Graffitis de prisons, de prisons politiques et militaires, de colonies pénitentiaires et de camps d’internement.
La rédaction de Criminocorpus reçoit et espère recevoir encore de nouvelles contributions sur des graffitis d’espaces carcéraux. Nous disposons d’ores et déjà, en réserve de publication, de clichés récents sur les graffitis de la maison d’arrêt de la Santé à Paris, de la prison Saint-Michel à Toulouse et de la citadelle de Saint-Martin-de-Ré. Afin de ne pas prolonger les délais de publication, nous ferons une mise à jour continue de cette exposition. Que ceux qui auront apprécié la première livraison, n’hésitent pas à nous adresser leurs trésors.
Richesse, diversité et problématiques par Jean-Claude Vimont.
En 1945, Henri Calet publia un recueil de graffitis tracés par les résistants incarcérés pendant l’Occupation à Fresnes, maison d’arrêt devenue prison allemande. Ces précieux et émouvants témoignages, réunis dans Les Murs de Fresnes, avaient fait l’objet d’une collecte initiée par le ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés afin d’identifier des personnes disparues. Ceux qui allaient être fusillés avaient laissé une dernière signature mais avaient également exprimé leur foi ou leurs convictions à la veille de leur tourment.
Ce n’était pas la première fois que l’on prêtait attention aux traces gravées sur les murs de cachots ou de salles communes. Les victimes de l’absolutisme monarchique ou impérial, les protestants, les prisonniers de guerre des siècles passés avaient laissé des témoignages au château d’If, au château d’Angers, au château de Vincennes, dans les Tours de la Rochelle et dans bien des bastides ou prisons d’Etat.
Le concept de « patrimoine carcéral » est plus récent et fait encore l’objet de polémiques, comme lors de l’émergence du patrimoine industriel. Ses contours ne sont pas encore fermement définis. Les instances d’inscription ou de protection du patrimoine sont hésitantes, même si dans plusieurs régions DRAC et services de l’Inventaire sont préoccupés par la préservation de ces traces fragiles. Les graffitis conservés ne sont que l’un des attributs d’établissements menacés de destruction dans un contexte de pression foncière urbaine accrue. Les choix immobiliers de l’Administration pénitentiaire et le souci de mieux préserver la privacy des détenus ont provoqué fermetures, réaménagements et destructions des prisons construites au XIXe siècle. Dans Sociétés et Représentations en 2008 j’avais évoqué des « graffitis en péril » et essayé de démontrer tout l’intérêt de ces formes rudimentaires de messages, de ces « archives sensibles ». Il y était question des victimes de répressions politiques, mais aussi des inscriptions produites par les détenus de droit commun, mineurs de justice des colonies pénitentiaires et adultes emprisonnés dans les maisons d’arrêt départementales et dans les maisons centrales.
Le site "Patrimoine carcéral des régions françaises", confectionné depuis octobre 2006 par les étudiants du master professionnel patrimoine de l’Université de Rouen, a été l’occasion d’une réflexion sur l’intérêt, le devenir, les reconversions ou les destructions de plusieurs centaines de prisons, de camps d’internement ou de concentration, de colonies pénitentiaires. Son succès a incité l’équipe de Criminocorpus à l’intégrer dans son Carnet de l’histoire de la justice, des crimes et des peines. A plusieurs reprises des graffitis sont mentionnés parmi lesquels :
- le donjon de Vincennes.
- le donjon de Cravant dans l’Yonne.
- le château des ducs d’Alençon qui servait encore de maison d’arrêt et de correction jusqu’en janvier 2010.
- la maison d’arrêt cellulaire de Gex dans l’Ain.
- la prison du château de Selles à Cambrai
- la prison de Tinchebray
- la prison de Pont-l’Evêque
- la Tour de la Lanterne à la Rochelle
- la prison d’Autun
La publication du livre d’Etienne Madranges, Prisons, patrimoine de France en 2013 a montré la richesse de la créativité des détenus. L’ouvrage présente 2400 photographies réalisées dans 460 établissements pénitentiaires et les graffiti ne sont pas négligés.
Le Blog « Brunodesbaumettes », journal d’un détenu du quartier des « isolés », comporte une très riche rubrique, « des mots et des murs », abondamment pourvue de photographies de graffiti contemporains ( notamment des anciennes prisons de Lyon, du centre de détention d’Eysses, de la prison Sainte-Anne d’Avignon) .
Criminocorpus avait déjà consacré deux articles aux graffitis de la colonie pénitentiaire des Douaires, près de Gaillon dans l’Eure, et à ceux de la maison d’arrêt du Havre, fermée en avril 2010 et détruite peu après. Nous reprenons ici certains aspects de ces contributions en y intégrant de nouvelles photographies légendées.
Deux très beaux catalogues publiés par le Département de la Seine-Saint-Denis, l’un consacré aux graffitis du camp de Drancy et l’autre à ceux du camp de Romainville, ont fait franchir un nouveau pas dans la recherche sur les graffitis carcéraux. Des démarches de conservation, de repérage, de transcription sont exposées aux côtés d’analyses de grande qualité, par la confrontation avec d’autres sources archivistiques. Le résultat est admirable et émouvant puisque, bien souvent, il s’agit des derniers messages laissés par des Juifs ou des Résistants avant leur exécution au Mont Valérien ou leur départ en déportation. Criminocorpus a souhaité associer l’équipe des archivistes et historiens de ce département à cette exposition virtuelle. Un grand merci à Sylvie Zaidman et Benoît Pouvreau d’avoir accorder leur confiance à Criminocorpus et d’avoir offert de très riches graffitis. Dans l’Eure, au château de Gaillon, le passé carcéral de ce monument mobilise l’attention d’une association d’habitants, de la Drac et de l’architecte des bâtiments de France. Ils collectent les traces laissées par les condamnés de la maison centrale et les internés des camps successifs. Criminocorpus a tenu à accompagner cette démarche innovante et remercie France Poulain et ses amis.
Lorsque les graffitis portent un message, ne sont pas seulement figuratifs, ils peuvent être classés en quatre ensembles majeurs. Il ne peut être question d’approche quantitative tant « l’unité graffiti » est difficile à isoler à cause des superpositions, des effacements, des détériorations. Ils nous disent d’abord des choses sur le « je », sur la manière de s’identifier, par un matricule, un nom, un surnom, un diminutif, une initiale, par la mention d’une commune ou d’un quartier d’origine. Ils nous renseignent aussi sur le « nous », les amis, les groupes, les bandes, les catégories comme celle des prisonniers politiques qui n’hésitent pas à inscrire des professions de foi. Ils s’en prennent aussi aux « autres », la police, la justice, les surveillants. Enfin, ils mentionnent « angoisses, frustrations et espoirs » par des décomptes du temps qui passe, par l’évocation des interdits, par la glorification des femmes, de l’armée, de la république démocrate et sociale, de la liberté contre l’oppresseur…
Les graffitis furent de tous temps prohibés dans les univers de l’enfermement. Leurs localisations, leurs tailles, les matériaux utilisés pour laisser trace d’un séjour ne doivent pas être négligés. Les graffitis des mitards et de quartiers cellulaires sont souvent plus vindicatifs que dans d’autres parties des détentions.
Cette exposition s’enrichira au fil du temps d’autres découvertes, d’apports de nos lecteurs et de chercheurs amis. Elle est une invitation supplémentaire à porter attention aux traces passées et contemporaines.
Edition en ligne : Marc Renneville, Jean-Lucien Sanchez, Sophie Victorien