Présentation, source/crédits des photographies et commentaires : Michel Veyret

La création de la colonie du Luc

Monsieur Marquès du Luc, conseiller régional du Gard, possédait une grande propriété sur le Causse. Membre du jury de surveillance de la ferme école de Mas le Comte et magistrat, il est au courant des travaux de Demetz à la colonie pénitentiaire de Mettray ouverte en 1839 et dont la devise était : Sauver le colon par la terre et sauver la terre par le colon.

Dans un but « philanthropique », il décide de faire fructifier ce domaine de terres rocailleuses en créant en 1856 une colonie agricole qui éduquerait les enfants pervertis (Pour en savoir voir la loi du loi du 5 août 1850 sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus).

S’il ne fait aucun doute concernant la volonté philanthropique de Marquès du Luc, il semblerait que la gestion ait fait preuve d’une certaine naïveté. Le recrutement des surveillants s’effectuait parmi les agriculteurs locaux. Leur manque de qualification et la perversité de quelques-uns engendrèrent beaucoup de désordres principalement entre 1865 et 1870 qui menacèrent la sérénité de l’établissement.

Marquès du Luc, malade, passera la main à son fils Hippolyte en 1871.

Fin de la colonie et du domaine du Luc

Si en 1856, l’État est favorable aux colonies privées, la situation change à partir de 1880 quand l’État veut reprendre la main sur le carcéral. Les subventions stagnent et le placement des colons se fait principalement dans les établissements publics. En 1886 M. Marquès propose la vente ou la location des locaux. En 1900, le député du Gard relève que Le Luc perd entre 35 000 et 40 000 francs par an. Tient-il compte des revenus de l’exploitation ? Face aux refus de l’administration, M. Marquès doit, soit fermer, soit s’adapter. Par philanthropie ou pour entretenir l’exploitation du domaine, il décide de continuer. Le Luc devient école professionnelle en 1904. Une brève tentative de réserver l’accueil aux filles n’a pas été poursuivie. Rapidement, le Luc accueille des enfants difficiles de l’assistance publique sans que cela change grand-chose aux conditions d’hébergement. Le nombre des colons diminue sensiblement.

Il est maintenant difficile de se faire une opinion concernant les conditions de vie des enfants du Luc.

L’importance de la ferme, jointe au rapport d’une fromagerie, implique que le Luc n’a pas dû trop souffrir du manque de moyens financiers inhérent aux autres établissements. Par ricochet, l’existence des colons, bien que très dure, devait être meilleure que dans la plupart des autres colonies. Malgré tout, en 1912, des désordres ont entraînés une inspection qui conclura que l’établissement relève plus d’une colonie pénitentiaire que d’une école destinée à des élèves dont on pourvoit à l’amélioration. Le manque de gardiens ainsi que leur formation inexistante sont mis en exergue. 

L’école fermera définitivement en 1929.

Les bâtiments

Comme à Mettray, cet établissement pénitentiaire n’est cerné par aucune enceinte. L’environnement désertique formé par le causse suffit à dissuader les envies d’escapades.

L’édifice a la forme d’un U entourant la « cour d’honneur ». La toiture effondrée en 1937 sous une couche de neige a été rabaissée et l’école a disparu. Les fenêtres à barreaux sont encore présentes par endroit et les cellules sont restées en l’état.

La fromagerie

Sur les terres du Luc s’ouvre un impressionnant aven d’une soixantaine de mètres de diamètre et aux parois verticales d’une hauteur d’environ 60 mètres. Au pied de cet aven s’ouvre une grande salle dans laquelle fut décidé d’aménager une fromagerie. Marquès du Luc avait des projets ambitieux qui aboutirent à des travaux gigantesques auxquels les colons ont dû prêter leurs bras, mais sans aller jusqu’à creuser le tunnel au pic comme le relate trop souvent les « on dit » La notoriété de Roquefort scella la fin du rêve.

Liens vers le site de l’auteur pour en savoir plus :

Colonie pénitentiaire du Luc (Génèse)
Colonie pénitentiaire du Luc (Bâtiments)
La colonie pénitentiaire du Luc (Fromagerie)
La colonie pénitentiaire du Luc (Cellules)

Edition en ligne : Jean-Lucien Sanchez

Source : Michel Veyret

La colonie agricole du Luc créée en 1856.

Source : Michel Veyret

Quand on passe devant l’édifice du Luc Haut, rien ne laisse soupçonner ce à quoi il était destiné.

Source : Michel Veyret

Dans les années 1990, M. Marquès du Luc a vendu la caserne et ses dépendances. Le groupe de bâtiments actuel est maintenant morcelé en différents appartements plus ou moins réaménagés sans que cela ait trop modifié l’agencement originel de la cour intérieure. Les fenêtres des parties non rénovées sont obturées. Le troisième étage, fortement dégradé, est menacé de ruine. L’absence de cheminée pour un climat si rude indique des conditions de vie spartiates.  Seules l’école, l’infirmerie et la cuisine possédaient un moyen de chauffage pour affronter un hiver sans pitié. Un rapport d’inspection de 1893 mentionne que la plupart des malades souffraient d’affections des voies respiratoires.

Source : Michel Veyret

Vue latérale du bâtiment avec, au-dessus des cellules, l’étage du dortoir des petits et à son extrémité, l’infirmerie.

