totalité de la ville, d’abord la nuit puis le jour à partir de 1750. L’auteur d’un mémoire anonyme propose de faire passer de 452 à 800 le nombre d’hommes déployés chaque jour. Les projets de réforme de ce type se multiplient dans les années 1770, après la catastrophe de la rue Royale (1770) et les émeutes de la « Guerre des Farines » (mai 1775). [VD]
Dans un opuscule imprimé en 1772 destiné aux officiers de la Garde de Paris dont il était le major, Jean-François de Bar veut contribuer à l’amélioration de la discipline interne de la troupe en lui insufflant des valeurs et un état d’esprit : « il faut qu’une troupe chargée de la conservation des citoyens, soit honnête sans bassesse, brave sans témérité, exacte sans humeur, qu’elle soit indifférente en presque toutes les occasions sur ce qui lui arrive de personnel, pour ne s’occuper que du bien public ». Afin de concrétiser son propos, croquis à l’appui, il décrit par le menu les mouvements des troupes de police lors d’une sédition afin de réoccuper l’espace public, disperser les émeutiers et arrêter les meneurs. À ce titre, comme le souligne l’historien Patrice Peveri, de Bar « peut ainsi être considéré comme l’un des premiers théoriciens du maintien de l’ordre ». [IF]
La police « infiltrante » : les mouches
Entre 1745 et 1750, sous la direction de l’inspecteur de police Poussot, chargé de la sûreté des rues de Paris et de la chasse aux mendiants, voleurs, prostituées et autres « gens sans aveu », Marie Geneviève Dion surveille, renseigne la police, lui désigne et lui livre des hommes et des femmes délinquants ou supposés tels, de jour comme de nuit. C’est une indicatrice, une « mouche » de la police. Ancienne voleuse, escroqueuse et receleuse, elle a déjà connu plusieurs procès. Arrêtée en août 1750 pour avoir fait enfermer ou libérer des personnes contre de l’argent, elle est enfermée par ordre du roi à la Salpêtrière et y meurt en 1761. [IF]
À 88 ans, une mère réclame le rappel de relégation à 50 lieues de Paris de son fils âgé de 57 ans, un certain Martin Duvaldieu, officiellement chirurgien. C’est en réalité un voleur fouilleur de poches, plusieurs fois enfermé à l’Hôpital ; sa mère « mendiante de profession » l’accompagne dans les églises pour recevoir ses vols. En 1732, ses compétences comme fouilleur de poches ont commencé à intéresser les officiers de robe courte, spécialisés dans les vols dans les églises. Le lieutenant de robe courte Bazin le protège et lui obtient des permissions pour revenir à Paris et même son rappel définitif d’exil. Dans les années 1740, Duvaldieu travaillera avec les inspecteurs Poussot et Roussel et fera même partie, après l’émeute de 1750, des bourgeois cités par eux, comme réclamant un retour de l’ordre ! [IF]
À la fin du siècle, plusieurs quartiers de Nantes, en pleine expansion, restent à l’écart du service de la garde bourgeoise. L’échevinage s’oppose au projet de militarisation du guet défendu par les administrateurs royaux. Il est jugé trop coûteux et moins efficace que la milice contrôlée par la ville. Mais le débat sur l’insécurité urbaine fait rage et suscite la rédaction de nombreux mémoires. Ici l’auteur demande à la municipalité, qui a récupéré la charge de lieutenant général de police en 1720, l’instauration d’un guet privé, à la charge du propriétaire, pour purger l’ancienne « maison des Jésuites », située rue de Briord, de la canaille et d’une mystérieuse « bande noire ». [VM]