Source : Michel Veyret

Quatre-vingt ans plus tard, les portes et barreaux sont toujours là.

Source : Michel Veyret

Au Luc, les 5 cellules sont les seules parties des bâtiments restées en l’état et je remercie le propriétaire qui m’a ouvert l’huis, me permettant ainsi d’écouter parler les murs.

Source : Michel Veyret

Le décor est vite planté. Quatre murs, une porte et un soupirail muni de barreaux. Pas de moyen de chauffage. Du sol au plafond, les murs sont recouverts de graffitis. On est fortement interpellé par tous ces noms tantôt soigneusement calligraphiés tantôt furtivement ou maladroitement tracés.

Source : Michel Veyret

C’est sur la peinture écaillée des portes que l’on peut relever les inscriptions les plus anciennes. Parmi la profusion d’inscriptions, on peut distinguer ici un Albert Villeneuve né(e) à Oran en 1892.

Source : Michel Veyret

Au fil du temps, les murs ont été enduits plusieurs fois aussi les gravures que l’on peut distinguer aujourd’hui appartiennent à la dernière période alors que le Luc était passé sous la tutelle de l’Assistance Publique (1904-1929). Le temps efface petit à petit les traces. Les mentions du lieu et date de naissance sont pratiquement systématiquement mentionnées. Ce sont bien souvent les seuls éléments connus de ces enfants concernant leurs origines et l’on comprend qu’ils s’y accrochent. On constate des provenances géographiques très variées. On peut noter que plusieurs graffitis indiquent des colons originaires d’Algérie (Constantine, Oran, Orléansville). Sans doute une des conséquences de l’immigration encouragée suite à la révolution de 1848. Le manque de préparation et les maladies ont causé beaucoup de décès.
Ici, on devine La Roche sur Yon.

Source : Michel Veyret

Armel Charteau 21 Octobre 1896 à Nantes souhaite le bonjour à tous.

Source : Michel Veyret

À quelles amours s’adressent ces cœurs ? Parmi tous les entrelacs je n’ai pas discerné de prénoms féminins. Je n’ai pas non plus remarqué de graffitis à sous-entendu graveleux.

Source : Michel Veyret

Ici la seule représentation féminine que j’ai vue. Le texte accompagnant cette élégante au sourire en coin est à jamais perdu.

Source : Michel Veyret

Ce profil est peut-être dû au même artiste que pour la représentation précédente.

Source : Michel Veyret

Là, nous avons droit à un marin déclarant : Je suis un fayot de la marine ! Une moquerie envers un gardien ancien militaire ? Encore une supposition !
En dessous, un carré magique formé des chiffres de 1 à 9 et dont chaque ligne est un total de 15. Les degrés d’instructions que l’on peut déduire grâce aux graffitis sont pour le moins hétérogènes.

Source : Michel Veyret

Le bis mentionné à la dernière ligne fait penser à un chant dont les paroles sont perdues. On ne saura pas ce qu’il fallait garder dans notre cœur…

Source : Michel Veyret

JE SORTIRAI QUAN DIEU LE VOUDRA VOICI 19 JOUR QUE JE SUI EN CELULE
Est-ce Permann [?] Jean-Marcel qui a tenté ces calculs ? Voila 432 heures que je suis en cellule. 224490 minutes et 1393 secondes.
Il compte les jours, les heures jusqu’aux secondes, mais fataliste, il ajoute plusieurs fois : MES ENFIN JE NE MAN FE PA

Sur ce panneau, on peut voir en plusieurs endroits, 5 points assemblés comme sur une face de dé. Dans les prisons, ce signe symbolise l’enfermement entre quatre murs.
Figure également la date de 1927. Bien que devenue École professionnelle en 1904, il apparaît clairement que les méthodes héritées de la période pénitentiaire ont perduré jusqu’à la fermeture en 1929.

Source : Michel Veyret

La notion de classe militaire est très présente dans les graffitis. Pour beaucoup, l’engagement dans l’armée était la solution choisie à leur sortie du Luc. Arrivé à l’âge de 13 ans, Rastoll entame sa dernière année au Luc en cellule.

Source : Michel Veyret

Louis Raymond Chouvin a gravé son nom en plusieurs endroits. Manifestement, il a effectué plusieurs séjours en cellule. Peut-être par esprit bravache, il nous a laissé un poème. En est-t-il l’auteur ? Peu importe !

La Loire m’a vu naître
L’Assistance m’a vu paraître
La colonie de Mettray dans la torture
La colonie du Luc dans l’esclavage
Les prisons me verront rentrer
Le bagne me verra souffrir
Et Cayenne sera mon tombeau
Et debler  me fera passer le cou par la lunette
L’échafaud me verra mourir.

Debler : vraisemblablement en référence à Anatole Deibler (1863-1939) célèbre bourreau qui participa à l’exécution de 395 personnes.

Source : Michel Veyret

MES CHERS AMIS
PRENEZ TOUS LA FUITE
NE RESTEZ PAS AU LUC
Pierotin, Coste, Mustapha, Giraud, Mollier, Toselli, nombreux sont les patronymes que l’on peut déchiffrer avec un éclairage rasant dans les différentes cellules. Au cours de différents séjours, ces jeunes rebelles aux origines très variées ont laissé leurs noms, sinon pour perpète, du moins tant que dureront les murs.